Face au nombre de logements laissés vacants dans les grandes villes, l’urbanisme transitoire se présente comme une solution qui permet de transformer l’occupation temporaire en outil de stabilisation et les lieux vides en lieux de vie. C’est la mission de Caracol, une association qui occupe légalement des logements vacants, grâce à des conventions spécifiques avec les propriétaires, afin d'y créer des colocations entre personnes réfugiées et locales.
Une forte tension sur le logement en métropole
Première source de dépense des ménages, le logement, pourtant synonyme de sécurité, est un poids qui pèse sur les Français. Dans son rapport intitulé Pierre par pierre, bâtir de meilleures politiques du logement paru en juin 2021, l’OCDE indique que le poids du logement dans les dépenses des ménages avait progressé de 20 % entre 2005 et 2015. Associé aux prix hors inflation des logements qui ont progressé de 88 % en vingt ans.
Ces phénomènes paupérisent les ménages et rendent difficile l’équilibre des programmes de logements locatifs sociaux ou intermédiaires. La situation s’est aggravée suite à la politique menée par le Gouvernement depuis 2017 qui fragilise le logement social et réduit les aides personnelles au logement qui sont la principale aide pour les ménages les plus pauvres. Enfin, si le développement du logement social reste essentiel, la difficulté d’y accéder fait ressortir le besoin de logements intermédiaires dans les grandes métropoles.
Pourtant, la France est l’un des pays d’Europe où on construit le plus de logements.68% de la consommation d’espaces est à destination de l’habitat : le stock de logements augmente chaque année de 350 000 unités, dont 250 000 résidences principales, 50 000 résidences secondaires et de tourisme et 50 000 logements vacants.
La Direction générale du Trésor avait d’ailleurs, en 2020, montré que le nombre de logements (36 millions) dépassait de nouveaux ménages (29 millions). Cela signifie que près de deux logements sur dix ne sont pas occupés en tant que résidence principale par ménage.
34 % des résidences secondaires sont détenues par des ménages aisés français, situées plus ou moins loin de la résidence principal du détenteur. Pour inciter les propriétaires à remettre les logements sur le marché immobilier, le gouvernement français a décidé de supprimer la taxe d’habitation pour les résidences principales et de surtaxer les résidences secondaires.
La hausse de logements s’explique également par la décohabitation, qui est la réduction du nombre d’occupants par logement en raison des modes de vie, et la métropolisation qui concentre les populations sur les territoires des grandes villes et en vide certains autres. Cela aboutit donc à produire les logements vides pendant qu’on en construit d’autres ailleurs. L’Observatoire des territoires fait ressortir une « diagonale du vide » des logements vacants et les zones où les résidences principales sont en situation de sur-occupation.
Tant de chiffres qui illustrent l’importance d’occuper et faire revivre des lieux vides face à la crise du logement. C’est dans l’objectif de la création d’une fabrique de la ville par et pour ses usagers que l’urbanisme transitoire fait son apparition dans les pratiques d’aménagement à partir de la fin des années 2000. Caracol se positionne dans la défense du droit à la ville, dont l’habitat est une composante primordiale, à l’interface des univers de l’hébergement et du logement accessible.
Les lieux vides transformés en lieux de vie
Depuis 2018, Caracol est le premier acteur associatif en France à développer cette activité et à se poser comme un intermédiaire de confiance entre propriétaires, collectivités et habitants. Bénéficiant d’un agrément de l’État au titre de l’article 29 de la loi Elan pour convertir des bâtiments vacants en logement, sa mission repose sur le développement d’un processus participatif autour de l’aménagement du bâtiment et de la vie commune en constituant des collectifs autonomes dans la gestion du lieu et dans son ancrage local.
Ce qui se traduit par l’occupation temporaire des lieux vacants afin d’y créer des colocations solidaires multiculturelles entre personnes réfugiées, exilées, étudiants ou habitants locaux. Elles occupent plus de 21 000 m2 d’espace depuis sa création et sont représentées par 40 pays.
Pauline TERESTCHENKO, ancienne colocataire et maintenant co-présidente de Caracol, explique pour La Relève et La Peste l’avantage économique de l’association : « Le loyer n’est pas facturé à proprement parler aux locataires, ce sont des redevances entre 75€ et 200€, qui varient en fonction du revenu actuel plutôt que du statut administratif ».
