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L’Assemblée nationale a adopté une loi légalisant la vidéosurveillance par drones et aéronefs

Dans ses conclusions, la Défenseure des droits Claire Hédon, en poste depuis juillet 2020, alerte sur le fait que l’usage de ces drones risque de dissuader des personnes voulant manifester, de crainte d’être filmées, alors qu’il s’agit d’une liberté publique protégée constitutionnellement. Même son de cloche chez Amnesty International.

L’Assemblée nationale a adopté le projet de loi sur la responsabilité pénale et la responsabilité intérieure. Promulgué officiellement pour répondre à l’émotion causée par l’affaire Sarah Halimi, ce texte renferme en fait un arsenal de mesures sécuritaires dont certaines avaient été censurées par le Conseil Constitutionnel dans le cadre la loi pour une sécurité globale préservant les libertés. Parmi ces mesures : l’autorisation de la surveillance policière par drone, pourtant retoquée à plusieurs reprises par le Conseil d’État durant les confinements. Les associations et la Défenseure des droits dénoncent une atteinte au droit à la vie privée et un outil de répression sans garde-fou.

La bataille des drones policiers

Il a tenu sa promesse. Au lendemain de la censure du Conseil constitutionnel de l’utilisation des drones par les forces de l’ordre, Gérald Darmanin avait déclaré dans le Parisien qu’il trouverait un moyen de faire voler des drones « extrêmement efficaces dans la lutte contre la drogue, les rodéos motorisés et la maîtrise de l’ordre public.

Exfiltrés de la loi Sécurité globale, les caméras aéroportées, et notamment les drones, reviennent donc discrètement dans l’article 8 du projet de loi sur l’irresponsabilité pénale.

Pour éviter une nouvelle censure, Beauveau a soigneusement modifié quelques lignes du texte pour donner à la vidéosurveillance aéroportée un semblant de cadre juridique pérenne.

S’il y a bien quelques améliorations, comme la réduction de la durée de conservation des données et l’interdiction de traiter les images par drone avec des logiciels de reconnaissance faciale, les modifications restent tout de même marginales.

« Ils ont changé quelques dispositions, mais cela reste du cosmétique. Il faut bien comprendre que la place du gouvernement n’est pas simple car le Conseil Constitutionnel a censuré le drone mais n’a pas donné d’indications précises, mais les problèmes de fond n’ont pas été corrigés car ils ne peuvent pas l’être. » précise Arthur Messaud, juriste à la Quadrature du net, association de défense des libertés qui lutte contre la censure et la surveillance, pour La Relève et La Peste

Parmi ces problèmes : la question de savoir qui autorise la surveillance et qui contrôle la légalité de la surveillance, soit une disproportion dangereuse entre les pouvoirs dont auraient disposé les forces de l’ordre et les garanties accordées aux citoyens, que le Conseil Constitutionnel avait relevé.

Crédit photo : ANTOINE LORGNIER / Only France via AFP

« Si on compare l’usage de drones avec les caméras dans la rue, au moment où la municipalité va autoriser leur mise en place, elle va devoir justifier à l’avance quel type d’infraction la caméra va surveiller. Il faut que les personnes qui mettent ces caméras le justifient et qu’il y ait ensuite un contrôle extérieur par une autorité indépendante de la police. C’est normal pour des questions de mise sous écoute. » explique Arthur Messaud, juriste à la Quadrature du net, pour La Relève et La Peste

Ainsi, ce projet de loi délègue aux seuls préfets, soumis à la tutelle de l’Etat, le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de ces mesures très intrusives qui ont moins de garanties de respect des libertés que la vidéosurveillance classique.

Mais les drones ne sont pas les seuls outils légalisés par ce projet de loi qui ouvre la voie pour tout « aéronef » utilisé par la police (alinéa 2 de l’article 8) :

« C’est-à-dire qu’il légalise non seulement la surveillance par drones, mais aussi celle faite par hélicoptère ou par avion, une surveillance réalisée depuis longtemps par la police en toute illégalité – sans qu’aucune institution (en particulier pas la CNIL) ne soit venue la gêner, et sans qu’aucun responsable ne soit condamné. » dénonce la Quadrature du Net

Lire aussi : La loi sécurité globale veut banaliser la vidéosurveillance par hélicoptère

Une pratique irrespectueuse des droits humains

La Quadrature du Net n’est pas la seule organisation à alerter sur les atteintes au droit humain que pose l’usage de caméras aéroportées pour surveiller la population. Amnesty International et La Défenseure des droits dénoncent aussi une atteinte au droit à la vie privée et une entrave à la liberté d’expression.

