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La « vie sauvage » des documentaires animaliers n’est qu’une grande illusion

« Une grosse partie de mon travail c’était d’embêter l’animal, de lui faire faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire. »

Il y a l’image du photographe animalier qui attend des heures durant dans sa planque, le moment où l’oiseau du paradis daignera se poser. Des heures, des jours, pour capturer quelques secondes d’image du paradis et nous les offrir. Il y les images des oies du Peuple Migrateur, des manchots de La Marche de l’Empereur, des hordes de loups, des lionceaux dans la savane.

Derrière, il y la pression économique des mécènes qui financent les boites de production, l’attente du public qui veut voir des images dignes de la précision des jeux vidéos, et une soif de spectaculaire.

Damien a été technicien dresseur dans l’audiovisuel. Aujourd’hui il regarde son ancien métier sans mystification.

« Il faut bien comprendre que la plupart des images tournées réellement en nature sont mauvaises. Soit tu te camoufles et tu filmes ce que tu peux, soit tu filmes des animaux imprégnés par les humains. Tu ne peux pas avoir l’image parfaite en contexte naturel »

Des animaux imprégnés ont été habitués dès la naissance à la présence des humains et des machines. Ils sont désensibilisés à la lumière, au bruit des ULM et des caméras. Damien est arrivé par hasard dans le monde de l’imprégnation, en se voyant proposer un job alimentaire auprès d’un éleveur qui avait un parc animalier. Avant, les réalisateurs faisaient appel à des parcs zoologiques ou bien à des circassiens. Aujourd’hui ils font appel à des parcs où les animaux sont élevés en semi liberté. Certaines espèces, souvent de petits animaux, viennent encore des parcs zoologiques, car ils sont en surpopulation et sinon ils seraient euthanasiés.

Crédit Photo : Juanma Clemente-Allonza

Le travail du technicien dresseur

« Mon travail, c’était de préparer un animal au tournage. Tu fais en sorte que l’animal ait un comportement naturel dans un espace non naturel. Tu reçois une note d’intention d’une boîte de production avec le scénario, et tu leur dis ce qui est faisable en fonction des animaux que tu as à ta disposition, selon ton carnet d’adresse et tes relations avec des propriétaires de parcs d’élevage ou bien d’animaux domestiques. Ensuite tu prends l’animal avec toi et tu travailles avec lui. Parfois il faut défaire un travail qui a été fait. Par exemple si dans une scène du film le chien n’obéit pas, tu dois apprendre à un chien qui s’assoit quand tu lui dis Assis à ne pas le faire. Et quand le film est fini, tu dois lui désapprendre. Tu leur apprends à faire ce qui est contre-nature et parfois contre leur propre apprentissage. »

Évidemment il y a un code éthique dans l’utilisation des animaux dans les films. On retient la phrase Aucun animal n’a été maltraité au cours de ce tournage. Mais cela ne signifie pas que l’animal était heureux et content d’être là. L’animal est constamment soumis à une pression qu’évidemment il n’a pas acceptée.

« Une grosse partie de mon travail c’était d’embêter l’animal, de lui faire faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire. »

Travaillant pour des films à gros budget et grand succès, sur plusieurs années de tournage, Damien a été chargé d’imprégner des animaux. Pour les oiseaux, on place un magnétophone près des œufs avant l’éclosion pour les habituer au bruit.

« Quand les poussins sont nés, ils suivaient la tondeuse quand on la passait, alors tout naturellement ils ont suivi la caméra. »

Ce sont bien sûr des oies imprégnées qui ont été filmées dans Le Peuple migrateur. N’ayant pas été élevées par leurs parents, elles ne connaissaient pas les routes migratoires, et volent en suivant l’ULM.

« En Libye, on avait des pélicans qui en plein vol, décrochent et descendent. Il y avait un delta avec des centaines de pélicans sauvages. On pensait que nos douze pélicans imprégnés étaient perdus. Ils ont fini par rentrer. Et l’un d’eux s’est même fait sérieusement abîmer par les pélicans sauvages. Ils n’auraient sûrement pas pu survivre dans le milieu naturel, car ils ne connaissent pas les codes. »

Ce genre d’histoire, Damien en a plein à raconter. De quoi nous mettre face à nos contradictions en tant que public friand de films sur la nature sauvage.

