Recréer de la cohésion et du sens là où il n’y en a plus sont des objectifs dont nous avons besoin pour inventer un autre monde. C’est en partie la mission portée par les tiers-lieux qui fleurissent en écosystème partout en France. Dans cette champignonnière d’initiatives, quelque part en Normandie, plus précisément à Commes, cohabitent en synergie le tiers-lieu l’Arbre et la micro ferme agro-écologique Le Jardin de deux’main. Leur éthique s’axe autour de l’écologie, du partage et de la bienveillance dans un cadre imaginé pour rendre heureux tous ceux qui gravitent autour. 

MSV et agroforesterie

D’un côté nous avons le Jardin de deux’main dont les premières graines ont été semées en 2017 en nourrissant les vers de terre. C’est en 2017 que Guillaume Haelewyn, paysan ingénieur agronome bio, lance le projet en maraîchage agroforestier, fruits et œufs sur 2,85 d’hectares de la ferme familiale. 

Son slogan résume de manière limpide la portée de son dessein : « Nourrir la terre, soigner les Hommes ». 

Marie Yvon le rejoint en 2021 pour créer un Groupement Agricole d’Exploitation en Commun (GAEC). Tout au long de l’année, trois ETP dont un à deux stagiaires les aident sur le site. Ainsi, ils forment une quinzaine de stagiaires porteurs de projet et désireux de s’installer en Maraîchage sur Sol Vivant (MSV), une technique qu’ils utilisent avec l’agroforesterie pour cultiver avec la nature et non pas contre elle. 

Le Maraîchage sur Sol Vivant consiste à travailler le sol au minimum, à respecter son cycle grâce à des paillages organiques que ce soit de la paille, du compost de déchets verts. Les cultures vont être plantées dans ces paillages organiques dont les objectifs sont de nourrir le sol, le couvrir, limiter la pousse d’herbes indésirables et enfin d’obtenir un sol aéré, bien structuré et stable grâce à la vie du sol (champignons, bactéries, vers de terre).

En effet, sur le long terme, les sols cultivés en conventionnel vont être beaucoup moins stables et moins résistants aux pluies. Par conséquent, ils sont lessivés par les averses. A contrario, lorsque la vie du sol travaille et décompose cette matière organique, elle va le structurer, le régénérer et lui permettre de durer dans le temps. 

En ce qui concerne l’agroforesterie, sa visée est de ramener de la biodiversité et par voie de conséquence plus de résilience et moins de ravageurs comme les pucerons dans les cultures. C’est aussi créer de la synergie entre ces dernières. Mettre l’arbre en avant car il va aller prendre en profondeur des éléments nutritifs mais aussi stocker du carbone. Une partie de ses racines meurt chaque année et les feuilles qui tombent au sol entretiennent le cycle de la matière organique, ce qui permet d’avoir une bonne fertilité dans son système.

« Le but, c’est d’avoir une production supplémentaire avec les fruits, on a beaucoup de pommes, de poires, de coings. On cherche la diversité alimentaire. On essaie d’avoir une assiette aussi bien riche en légumes qu’en fruits locaux » nous explique Oriane Haelewyn, ingénieure agronome de formation, co-fondatrice de l’Arbre et nouvellement responsable du pôle agroécologie et alimentation durable

Dans ce système agroforestier, on retrouve une centaine de poules pondeuses qui permettent de diversifier leur production alimentaire et nettoient en grande partie les zones en fin de culture afin de préparer les prochaines. C’est le système de polyculture-élevage.

Ateliers et lieu de rencontres

Au Jardin de deux’main et à l’Arbre, l’équipe organise divers ateliers. D’abord « Tambouilles », un laboratoire de transformation végétale qui s’inscrit dans une démarche zéro déchet avec des pots en verre consignés mais aussi :

« qui a pour dessein de ramener des gens qui ne font pas la cuisine tous les jours vers des produits faciles à consommer, faciliter la cuisine pour des familles qui n’ont pas forcément le temps, car c’est long de travailler des produits bruts ».

Entre pickles, confitures, compotes, ratatouilles et sauces tomates, ils veulent montrer aux participants que consommer bio est accessible à tous. En lien avec l’Arbre, ils développent des ateliers de cuisine et zéro déchet et souhaiteraient commencer des formations avec des professionnels intéressés par la transformation.

Et pour s’assurer que chacun.e puisse acheter des légumes bio malgré de petits revenus, ils acceptent désormais les tickets restaurant comme moyens de paiement, afin que l’accès à une nourriture saine de leurs salariés soit partiellement prise en charge par les employeurs.

Il y a ensuite les Graines de demain, une petite association qui existait avant l’Arbre. Tous les mercredis, une quinzaine d’enfants sont accueillis à la ferme pour des activités autour du vivant en lien avec les ressources locales. 

