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Le Ministère de l’Intérieur renforce les mesures d’interpellation de journalistes et ONG en manifestation

Comme le fait remarquer Anne-Sophie Simpere (Amnesty International) au journal Libération, le rôle des journalistes est justement d’observer les violences policières à l’endroit et au moment même où elles sont commises. « Ça n’a aucun sens de demander qu’ils soient dispersés au moment des sommations ! » Sauf pour la police.

Le ministère de l’Intérieur a publié, jeudi 17 septembre, son nouveau « schéma national du maintien de l’ordre », un document essentiel qui réaffirme les grandes lignes de « l’emploi des forces de l’ordre et des moyens techniques spécialisés » sur tout le territoire, en particulier dans le cadre des manifestations. Problème : plusieurs dispositions du nouveau « schéma national » visent indirectement à empêcher la presse et les associations de témoigner des violences policières et des dérives du maintien de l’ordre.

Une répression grandissante contre les manifestants

Depuis le mouvement inédit des « Gilets Jaunes », les contestations massives contre la réforme des retraites et la multiplication des actions spontanées en faveur du climat, les protocoles des pouvoirs publics en matière de maintien de l’ordre ont profondément évolué.

Zones interdites aux manifestants, usage radical de la force, dispersion des groupes, recours à des unités de police souples et rapides, encerclement systématique et « nasses » mobiles : plus qu’il ne les renouvelle, le nouveau schéma national vient en réalité entériner toutes les techniques mises en œuvre depuis la fin de l’année 2018.

Selon le ministère, il s’agirait de répondre à la « convergence de mouvements de contestation de nature très différente, révolutionnaire ou séditieux, s’opér[ant] autour de la volonté de provoquer un maximum de dégâts ou de désordre ».

Entendre : les groupes de casseurs, qui entraveraient « les manifestants pacifistes » dans l’exercice légitime de leur droit de battre le pavé et compromettraient la concorde entre police et citoyens.

Prétendant s’inscrire dans la longue « professionnalisation du maintien de l’ordre intervenue dès 1921 », ce document de vingt-neuf pages apporte-t-il malgré tout quelques « innovations » ?

Tout d’abord, il semble confirmer l’abandon de la grenade controversée GLI-F4 et son remplacement par sa cousine assourdissante et lacrymogène GM2L, qui ne contiendrait pas d’explosifs et serait donc moins dangereuse. Avec sa charge de 25 grammes de TNT, la grenade GLI-F4 a causé des centaines de blessures depuis deux ans, dont cinq mains arrachées et un pied déchiqueté du côté des seuls « Gilets Jaunes ».

La nouvelle recrue sera-t-elle moins violente ? De catégorie A2, la grenade GM2L est classée par le ministère lui-même dans la liste des matériels de guerre. Elle ne contient pas de TNT, mais un mélange 1,6 fois plus puissant de cire et d’hexogène, dont l’explosion « sans éclats », de 165 décibels, dépasse le bruit d’un avion au décollage, ce qui outre l’effet assourdissant pourrait provoquer de graves lésions auditives.

Si l’on en croit une analyse du journal Le Monde, ce remplacement ne serait vu au sein des forces de l’ordre que comme un élément de communication.

Le lanceur de balles de défense (LBD), quant à lui, est évidemment maintenu, alors qu’il est responsable de dizaines d’éborgnements, de pertes d’odorat et de blessures à la tête ou aux organes ces deux dernières années. En guise d’innovation, le ministère a préféré modifier les sommations, dans un véritable « effort de communication » à l’égard des manifestants.

C’est ainsi que le traditionnel « Première sommation. On va faire usage de la force » est remplacé par un plus explicite « Première sommation. Nous allons faire usage de la force. Quittez immédiatement les lieux », dont la pédagogie est, on le voit, à la pointe de la modernité.

Pour remédier à la dégradation extrême de l’image de la police, le ministère de l’Intérieur mise sur « l’information », la « transparence » et le « dialogue avec le public ». Si vous êtes blessé(e) au cours d’une manifestation alors que vous n’avez pas « pris part aux affrontements avec les forces de l’ordre », vous pourrez désormais demander réparation auprès « d’un référent chargé de l’appui aux victimes », établi dans chaque préfecture de France. Notez que cette puissante instance ne recevra que les bons citoyens. 

Crédit Photo : Alain Pitton / NurPhoto

L’encadrement autoritaire des journalistes et ONG

Au nom de la concorde et de la protection du « droit d’informer », le gouvernement entend également mettre au garde à vous les journalistes. Premièrement, le gouvernement se propose d’organiser des « formations » à sa doctrine du maintien de l’ordre, directement destinées aux journalistes. Le texte est assez clair à ce sujet :

« Il sera proposé la réalisation d’exercices conjoints permettant aux forces d’intégrer la présence de journalistes dans la manœuvre et à ces derniers de mieux appréhender les codes et la réalité des opérations de maintien de l’ordre en environnement dégradé. »

Un séminaire à ne pas manquer pour le quatrième pouvoir. Après cette initiation de la presse aux « réalités » si dures de l’usage d’armes de guerre et des pratiques d’encerclement, « il sera proposé aux journalistes des sensibilisations au cadre juridique des manifestations, aux cas d’emploi de la force et notamment aux conduites à tenir lorsque les sommations sont prononcées [sic]. »

En d’autres termes, la préfecture expliquera aux principaux témoins des violences policières comment se comporter dans des manifestations, à quel endroit on doit se tenir, à quel moment il faut se retirer… Peut-être ce qu’on a le droit ou non de photographier ? Mais le pire se situe quelques lignes plus loin, dans un morceau d’anthologie à citer in extenso :

« Il importe à cet égard de rappeler que le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d’associations. Dès lors qu’ils sont au cœur d’un attroupement, ils doivent, comme n’importe quel citoyen, obtempérer aux injonctions des représentants des forces de l’ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser. »

Comme le fait remarquer Anne-Sophie Simpere (Amnesty International) au journal Libération, le rôle des journalistes est justement d’observer les violences policières à l’endroit et au moment même où elles sont commises. « Ça n’a aucun sens de demander qu’ils soient dispersés au moment des sommations ! » Sauf pour la police.

Le Syndicat national des journalistes (SNJ), première organisation de la profession, constate quant à lui que « le ministre de l’Intérieur bafoue ouvertement la liberté de la presse », en prétendant « éduquer » les reporters, qui ne seront plus dissociés du reste des manifestants.

Pour rappel, en seulement un an et demi, le décompte « Allô place Beauvau » conduit par David Dufresne a recensé 117 cas de journalistes ayant été entravés dans leur liberté d’informer par les forces de l’ordre. Le SNJ, pour sa part, en dénombre 200.

Avec son « schéma national », le ministère a fait un pas de plus dans la répression : à présent, les journalistes pourront être légalement interpellés pendant les manifestations, dès que la situation viendra un tant soit peu à dégénérer. De plus, la police ne reconnaîtra comme journalistes professionnels que ceux qui seront équipés d’une carte de presse, ce qui risque de marginaliser et de criminaliser davantage encore les médias indépendants, dont le statut est pourtant inscrit dans la loi. Un recul supplémentaire que nous devrons au mandat actuel.

crédit photo couverture : Zakaria ABDELKAFI / AFP

Augustin Langlade

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