Espèce endémique du littoral aquitain, le lézard ocellé (Timon Lepidus) est menacé en France. A Tarnos, la plage de la digue et ses nombreux blockhaus abritent l’une des plus grandes populations d’Europe de ce reptile. Pourtant, cet écrin privilégié risque d’être détruit par un projet de contournement routier. Face à la menace, l’association Rewild a déposé une plainte au tribunal administratif, la SEPANSO une requête en justice et un collectif citoyen s’est formé pour exiger la fin de ce projet routier écocidaire.
Une route sur le cordon arrière dunaire
Le lézard ocellé, de son nom scientifique Timon Lepidus, est le plus grand lézard d’Europe. Placé sur la liste rouge des espèces en danger au niveau national et protégé au niveau international par la convention de Berne, le lézard ocellé est le sujet d’un Plan National d’Action, d’abord de 2012 à 2016, puis reconduit en 2020 pour 10 ans qui vise à le protéger.
Et pour cause, il a subi un déclin généralisé en France et de nombreuses populations ont disparu, principalement à cause des modifications de pratiques agricoles, de la perte de son habitat et de l’urbanisation, des changements climatiques et de l’impact des animaux domestiques. Sa répartition est donc très morcelée. La population atlantique se situe sur le littoral, de la Vendée jusqu’au sud des Landes, à Tarnos, où le nombre de lézards est d’une abondance exceptionnelle.
Pourtant, la commune de Tarnos projette de construire une route sur le cordon arrière dunaire dont l’objectif serait de « canaliser le public en organisant la fréquentation sur le littoral », et ce à la demande du Conseil Départemental des Landes. Cette route de 2,5km de long a même été reconnue d’utilité publique, alors qu’elle viendrait détruire un sanctuaire inestimable pour le lézard ocellé.
Coût de la route : 6,5 millions d’euros d’argent public. Interrogée par le journal Sud Ouest, la sous-préfète de l’arrondissement de Dax Véronique Deprez-Boudier justifie ce projet routier par le caractère « unique du site », qui comprend à la fois un terrain militaire, une zone industrielle et une zone portuaire, dont le but des aménagements serait de « protéger l’espace dunaire et de sécuriser la zone ».
Une justification « surréaliste » et « hors-sujet » selon le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) qui a émis un avis défavorable au projet, le 30 avril 2019, dans lequel il ne mâche pas ses mots sur le manque de rigueur des études environnementales soi-disant effectuées pour mesurer l’impact de la route sur le cordon dunaire :
« L’absence de recherche d’une solution de moindre impact, ici pourtant existante, rend presque sans objet le reste de la séquence Eviter-Réduire-Compenser, tant cet aspect est rédhibitoire. Même si l’on ne tenait pas compte de cette carence majeure, le dossier présente de fortes insuffisances telles que la non réalisation de l’objectif de zéro artificialisation nette ; la non transparence de l’ouvrage (les passages de petite faune tels que décrits ne permettent pas d’avoir l’assurance de leur efficience et fonctionnalité au moins pour le Lézard ocellé)et l’absence d’étude d’impact de la route sur la mortalité attendue du Lézard ocellé ; l’atteinte à une végétation dunaire qui bien qu’altérée, n’en reste pas moins à caractère endémique. »
Il n’en fallait pas plus à Rewild, un regroupement d’associations environnementales, pour lancer en urgence la demande d’annulation par le Tribunal Administratif de la nomination d’intérêt public accordée par le préfet des Landes, mais aussi à un collectif citoyen de se créer pour sauver le lézard ocellé.
Une mobilisation citoyenne et juridique
Si le défrichement a déjà commencé, les travaux sont pour l’instant en suspens, sans doute dans l’attente de l’audience au Tribunal Administratif de Pau, prévue le 3 août, à laquelle Rewild va plaider en faveur de la protection de la dune, qui abrite d’autres espèces d’intérêt, animales et végétales. En effet, les dunes de Tarnos sont classées comme « ZNIEFF », c’est à dire zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique.
