Le cap du million de réfugiés ukrainiens a été franchi le 2 mars au soir. La guerre en Ukraine donne lieu à de graves discriminations envers les réfugiés et exacerbe un racisme décomplexé sur certains médias. Dans le même temps, un élan de solidarité se manifeste dans de nombreuses communes françaises, appuyé par le travail de plusieurs ONGs.
Tri des réfugiés et racisme européen
Depuis le jeudi 24 février, début de l’invasion russe en Ukraine, des dizaines de milliers d’Ukrainiens ont fui leur pays. Selon les estimations de la Commission européenne évoquées ce dimanche 27 février, cette guerre pourrait entraîner un déplacement de « plus de 7 millions » de personnes, c’est-à-dire l’équivalent de la population de la Libye.
Dans ce contexte, et depuis quelques jours, plusieurs médias rapportent de graves discriminations subies par certains réfugiés durant leur exode. De nombreux ressortissants originaires d’Afrique ont par exemple confié à Nadège Justiniani, reporter pour Brut, les comportements racistes dont ils sont victimes.
Queen Alita Peter, étudiante originaire du Nigéria raconte ainsi ce qu’elle a vécu lors de sa fuite vers la frontière : « Une femme m’a vue et m’a dit de descendre du train, sans raison. Je lui ai demandé pourquoi je devais quitter le train. Elle m’a dit que seuls les enfants et les femmes avaient le droit de prendre le train. Je lui ai demandé : Et moi, je suis un homme ? Je suis aussi une femme. Elle m’a dit qu’elle était Ukrainienne, qu’elle avait le droit d’être dans ce train mais pas moi. »
Johanna, elle aussi étudiante nigériane, a vécu une véritable épopée pour rejoindre la Pologne.
« C’était le chaos partout, donc j’ai été obligée de partir. J’ai pris un taxi pour qu’il me conduise à la frontière polonaise, et il m’a demandé beaucoup d’argent. Il était censé me déposer dans la ville de Medyka, mais il ne l’a pas fait. Il m’a dit : « Non, marchez un peu et vous verrez la frontière. », se souvient-elle. « Alors on a commencé à marcher en pensant qu’on n’était pas loin de la frontière. On a dû marcher toute la journée, même plus que ça, toute la nuit. On avait très froid, très faim. On n’a pas du tout pu dormir. »
À son arrivée à la frontière, la patrouille postée entre l’Ukraine et la Pologne l’a empêchée de passer, comme d’autres ressortissants africains :
« Ils nous ont gardés sans raison, je ne sais pas pourquoi. Et ils laissaient passer les autres Ukrainiens. On est restés là plus de cinq heures. Une Ukrainienne est arrivée, elle n’a rien eu à dire et ils l’ont laissée passer. »
Une autre femme confie encore : « Une fois à la frontière, ils ont réuni les noirs, ils nous ont mis ensemble dans un coin. Pendant plus de trois heures, on est restés debout sans bouger. Ils nous ont laissés dehors. Les gens pleuraient, suppliaient. Ils n’ont ouvert la porte à personne. Ils nous ont laissés dehors deux jours avant de nous ouvrir la frontière. »
Ces agissements ne touchent pas que les Africains. De nombreux étudiants indiens ont aussi témoigné de traitements racistes subis durant leur fuite, comme ceux des gardes-frontières qui les ont empêchés de traverser ou leur ont extorqué de l’argent.
Alors que cette guerre exacerbe en Ukraine les sensibilités racistes et discriminatoires, des propos particulièrement décomplexés et nauséabonds s’épandent aussi au sein de plusieurs médias français.
Comme le signale Salomé Saqué, journaliste à Blast, le terme de pays « civilisé » a été entendu sur CBS, et celui d’ « immigration de qualité » sur Europe 1. Sur BFMTV, il semble que les vies ukrainiennes et les vies syriennes n’auraient pas la même valeur.
« On ne parle pas de syriens qui fuient les bombardements du régime syrien, on parle d’européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essaient juste de sauver leurs vies », a-t-on ainsi pu entendre sur la chaîne TV.
