« Si tu crois que l'aventure est dangereuse, essaie la routine, elle est mortelle ». Tel le reflet de cette citation de l’auteur Paolo Coelho, les forêts et les cours d’eau se meurent dans les images statiques que la plupart des humains leur octroient. La biodiversité, le Vivant sont modelés par des dynamiques de perturbations naturelles qui ont une longue histoire évolutive avec la forêt. Ce poumon géant danse au rythme des pulsations de ses transformations par lesquelles sa régénération devient possible. Mais, cette forêt ne peut vivre que grâce à de petites mains ingénieuses qui œuvrent à ces perturbations ; assurant ainsi le maintien d’une hétérogénéité et d’une diversité floristique. Nous vous invitons à découvrir une espèce mystérieuse et nocturne : bienvenus dans le monde fascinant du blaireau !
Le blaireau une espèce ingénieure
Le mot blaireau désigne une forme écologique (écomorphe) de mustélidé fouisseur qui a évolué à plusieurs reprises de manière indépendante donnant quatre sous-familles au sein des Mustélidés : les Mélinés avec le blaireau européen (Meles meles) et le blaireau-cochon à gorge blanche asiatique (Arctonyx) ; les Mellivorinés avec le ratel ou zorille africain (Mellivora) les Taxidiinés avec le blaireau américain (Taxidea) typique de la Grande Prairie nord-américaine ; enfin les Hellictidinés avec les trois espèces asiatiques de blaireaux-furets (Melogale).
Notre ami le blaireau est vêtu par un pelage gris argenté avec un masque facial distinctif, digne de nos plus beaux carnavals. Il mesure jusqu’à 70cm (90cm avec la queue) et pèse de 12kgs à 20kgs. Il est le plus grand représentant de la famille des mustélidés en Europe. L’une de ses activités phares est le fouissage, c’est-à-dire qu’il creuse le sol pour y installer ses terriers, son lieu de vie ce qui fait de lui une espèce ingénieure.
Le blaireau, un terrassier professionnel
Par sa morphologie, le blaireau est un bâtisseur né. Il possède une large omoplate où sont fixés de robustes muscles, un humérus solide, un radius raccourci et des os des mains (carpe, métacarpes et phalanges) trapus, pourvus de longues griffes permettant de creuser un sol compact.
Il construit son propre terrier, même s’il dispose d’un antre abandonné. Le blaireau est un animal propre, et pour éviter d’avoir le museau rempli de terre pendant ses heures de construction, il ferme tout simplement ses narines. Sa technique : creuser avec les griffes de ses pattes antérieures jusqu’à retirer une certaine quantité de terre, puis ensuite il arrondit son dos pour repousser le tout avec ses pattes postérieures. Il recule ainsi jusqu’à l’entrée du terrier.
Son logis lui est essentiel : il l’occupe une très grande partie de l’année pour se reposer, hiberner, s’y reproduire et éduquer ses petits. A l’instar des catacombes parisiennes ou des fascinantes fourmilières, sa tanière est un vaste réseau complexe de tunnels et de chambres pouvant aller jusqu’à plusieurs mètres de profondeurs. Ces logis sont caractérisés par plusieurs entrées marquées pas un tas de déblai et des gouttières creusées à force de passage.
Ces véritables reliefs naturels provoquent des perturbations qui ont un impact direct sur la biodiversité. Il a été mis en lumière, dans une étude polonaise, les transformations générées par le terrassement des blaireaux. Entre autres : le renversement d’un processus naturel. Celui de l’acidification de la terre en surface (ph bas) pendant que le lessivage par l’infiltration de l’eau de pluie entraîne les ions alcalins en profondeur.
En effet, le pH du sol remué près des tanières est plus élevé que dans les sols environnants des forêts (sécrétions des racines et accumulation de litière en surface). Ceci s’explique par le fait qu’en déplaçant une grosse quantité de terre profonde plus alcalines en surface, cette dernière s’enrichit en minéraux tels que le calcium, le potassium et le magnésium, favorables à la nutrition d’une plus large gamme d’espèces végétales.
