L’Alliance des lacs, une association rassemblant des citoyens et des élus municipaux de l’Essonne, réclame la reconnaissance d’une personnalité juridique au lac de Viry-Châtillon, ainsi qu’à son patrimoine environnemental. Cette mesure lui paraît l’unique manière de protéger le lac des épisodes réguliers de pollution et de sensibiliser la population à ses intérêts.
Le lac de Viry-Châtillon, régulièrement pollué
Composé de six bassins, le lac de Viry-Châtillon s’étend sur 77 hectares, à cheval entre la commune éponyme et Grigny, dans l’Essonne. En plein cœur d’une zone densément peuplée et urbanisée, à trente kilomètres de Paris à peine, ses eaux et ses berges accueillent toutes sortes d’espèces remarquables ou protégées : cygnes, cormorans, hérons cendrés, mouettes rieuses, sternes, grèbes huppés, autant d’oiseaux qui se nourrissent de ses ressources piscicoles.
Mais qui dit urbanisation dit aussi nuisances, poussières, déchets. Entre les mois d’août et décembre 2020, trois épisodes de pollution sont venus le rappeler.
« Le premier et le second incident provenaient du dysfonctionnement d’un réseau de collection d’eaux de lavage, nous explique Aurélien Peroumal, conseiller municipal d’opposition à Viry-Châtillon et cofondateur de l’Alliance des lacs. Un clapet s’est cassé et la vase s’est répandue, formant des nappes blanches sur le lac. »
Des résidus de lessive, vaisselle, douche, nettoyage, chargés de produits chimiques. Survenues au milieu de l’été, alors que l’étiage menace déjà la faune, ces pollutions n’ont laissé aucune chance aux poissons, dont des centaines ont été retrouvés sur les bords du lac.
C’est le bassin de l’Arbalète, pourtant classé espace naturel sensible (ENS) et zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), qui a été le plus durement touché. Le troisième épisode a eu lieu en décembre dernier.
« Cette fois-ci, c’était du sable, explique Aurélien Peroumal. Une unité de traitement des eaux de pluie a laissé se déverser un liquide sablonneux dont on soupçonne la provenance sur un chantier, en amont. La cause exacte est encore débattue. »
Dès que l’alerte est sonnée, la préfecture publie un arrêté suspendant la pêche. Des analyses de la qualité de l’eau sont commandées, qui révèlent que le charriage de sable ne met pas en danger la santé humaine. L’événement n’est donc plus classé dans la catégorie des pollutions.
« Mais pour la biodiversité, l’impact reste dramatique, déplore Aurélien Peroumal. En troublant l’eau, le sable entrave la photosynthèse, ce qui nuit à la vie piscicole… Nous avons une vision très étriquée de la pollution, qui est totalement sous-estimée, réduite à ses effets sur l’homme. »
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Pour le conseiller municipal, les trois épisodes s’inscrivent dans un contexte plus général d’expansion de la pollution.
« Si l’on regarde les vingt dernières années, les phénomènes sont de plus en plus fréquents et réguliers, pas seulement au lac de Viry-Châtillon. »
Depuis plusieurs années, par exemple, la rivière Orge, un affluent de la Seine traversant les Yvelines et l’Essone, est victime de cycles intempestifs de pollution, dont le dernier en date provient d’un déversement volontaire d’hydrocarbures dans les eaux usées.
Autre exemple : en août 2020, au lac d’Enghien (Val-d’Oise), 14 tonnes de poissons ont été décimées. À cause de la canicule, le niveau de l’eau et son taux d’oxygène ont diminué ; puis un orage écumant les hydrocarbures, les particules fines et les déchets des routes et les drainant dans le lac a fini d’asphyxier les poissons.
« Un peu de recul et une vision plus globale nous feraient comprendre que les pollutions sont partout, tout le temps », ajoute l’élu.
Donner une personnalité juridique aux lacs pour mieux les protéger
Voulant résoudre le problème à la racine, Aurélien Peroumal, Neal Saunier et Janna Boubendir, deux autres conseillers municipaux de Grigny et Viry-Châtillon, ont fondé l’Alliance des lacs, une association apartisane réclamant, entre autres, la reconnaissance d’une personnalité juridique au site actuel, ainsi qu’à son patrimoine environnemental, faune et flore inclues, évidemment.
« L’idée, c’est de s’inspirer des droits de l’homme, le droit qu’on appelle naturel, pour créer des droits de la nature, détaille Aurélien Peroumal. La reconnaissance d’une personnalité juridique au lac le doterait de droits et nous imposerait des devoirs, de protection, de sensibilisation, de gestion. On pourrait soudain défendre en justice cet espace naturel. »
À travers le monde, les exemples d’entités naturelles (fleuves, montagnes, biotopes, etc.) ayant acquis une existence juridique ne manquent pas. La principe infuse, irrésistiblement. Il est même devenu fréquent outre-Atlantique. En témoigne le lac d’Érié, l’un des cinq Grands Lacs d’Amérique du Nord (25 700 km2), autour duquel vivent 13,5 millions de personnes.