Dans ses conclusions, la Défenseure des droits Claire Hédon, en poste depuis juillet 2020, alerte sur le fait que l’usage de ces drones risque de dissuader des personnes voulant manifester, de crainte d’être filmées, alors qu’il s’agit d’une liberté publique protégée constitutionnellement. Même son de cloche chez Amnesty International.

« En France, des manifestants ont parfois reçu des contraventions après avoir été identifiés à l’aide de caméras de vidéosurveillance, et ce, pour des infractions problématiques au regard du droit international, notamment pour participation à des manifestations interdites alors que l’interdiction était abusive : ce type de pratiques illustre comment le fait d’être filmé dans des manifestations peut aboutir à des sanctions, et aboutir ainsi à décourager les individus d’exercer ce droit. » explique l’ONG dans un communiqué

Lire aussi : Des manifestants reçoivent des amendes « sans contact » : fichés puis identifiés par vidéosurveillance

Amnesty International rappelle notamment que dans le droit international, la surveillance peut être légale lorsqu’elle est nécessaire, ciblée, fondée sur des preuves suffisantes d’actes répréhensibles, et autorisée par une autorité strictement indépendante, comme un juge. Ce qui n’est pas le cas pour la France qui n’a jamais étudié les résultats de la vidéosurveillance fixe et piéton pour justifier de leur utilité et de la soi-disant nécessité d’y ajouter la surveillance par des caméras aéroportées.

« Parmi les problèmes posés par la surveillance par drone, la police n’arrivera jamais à informer le public qu’il est surveillé quand ils décident d’en envoyer un en l’air puisque le drone se déplace constamment. De plus, une caméra aéroportée va identifier des choses qui ne sont pas ciblées, que ce soit dans la rue ou en survolant des bâtiments publics et privés en voyant ce qu’il se passe à l’intérieur. En matière de surveillance, la France a donc une place singulière car elle veut s’écarter le plus possible de l’état de droit européen. Il y a vraiment un clash très net et revendiqué de la part du gouvernement français. En réalité, les policiers disposent déjà d’un bel arsenal d’outils de surveillance. Le drone est une partie d’un appareil bien plus large que nous dénommons la Technopolice, mais c’est un symbole ultra-important à combattre pour dire que la surveillance n’est pas acceptée par la population et n’est pas normale. » détaille Arthur Messaud, juriste à la Quadrature du net, pour La Relève et La Peste

Le cas de Jean-Michel Mis, le député LaREM qui est rapporteur de cette loi, est également intéressant à étudier. Il entretient non seulement des liens étroits avec la police, mais aussi avec les entreprises développant et produisant ces outils de vidéosurveillance.

Lire aussi : L’Etat commande 651 drones de surveillance pour un coût de 3,5 millions d’euros HT

Comme le relève la Quadrature du Net, sur son site Internet, Jean-Michel Mis reprend ainsi le discours marketing sécuritaire d’Idemia sur la reconnaissance faciale (en disant notamment qu’il est « essentiel en France de permettre à des entreprises comme Idemia d’expérimenter ces nouvelles technologies »), et souhaite utiliser « les grands évènements sportifs », comme les JO2024 de Paris, comme vitrine pour vendre les outils de surveillance français à l’étranger.

« Cette ligne politique est annoncée depuis deux ans : la primauté des intérêts l’industrie sur ceux de la société civile. En France, il y a une industrie très forte autour de la défense mais aussi de la surveillance. Ses entreprises ont une peur terrible de perdre des parts de marché, le rôle de l’État devient donc de s’assurer que cette industrie de pointe reste combattive en transformant les citoyens français en rats de laboratoire pour vendre ces outils partout dans le monde. » dénonce Arthur Messaud, juriste à la Quadrature du net, pour La Relève et La Peste

Au-delà de ces intérêts industriels, c’est pourtant tout un projet de société qui a été mis en place sans aucun débat démocratique et aucune concertation de la population, avec un gouvernement continuant de faire la sourde oreille aux associations et instance de protection des droits humains.

Pour ces dernières, le combat pour les libertés ne fait que continuer. Elles sont prêtes à remonter au niveau européen pour faire sanctionner cette loi sur le long terme.

Laurie Debove

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