« L’action a été lancée fin juin 2020. L’annulation de l’acte peut prendre 1 an et demi, c’est pourquoi on demande un recours en annulation ET un référé de suspension. La condition d’urgence est établie en mettant en avant l’atteinte à l’espèce. Nous sommes soutenus par des herpétologues spécialistes du lézard ocellé comme Gilles Pottier, Florian Doré, Pierre Grillet, Marc Cheylan ou Jean-Marc Thirion. » précise Marion Crecent, avocate du dossier pour Rewild, à La Relève et La Peste
De plus, la déclaration d’utilité publique devient caduque le 20 août 2020. Déjà renouvelée une fois, la commune de Tarnos devra donc faire une autre demande de prolongation. Requête qui pourrait être très difficile à légitimer si jamais le Tribunal administratif de Pau donnait raison à Rewild qui compte s’appuyer sur la pétition lancée par le collectif citoyen « Sauvons le lézard ocellé » et une cyber-action qui envoie directement, à chaque signature, des emails à la Préfète des Landes et au Président du Conseil Départemental des Landes.
Si la logique voudrait que les travaux ne démarrent pas d’ici l’audience du 3 août, le collectif « Sauvons le lézard ocellé » garde un œil vigilant sur leur reprise potentielle. Les landaises et landais qui le composent sont tou.te.s déterminé.e.s à empêcher la bétonisation d’une dune sauvage et préservée.
« À quoi servent les institutions pour la préservation de la nature, les avis scientifiques et les travaux des spécialistes, si leurs expertises sont bafouées dans le seul but d’aménager une plage et de construire des parkings ? Ce scandale est à inscrire dans la trop longue liste des crimes environnementaux que les élus landais continuent de perpétrer, malgré leurs déclarations de bonnes intentions, au nom de l’expansion économique et de l’industrie du tourisme de masse. La population landaise ne le supportera pas sans réagir ! » expriment-ils dans le texte de leur pétition
Parmi les membres du collectif, certains sont des naturalistes ayant participé au recensement de la population exceptionnelle des lézards ocellés dans ce coin de France, et ayant étudié comment cette espèce sentinelle s’adapte aux changements climatiques.
Une espèce sentinelle
Le Lézard ocellé est une espèce ectotherme, ce qui veut dire que son niveau d’activité dépend des conditions thermiques. Il évite le froid et les fortes chaleurs : son optimum de température corporelle se situe autour de 34°C. C’est pourquoi les blockhaus et les pierres de la dune de Tarnos sont un refuge idéal pour lui : ils offrent à l’espèce une protection thermique ou contre les prédateurs, mais également des sites d’hibernation.
« J’ai travaillé 6 mois avec cette espèce : ce qui m’a surpris le plus, c’est que personne ne le connaisse alors que c’est le plus gros lézard d’Europe. Je trouve ça assez exceptionnel qu’il arrive autant à se cacher malgré sa taille ! C’était un régal de pouvoir contribuer à sa connaissance, et un petit trésor dans la journée quand on arrive à le photographier. » explique dans un sourire Maximilien, naturaliste et membre du collectif « Sauvons le lézard ocellé », à La Relève et La Peste
Avec l’association Cistude Nature, Maximilien a étudié la répartition de l’espèce le long du littoral conjointement avec des recherches météorologiques pour comprendre comment la population évolue en fonction de ces fluctuations climatiques au fil des années : c’est ce qu’on appelle une espèce sentinelle.
