Installé à Marseille, Le Présage est le premier restaurant d’Europe fonctionnant à l’énergie solaire. C’est grâce à un impressionnant fourneau solaire que l’équipe propose une cuisine inventive à base de produits locaux et de saison. Fort de son succès, ce projet unique a pour vocation de devenir un véritable lieu de recherche et d’expérimentation de l’alimentation du futur. Pierre-André Aubert, fondateur du Présage, revient pour La Relève & La Peste sur les étapes de cette aventure.
De la construction aéronautique à l’énergie solaire
Pierre-André Aubert travaillait chez Airbus comme ingénieur en construction aéronautique lorsqu’il choisit de réorienter sa vie en se lançant dans un CAP cuisine.
« C’était il y a 12 ans. Cela me paraissait être un métier difficile, mais qui à ce moment-là avait plus de sens pour moi. »
Après des expériences au sein de différents restaurants, Pierre-André Aubert est convaincu que la cuisine des produits locaux et de saison se pose à la fois comme une nécessité et un plaisir. Il se demande alors s’il serait possible d’aller encore plus loin, en cuisinant au solaire, une énergie particulièrement adaptée au contexte marseillais.
L’aventure commence avec la construction d’un fourneau de cuisine solaire en 2013.
« Quand on a réussi à avoir un fourneau qui fonctionnait, on a trouvé que le plus judicieux était de cuisiner, plutôt que de chercher des fonds. Une belle équipe s’est rapidement créée autour de moi ».
Les premières expérimentations ont lieu en 2016-2017, avec une restauration guinguette complètement en extérieur. Le projet séduit et bientôt, l’acquisition d’un terrain à Marseille est signée. Après un contretemps dû au Covid, l’équipe démarre pour une saison entière sur le terrain fin 2021.
« Ça se passe très bien, on est rentables, ce qui nous permet de lever des fonds », raconte Pierre-André Aubert.
Un bâtiment bioclimatique
Depuis, ce dernier se consacre à cet ambitieux projet : « créer un restaurant solaire gastronomique dans un bâtiment bioclimatique exemplaire au sein d’une forêt comestible à Marseille ».
La conception du bâtiment est ainsi pensée pour s’adapter aux conditions climatiques.
“À Marseille, c’est se protéger du soleil, tout simplement avec une casquette qui est la toiture du bâtiment, précise Pierre-André Aubert. Et par contre, avoir une belle baie vitrée au Sud pour que l’hiver le soleil puisse rentrer. On veut aussi que le bâtiment consomme peu d’énergie, peu de chauffage, peu de rafraîchissement ».
Le jardin autour participera également au côté bioclimatique puisqu’il apportera de la fraîcheur par son humidité. Ce dernier sera essentiellement composé de comestibles.
« L’objectif est que le jardin représente ¼ des intrants au bout de 3 à 5 ans. L’idée est d’avoir des productions très qualitatives, qui coûtent cher. Je pense au kiwi ou à la grenade, qui nous permettent d’avoir une signature gustative dans l’assiette mais qui sont trop chers ou ne correspondent pas à la qualité qu’on recherche ».
L’équipe du Présage souhaiterait aller encore plus loin dans cette démarche écologique, notamment avec la méthanisation.
« Elle consiste à transformer les biodéchets du restaurant en gaz pour alimenter la cuisine les jours moins ensoleillés. Mais aujourd’hui la problématique réside dans les conditions réglementaires, puisque notre installation est trop petite par rapport aux normes existantes. On l’a quand même fait pour avoir des données, se rendre compte, et c’est bluffant : les déchets de 30 couverts représentent 1h de gaz le lendemain en continu. Ça marche hyper bien ! »
Réussite d’un projet fou
Aujourd’hui Le Présage a conquis sa clientèle.
« Il y a évidemment de la curiosité, ça reste complètement fou encore aujourd’hui de concentrer de la lumière pour cuisiner. C’est très simple et en même temps un peu magique. C’est une technologie qu’on utilise très peu finalement, alors qu’elle est extrêmement puissante. On peut faire fondre du sable par exemple, on pourrait faire une imprimante 3D… »
Cependant le restaurant séduit aussi par ses atouts gustatifs. Le tout au service d’une cuisine de saison, bistronomique et accessible.
« On utilise beaucoup la fermentation. On propose notamment un ketchup lacto-fermenté, avec un goût plus complexe et acidulé très intéressant. On l’utilise aussi avec les boissons, on fait par exemple du kéfir, du pétillant de sureau… ».
L’équipe du Présage vise à présent une installation au centre de Marseille.
« On ne peut évidemment pas s’installer où l’on veut, puisqu’il y a des contraintes, des orientations à respecter pour que le système fonctionne correctement. Mais ça reste relativement petit puisqu’on a besoin d’un espace entre 100 et 200m2 dégagés d’ombrage pour s’installer », détaille Pierre-André Aubert.
Néanmoins, le Présage reste un lieu unique en France.
« Il y a plusieurs raisons. Déjà, des cuisiniers-patrons-ingénieurs, il n’y en a pas beaucoup », relève Pierre-André Aubert pour expliquer le fait que l’idée n’ait pas essaimé. « C’est technologiquement possible de le faire aujourd’hui, la difficulté est plutôt d’avoir une équipe, des ressources et d’être assez persévérant. Quand j’en parlais il y a 7-8 ans, cette idée faisait plus sourire qu’elle n’intéressait les investisseurs ».
Au-delà d’un lieu de restauration, Le Présage touche à la question de l’imaginaire, en proposant un nouveau récit de ce que pourrait être le futur.
« On est persuadés que l’alimentation touche au fondement-même de nos sociétés. Comment on produit, on consomme, on transforme, on partage, on recycle… À notre petite échelle on propose une vision d’un monde où en transformant notre alimentation, on transforme la manière dont nos sociétés pourraient fonctionner ».