Le 26 février 2019, à l’occasion d’un référendum, 61,37 % des habitants de l’agglomération de Toledo, dans l’Ohio, ont voté en faveur d’une « Déclaration des droits du lac Érié » donnant à celui-ci le droit légal « d’exister, de prospérer et d’évoluer naturellement ».
Les habitants de Tolero peuvent dorénavant entamer des poursuites judiciaires contre d’éventuels pollueurs. Cette victoire est le fruit de décennies de pollution aux cyanobactéries, engrais, fumiers, ruissellements urbains, hydrocarbures…
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Au Canada, ce 23 février, la rivière Magpie, qui traverse le Québec sur 300 kilomètres, s’est également vue octroyer une personnalité juridique par les instances locales, à travers deux résolutions. Se fondant sur des lois municipales, provinciales et internationales déjà en vigueur, la première résolution accorde au cours d’eau neuf droits, tels que le respect de ses cycles naturels, le maintien de son intégrité ou celui d’être défendu en justice.
La seconde prévoit la nomination de gardiens de la rivière, qui auront pour charge de veiller sur ses droits et d’assurer une intendance et une mise en valeur plus décentralisée. Cette mesure est une grande première au Canada.
« La proposition de l’Alliance des lacs va dans le même sens », commente Aurélien Peroumal. Conscient qu’elle ne sera pas adoptée de si tôt, le conseiller municipal de Grigny envisage d’abord sa portée symbolique, la philosophie qui s’en dégage. « L’idée d’accorder au lac une personnalité juridique permet de poser une question essentielle : quel est notre rapport aux lacs, aux forêts, à la nature, au vivant ? À Grigny, cela nous concerne totalement, car l’urbanisation s’accélère. »
À l’époque d’une pandémie provoquée la transformation des écosystèmes par l’homme, ce sujet n’est pas anodin, ni dénue de conséquences. Défendre la nature, c’est aussi défendre ses habitants, dont les hommes, leur santé, leur bien-être, leur cadre de vie.
Les fondateurs de l’Alliance des lacs espèrent ensuite que leurs propositions viendront nourrir l’ensemble des voix qui s’élèvent en faveur des personnalités juridiques naturelles.
Pour Aurélien Peroumal « c’est ce qui fait avancer le droit depuis toujours : après une phase d’ignorance ou de déni, le législateur voit remonter des centaines, des milliers de propositions similaires et en démocratie, finit par être forcé de prendre en compte la volonté populaire. Nos manifestations d’aujourd’hui feront que dans dix ans, dans vingt ans, ces mesures seront inscrites dans le droit. »
L’Alliance des lacs suggère aussi de restaurer le Syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) qui était auparavant en charge de la gestion du lac, avant que celle-ci ne soit confiée, de restructurations en redécoupages, à plusieurs entités publiques différentes.
Depuis 2015, la partie du lac située sur la commune de Viry-Châtillon dépend de l’établissement public territorial Grand-Orly-Seine-Bièvre, tandis que la partie grignoise est gérée par la communauté d’agglomération Grand-Paris-Sud, sauf pour le volet « inondations » qui, lui, est contrôlé par la métropole du Grand Paris…
« Et pour simplifier le tout, ironise le journal Les Échos, qui détaille ce sujet, les deux tiers des lacs sont situés sur le territoire de Grigny, alors que la propriété foncière est à 80 % détenue par Viry. »
Comment enclencher une protection vertueuse de cet espace menacé de toutes parts, sans un organisme unique, fédérateur, plus décentralisé, qui aurait pour missions non seulement d’éviter les pollutions, mais aussi d’autres aspects de la vie communale comme les déchets ?
La restauration de ce syndicat serait une première étape vers l’octroi d’une personnalité juridique au lac de Viry-Châtillon. En France, cette démarche profondément nouvelle est inexistante, inconnue et ignorée des institutions. Des projets essaiment un peu partout sur le territoire, comme le Parlement de Loire, dont la restitution des auditions publiques, récemment terminées, est attendue pour le solstice d’été.
En septembre dernier, après un déversement criminel de béton dans la Seine par le cimentier Lafarge, la mairie de Paris a promis d’étudier la possibilité d’octroyer une personnalité juridique au fleuve, au moins pour le segment qui traverse la capitale. Mais passé l’effet d’annonce, le projet ne semble pas avoir été remis sur la place, preuve qu’il est encore loin d’être consensuel.
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