« Des études menées récemment sur les extinctions d’espèces ont montré que, sur plusieurs continents, des populations de lézards se sont éteintes en raison du réchauffement climatique. En cause, le stress hydrique provoqué par la diminution de la ressource en eau. Chez le Lézard ocellé, l’allongement des périodes chaudes estivales et le retard des pluies en fin d’été pourraient compromettre la réussite des pontes, par déshydratation des œufs ou par mauvais synchronisme entre les naissances et les conditions environnementales favorables à la survie des nouveau-nés. Parallèlement, le changement climatique, prédit par les experts du Groupe International d’Experts sur le Climat (GIEC), serait marqué par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des aléas climatiques dans l’Atlantique nord. Ceci pourrait accentuer l’érosion littorale et le recul du trait de côte et de la dune grise où certaines populations de Lézards ocellés subsistent. » précisent ainsi les chercheurs conduisant le Plan National d’Actions autour du lézard ocellé
Pour les naturalistes, il est donc primordial de préserver la dune de Tarnos afin de permettre le brassage génétique avec les autres populations de lézard ocellé, moins abondantes, réparties le long du littoral, et lutter contre le recul du trait de côte.
Les effets mortifères de la pression anthropique
A l’heure où la priorité devrait être accordée à la régénération du vivant, bétonner une dune semble une aberration écologique criminelle. Et si les promoteurs du projet justifient cette décision par la « canalisation » de la fréquentation humaine, le fait est qu’ils reconnaissent aussi vouloir « renforcer le développement de la zone industrialo-portuaire de Tarnos ».
Comme le pointe l’avis défavorable du CNPN, « cette perspective est synonyme d’accroissement du trafic et de futurs aménagements impactants », soit une conséquence opposée à la régulation prétendument avancée par la municipalité de Tarnos. Comme l’explique Bertrand, habitant de la commune et membre du collectif « Sauvons le lézard ocellé », pour La Relève et La Peste :
« En plus du lézard ocellé, l’idée est aussi de sauver un des derniers espaces de liberté qu’il y a à Tarnos : un endroit où on peut aller se baigner sans le bruit des voitures, très préservé et agréable. Il y a un autre site juste à côté de la Madrague qui pourrait être réaménagé et va être abandonné, sur les bords de l’Adour. Ils feraient mieux de réaménager l’existant plutôt que d’aller détruire la nature à 800 mètres ! Ce sont aux sites industriels de s’assurer que leurs limites soient bien respectées, on n’a pas besoin de route pour ça. A Tarnos, il y a moins d’érosion qu’ailleurs grâce à la digue. Ce projet est incohérent à tous les niveaux. »
Même son de cloche du côté de la SEPANSO Landes, une association de protection de l’environnement qui a déposé une requête au tribunal administratif de PAU pour obtenir l’annulation de la dérogation pour destruction d’espèce protégée et explique qu’une voie routière alternative peut être étudiée et envisagée, qui ne passerait pas dans les biotopes des espèces protégées. Au total, deux requêtes au fond ont été introduites, l’une par Rewild et l’autre par la SEPANSO Landes.
Le collectif « Sauvons le lézard ocellé », en plus de la pétition, a donc envoyé une série de lettre aux différents élus locaux pour leur faire prendre conscience de l’absurdité de la situation.
Le PNA sur le lézard ocellé rappelle ainsi que l’urbanisation est une menace majeure pour la biodiversité dans le monde. Les surfaces urbanisées ont augmenté de 58 000 km2 entre 1970 et 2000, et une augmentation du développement urbain mondiale de 1527000 km2 est attendue à l’horizon 2030 ! Les zones côtières ont été particulièrement exposées à la croissance de la population urbaine qui s’est accompagnée d’un tourisme de masse accélérant le processus de destruction des habitats naturels.
C’est pourquoi la France s’est engagée à un objectif de « zéro artificialisation nette » du territoire d’ici 2030, qui implique de réduire de 70 % l’artificialisation brute et renaturer 5 500 hectares de terres artificialisées par an !
Tout l’inverse de ce que projette le contournement routier de Tarnos, qui pourrait sans problème être qualifié d’écocide, mettant en danger la pérennité du lézard ocellé et le fragile équilibre de la dune. Affaire à suivre début août, dans les tribunaux, et sur le terrain, avec les protecteurs du dragon landais.