« L’idée c’est de les amener à consacrer du temps à être ensemble dans la nature, en collectif car c’est très important pour nous de transmettre ce vivre ensemble qui est un apprentissage de bonnes pratiques qui se créent dès l’enfance. »

Pour Oriane, l’important est d’abord de passer du bon temps ensemble, même s’il y a une volonté de les préparer à être les citoyens de demain.

« Après, c’est sûr qu’en les amenant dans la nature, ils développent une sensibilité, un attachement au vivant. C’est fou d’entendre leurs remarques pleines de naïveté et en même temps pleines de pertinence. Une fois, une petite fille m’a dit « mon époque préférée de l’histoire, c’est celle où il n’y avait pas de déchets ».

Le tiers-lieu l’Arbre où se déroulent ces ateliers a été créé en 2020 après le confinement. C’est un espace écologique et de cohésion sociale où une programmation agricole et culturelle est proposée tout au long de l’année.

Un gîte étape appelé coliving permet d’accueillir une quinzaine de personnes que ce soient des stagiaires, des saisonniers des alentours ou encore des touristes dont des randonneurs et des cyclistes de la vélo-maritime qui passe à côté du lieu.

« L’objectif, c’est de faire découvrir aux gens un mode vie écologique et simple. Un coliving zéro déchet, 100 % vrac où l’on mange des légumes du coin, bio et local. On a aussi une salle de spectacle qui peut accueillir jusqu’à 80 personnes où l’on propose plein d’activités comme des concerts ou encore des formations. »

Ce dernier est créé sous forme d’association structurée en gouvernance partagée et fonctionne via des groupes de projets nommées « branches ». Il y a par exemple la branche évènement qui s’occupe entre autres des guinguettes de l’été du mardi ou encore la branche bâtisseurs pour ce qui concerne les travaux. Leur organisation s’axe autour de l’intelligence collective qu’ils essaient de mettre en place avec des outils comme la communication non-violente ou encore la sociocratie.

« L’intelligence collective, c’est la base mais ce n’est pas évident. Le contraste de ce que l’on peut apprendre dans les bouquins lorsqu’on s’y intéresse et le vécu réel est parfois costaud mais c’est tellement passionnant. Je pense que l’on devrait apprendre ça dès l’école. La priorité pour nous, c’est de construire ce qui est adapté au mieux pour notre lieu, c’est un peu comme en agroécologie, il n’y a pas de recette magique ».

Tous les ans, ils organisent le festival « Soyons demain » qui a lieu sur deux jours. Cette année, ils ont organisé un disco-vélo pour faire venir des gens de Bayeux (la ville la plus proche) en convoi de vélo musical et joyeux. En ont découlé des tables-rondes autour de la mobilité douce et active, de l’agriculture bio et locale. On y retrouve aussi des activités pour enfants, des jeux en bois, une exposition autour du réchauffement climatique, une friperie, un marché de producteur bio et des concerts le soir.

« Notre grande fierté, c’est qu’on a réussi à faire à manger tous les soirs pour les festivaliers donc 150 personnes, nourries avec une belle assiette diversifiée de produits locaux, bio et végétariens ».

Quand on demande à Oriane, ce qu’est « être demain », elle nous répond en riant :

« On essaye déjà d’être aujourd’hui ! Pour nous, c’est ce pouvoir de l’imagination, du rêve. Je pense que dans le soyons demain il y a le côté « Et si ? » de Rob Hopkins qui est un auteur qui m’a beaucoup inspirée dans le fait de me projeter dans un avenir souhaitable, respectueux du vivant et des humains. Le demain, c’est cette philosophie de rêver positif et un possible qui sera riche pour tous et toutes… dans un monde qui s’effondre. Recréer de la cohésion sur les questions d’environnement même si la bataille est loin d’être gagnée. Du, coup, comme la bataille est loin d’être gagnée, la priorité, c’est aussi de passer de bons moments ensemble, c’est ce qui fait sens. »

Afin de pouvoir diffuser ces idées, il faut ouvrir les fermes qui font de l’agroforesterie, que, petit-à-petit, les agriculteur-trices se disent que cultiver la terre autrement est possible. Que cela devienne la norme. Au vu de l’urgence actuelle, il devient impératif de se mettre à travailler sur ces sujets-là car c’est une question de santé mentale et globale. Il faut agir pour plus grand que nous car nous faisons partie d’un tout et nous avons des responsabilités envers les Hommes et le vivant. 

Pour Oriane : « il faut inviter tout à chacun et chacune à venir s’engager dans les tiers lieux et les fermes agroécologiques. S’intéresser à tout ça pour que l’on fasse commun. Il y a de la place pour tout le monde dans ces projets-là mais aussi pour toutes les idées tant qu’elles vont dans le sens de la protection du vivant et des humains. »

Crédit photo couv. – Le Jardin de deux’main