Un cercle vertueux entre propriétaires et locataires
Pour une réalisation rapide et maîtrisée des projets, Caracol réunit un écosystème d’acteurs experts et chaque colocation se crée par la prise en compte des intérêts de tous, propriétaires, futurs résidents, voisins & associations locales.
Côté propriétaire, transformer son bien immobilier vide en colocation apporte une solution face au gouffre financier que représente l’inoccupation de son espace. Ce nouveau mode d’habitat innovant, solidaire et écologique redonne à la fois de la valeur à sa propriété.
« Il y a parfois des appels à projets pour occuper des bâtiments vides qui sont en attente de travaux, mais aussi des démarches directes des villes, parce que ce ne sont pas seulement des propriétaires privés, mais aussi des gros bailleurs immobiliers » ajoute Pauline à La Relève et La Peste.
Des habitats coopératifs créateurs de partage et d’opportunités
Parallèlement aux phénomènes urbains, les questions d’accueil et d’intégration des nouveaux·elles arrivant·e·s se posent. En France, les personnes réfugiées ayant reçu le statut de protection internationale, passent sous l’égide du droit commun et ont souvent trois à six mois pour trouver une solution de logement et quitter le centre d’hébergement, ce qui compromet leur insertion à tous niveaux.
Une part importante des lieux vides peut être habitée et représente pour beaucoup de vivre dans un cadre agréable à un prix abordable. Habitante de Paris, Pauline confirme que le poids du loyer est un vrai sujet. Dans ce contexte, « intégrer une colocation Caracol laisse la porte ouverte pour faire d’autres choses ».
En plus d’être un accompagnement social pour l’accès aux droits, à l’emploi et au logement, ces colocations permettent l’implication et l’autonomie des habitants dans leurs logements, leur transmet les bonnes pratiques écoresponsables et favorisent la création d’un réseau.
💡Ce cadre permet aussi la mise en place d'initiatives habitantes et le lancement de projets pro.
🎭 Nidal, colocataire syro-ukrainien, a crée le Collectif Nafass qui réunit des artistes multinationaux afin de présenter des expériences théâtrales dans le cadre de festivals. pic.twitter.com/S8kfTzMcBS— Caracol Colocations 🏠👇 (@Caracol_Colocs) March 17, 2022
À travers la construction d’un lieu de vie commun et le partage d’espace quotidien dans un environnement stimulant et créatif, les colocations permettent de créer du lien entre les résidents aux parcours de vie et aux cultures différentes. Le tout avec un bilan carbone au plancher. Puisque par définition, valoriser l’existant plutôt que détruire pour refaire, s’inscrit dans une démarche éco-responsable. Et aussi à l’échelle micro, via les initiatives portées par les habitants qui essayent d’aménager leur logement à moindre coût, notamment avec de la récupération.
Ces lieux de vie peuvent même changer positivement des trajectoires de vie et avoir un impact social important à l’échelle de la société si on le généralise. En plus de favoriser l’insertion, elle se pose également comme un terreau de développement de nouveaux projets professionnels.
Pauline a fait partie de la première colocation « Rousseau » de 25 personnes dans le centre Paris en face du Louvre, qui a créé un point de bascule pour Caracole de par sa médiatisation. Elle nous explique les initiatives qui sont nées dans ce lieu de vie : « J’ai pu quitter mon travail, monter mon école de danse Swag pendant cette année-là, et organiser les premiers cours dans la colocation ».
Elle ajoute : « des profils remarquables sont passés par cette colocation, notamment Mortaza Behboudi, un journaliste franco-afgan qui travaille beaucoup sur les questions de migration ».
En 2023, il se rend dans son pays d’origine pour faire un reportage, où il finira emprisonné pendant six mois par les talibans. Pauline et d’autres colocataires ont rejoint le comité de soutien pour sa libération, initié par Reporters sans frontières, qui a finalement permis la fin de sa détention.
Actuellement présentes dans six départements, les colocations Cacacol sont ouvertes pour un an minimum et jusqu’à cinq ans. « Il y a de plus en plus de projets qui s’étendent sur la durée parce que c’est permis par les propriétaires » finit Pauline. L’objectif de Caracol est aussi de sortir du temporaire pour aller vers du du pérenne.