Et ce racisme se traduit aussi au sein de certaines communes connues pour être réticentes à accueillir des réfugiés, quant elles ne les pourchassent pas carrément à travers les montagnes.
Dans la Roya, l’humaniste Cédric Herrou a ainsi dénoncé l’hypocrisie du maire de Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes) qui a affiché un message de soutien aux réfugiés ukrainiens, tout en ayant une politique complètement opposée le reste du temps.
« Le même maire qui a fait sa campagne électorale contre l’accueil que nous avions fait pour d’autres populations victimes de guerres. Seule différence, ces populations étaient noires. L’hypocrisie toujours la même. Nous prenons acte quand le jour sera venu d’ouvrir nos portes. » a réagi l’agriculteur, grâce à qui la valeur constitutionnelle du principe de fraternité a été consacrée en 2018.
Cette différence de traitement indigne fait écho au triste sort des réfugiés africains sur le sol français, et notamment ceux qui survivent dans l’enfer de Calais, ainsi que l’a rappelé Anasse Kazib, candidat aux élections présidentielles.
Solidarité nationale
Heureusement, un véritable élan de solidarité se manifeste dans le territoire grâce à de nombreuses villes françaises. Marseille s’affiche en première ligne, avec les déclarations de son maire Benoît Payan :
« On se mobilise et on se coordonne. Nous-mêmes sommes en situation d’accueillir des réfugiés de guerre. Les Marseillais sont prêts à apporter leur aide. »
Cette cité « qui a dû accueillir des milliers de femmes et d’hommes au cours de son histoire », pour reprendre les mots de Benoît Payan, est d’ailleurs jumelée depuis cinquante ans avec la ville ukrainienne d’Odessa.
Le maire signale également qu’il a « demandé aux hôpitaux marseillais de se mobiliser, ils le sont. J’ai demandé aux marins-pompiers de prévoir des stocks de couvertures de survie, des tentes, de produits de première nécessité et de sécurité civile pour qu’on puisse les envoyer dès que cela sera nécessaire. »
Cet élan est national. À Lille, la mairie et la préfecture se sont empressées de recenser des centaines de places disponibles pour les réfugiés. À Paris, Anne Hidalgo, a annoncé qu’elle mettait en place « une cellule de crise afin de mettre tous les moyens en œuvre pour assurer l’hébergement des Ukrainiens bloqués à Paris ou qui viendraient s’y réfugier. » Un geste que les ONG auraient aimé recevoir quand elles plaidaient pour un meilleur accueil des réfugiés africains.
De son côté Jean-Philippe Gautrais, maire de Fontenay-sous-Bois, soutient que l’«on trouvera des solutions ». Sa commune se trouve jumelée avec Brovary, près de Kiev, qui compte déjà parmi ses habitants des victimes des bombardements. « Il faut accueillir les personnes qui fuient ces atrocités », affirme-t-il.
Quant à l’association des maires de France, elle a établi une liste des denrées dont les Ukrainiens pourraient avoir besoin, à destination des communes françaises, comprenant même des kits chirurgicaux afin d’apporter de premier secours aux réfugiés qui auraient été blessés durant leur exode.
Les ONGs comme le Secours populaire, la Croix Rouge, le Secours Catholique de l’Isère notamment ont lancé partout dans le pays des collectes et des appels aux dons avec là aussi des besoins bien spécifiques : en particulier du matériel médical, des médicaments ou des produits d’hygiène.
Pour les citoyens qui aimeraient également apporter leur aide à l’Ukraine, sans distinction, le mouvement Onestprêt et le site « HowToHelpUkraine » recensent les différentes initiatives existantes.
Crédit photo couv : People crowd at the Uzhhorod-Vysne Nemecke checkpoint on the Ukraine-Slovakia border, Zakarpattia Region, western Ukraine, in Uzhhorod, Ukraine, on February 27, 2022. – SerhiiHudak / NurPhoto / NurPhoto via AFP
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