Expliqué de cette façon, on ne comprend pas tout de suite l’intérêt de ce renversement, et pourtant ! l’élévation superficielle induite du pH rend disponible un élément minéral essentiel à la nutrition végétale, j’ai nommé : le phosphore. Cependant, comme le Vivant est construit autour des polarités, il faut tout de même relever que le retournement des couches entraine une baisse en surface des quantités de matière organique qui s’y accumule : azote et carbone deviennent moins disponibles dans la terre remuée autour des tanières.
Ces bioperturbations se jouent à petite échelle mais restent non-négligeables en termes de d’aggradation de la biodiversité.
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Le blaireau, défenseur des plantes fugitives
Comme sa cousine la taupe, le blaireau, en modifiant la nature chimique du sol, permet l’apparition de végétaux spécifiques à ce mini-écosystème, endémiques des terres remuées. Bénéficiant temporairement de non compétition, on y trouve : la chélidoine, la grande ortie, la laitue des murailles et la benoîte urbaine.
Avec l’impossibilité de germer dans la litière dense et ombragée du sous-bois, elles profitent des ouvrages des blaireaux exposés à la lumière pour pousser rapidement et favoriser leur installation. Ces plantes jouissent des énormes quantités de calcium, de magnésium et de potassium remontées des entrailles de la terre.
Les blaireaux créent ainsi des ilots différenciés éparpillés au sein des massifs forestiers, assurant le maintien d’une hétérogénéité et de la diversité floristique.
Végétal typique de nos forêts, la mousse profite aussi du travail des blaireaux. Typiquement, elle profite du déracinement d’un arbre et donc du puits de lumière créée dans la canopée pour s’installer durant quelques années avant que la végétation ligneuse ne reprenne le dessus.
Toujours par le biais de ces études polonaises, il a été vérifié après une analyse de mousses prélevées dans un rayon de 5-6m autour de ces tanières et comparées à celles sur des sites loin des tanières, que sur 55 espèces recensées, 26 n’ont été trouvées que sur les tanières.
Son activité de fouisseur permet donc l’aération des sols, l’apport de phosphore, le développement d’une certaine communauté végétale et, un rôle crucial dans l’essaimage des graines qui contribue à la diversité végétale. Il consomme des quantités astronomiques de fruits charnus dont les graines (noyaux, pépins) se retrouvent intactes dans les déjections déposées dans les latrines : c’est l’endozoochorie, un mode de dissémination des graines par les animaux.
Un colocataire indulgent
Pour l’anecdote, quand vous irez pister ou simplement vous balader en forêt, si vous tombez devant l’entrée d’une tanière de blaireau bouchée par des os, des plumes ou encore des carcasses, sachez que cet espace est partagé avec un renard.
La grande différence entre le renard et le blaireau au grand dam de ce dernier, et que le mustélidé est très propre et possède ses latrines à l’extérieur de son logis. Cette cohabitation déjà difficile, notamment pour une question d’hygiène, est démultipliée lorsque le renard dégaze en entendant venir un intrus près du logis commun. Le blaireau, cette vraie marmotte, préférera, s’il se réveille, rester terré chez lui, devenant ainsi victime de la fuite malodorante de son colocataire !
Le terrier du blaireau sert aussi de logis à plusieurs autres espèces : lapins, chauves-souris, chats forestiers ou Petit rhinolophe.
Des menaces pèsent fortement sur le blaireau. La destruction de son habitat, les collisions avec les véhicules et la chasse sont autant de dangers pour cet animal nocturne et ingénieur. Mettre en place des corridors écologiques et préserver nos forêts sont autant d’outils pour préserver cette espèce. Cohabiter avec lui, c’est démultiplier notre compréhension du Vivant et contribuer à la régénération de la biodiversité.
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