Crédit Photo : Tobin Rogers – Parc national Kruger

La nature sauvage ne se capture pas à l’écran

Nous voulons la nature sauvage sur nos écrans, mais nous voulons aussi le récit de caméramans qui la capturent vierge. Pourtant la nature sur image ne peut qu’être fabriquée. Capturer des images, c’est bien capturer. Les réalisateurs n’ont pas le choix, comme des archéologues qui détruisent pour exhiber les vestiges du passé et nous les transmettre.

On a pu entendre des histoires d’animaux sauvages attirés par des proies, ou bien du changement de protagoniste. On croit suivre tout le long le même lion, mais les yeux aguerris comme ceux de Damien ne s’y trompent pas.

« Les gens ont besoin de ce conte enchanté. L’industrie des documentaires et des films animaliers vend du rêve. Les réalisateurs ne peuvent pas faire autrement que de rester dans le mythe. »

À quoi servent les films sur la nature sauvage ? À éveiller les consciences sur la fragilité du vivant, à nous émerveiller, à nous faire passer un bon moment ? Des gens comme Nicolas Hulot ou Jacques Perrin, à qui on a pu reprocher de déranger certains espaces naturels, ont compris que le cinéma et la télévision devenaient les vecteurs principaux de sensibilisation. Dans beaucoup de pays, les autorités locales demandent des sommes exorbitantes pour donner l’autorisation de filmer en nature. Alors, les réalisateurs se dirigent vers des espèces en semi-liberté.

Crédit Photo : Yannick Mamoh

Dans tous les cas, il faut déranger certains animaux. Nous regardons ces images de paradis perdus et, rassurés de savoir que cela existe, retournons à notre vie de citadins pollueurs.

« Combien d’enfants s’extasient sur le petit lion maltraité en mangeant leur tartine de Nutella ? »

Quelle nature voulons-nous regarder ?

Notre méconnaissance du monde sauvage et des conditions pour l’approcher nous amènent à réclamer des aberrations, comme les pétitions qui avaient circuler pour faire libérer l’orque vedette du film Sauvez Willy. Mais relâcher cet orque qui a vécu toute sa vie en captivité, c’est le condamner. De la même manière, nous nous horrifions devant les photos des chasseurs américains et australiens venant en Afrique chasser des trophées et posant devant un éléphant ou un lion tué à qui ils n’ont laissé aucune chance avec leurs fusils qui pointent très loin. En réalité, ce sont les 25.000$ qu’ils payent par tête tuée qui permettent de faire vivre les fermes d’élevage dédiées à la protection des espaces.

Crédit Photo : Tobias Adam

En gros, ce sont ces chasseurs qui font vivre les réserves et permettent de sauvegarder les espèces. Les responsables des parcs les autorise à prélever des individus faibles ou des mâles susceptibles de tuer la portée d’une femelle. N’en déplaise à notre vision manichéenne. Mais qui sera prêt à accepter ce récit ? Il nous fait les méchants chasseurs et les gentils protecteurs. Et nous, derrière notre écran, cliquons et regardons la nature sauvage qui n’existe que pour nous satisfaire.

Aller rencontrer ceux qui travaillent au plus près du monde sauvage, c’est accepter de se défaire du mythe pour aller vers une compréhension plus vraie de la nature. Voulons-nous faire de la nature un produit de divertissement et de rêve, ou bien la connaître et la respecter pour ce qu’elle est, et pour l’aider ?

Et accepter peut-être que les animaux sont les plus heureux quand on les laisse tranquilles. Peut-être que nous les aiderions plus si on renonçait à les voir tels qu’on les voudrait, et qu’on se mette à les regarder tels qu’ils sont. À nous de décider si nous pouvons nous passer d’une nature en image, pour préserver la nature réelle.

Sarah Roubato

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