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« La privatisation des écoles vétérinaire est un danger pour la sécurité sanitaire des élevages et des denrées alimentaires »

« Les méthodes de gestion des maladies, l’utilisation de médicaments ou non, et même l’information, puisque l’enseignement pourra lui aussi être influencé… Avec la privatisation, les entreprises maîtriseront toute la chaîne de production animale, ajoute Marion Boidot. C’est aussi grave que si des laboratoires pharmaceutiques payaient les frais de scolarité de futurs médecins ! »

Et soudain, le monde discret des vétérinaires s’est à son tour enflammé. Une fois de plus, l’étincelle est partie de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (LPR). Ce texte d’une trentaine d’articles, porté par le ministère de l’Enseignement supérieur et adopté fin novembre par le Parlement, n’en finit plus de déchaîner la colère des enseignants, chercheurs et syndicats, sur fond de précarisation des universités, de musèlement des étudiants.

L’influence des lobbies à l’ouverture au privé des écoles vétérinaires

Pour les vétérinaires, c’est plus précisément l’article 22 bis qui a mis le feu aux poudres. Introduit à l’initiative de la sénatrice des Yvelines Sophie Primas (LR) au tout dernier moment, sans aucune concertation, cet amendement stipule que « les établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif » pourront désormais « assurer une formation préparant au diplôme d’État de docteur vétérinaire ».

Selon les défenseurs de l’article, l’ouverture au privé remédiera au déficit de professionnels de la santé animale dans les zones rurales, un phénomène constaté depuis plusieurs dizaines d’années. La LPR marque ainsi la fin du monopole des écoles publiques dans la formation des vétérinaires, jusqu’ici assurée par quatre établissements d’État situés à Maisons-Alfort, Lyon, Toulouse et Nantes.

Si des cursus pourront être ouverts dans les écoles privés d’agronomie, toutes seront-elles pourtant en mesure d’en proposer ? « Certainement pas », nous répond Marion Boidot, membre du collectif « Vétérinaires en colère », en sommeil depuis une dizaine d’années et ressuscité pour l’occasion.

Comme beaucoup d’autres, cette « véto » de Toulouse, spécialiste des chevaux, est persuadée que l’article 22 bis a été spécialement tricoté pour l’Institut polytechnique UniLaSalle. Ce groupe d’origine confessionnelle possède quatre campus en France, d’où sortent plusieurs centaines d’ingénieurs chaque année.

« Depuis un mois, affirme Marion Boidot, nous n’avons cessé d’alerter sur des soupçons de conflits d’intérêt dans cette affaire. Nous sommes nombreux à penser que l’article de la LPR est le fruit d’un travail d’influence acharné de l’Institut UniLaSalle, et derrière lui de groupes agro-industriels. »

Comme l’écrivait Mediapart le 16 novembre dernier, la sénatrice Sophie Primas est diplômée d’UniLaSalle et désormais membre « bénévole » de son conseil d’administration. De même, Sébastien Windsor, président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA), représentante essentielle du monde rural, a soutenu bec et ongles l’amendement, alors qu’il préside ce même conseil où siège la sénatrice.

Il y a enfin Isabelle Chmitelin (un cas d’école). Cette directrice générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) au ministère de l’Agriculture aurait affirmé pendant des mois à la profession vétérinaire qu’aucun amendement n’était en préparation.

« Puis quand il a été déposé en commission, nous nous sommes aperçus qu’elle l’avait soutenu, raconte Marion Boidot. Et dix jours à peine après le vote de la loi, Chmitelin est nommée, par Sébastien Windsor lui-même, directrice de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture… »

L’intéressée affirme que cette concomitance calendaire relève du plus pur des hasards. On se croirait presque dans une scène de la Cantatrice chauve. Les syndicats vétérinaires reprochent en particulier au gouvernement et aux deux assemblées de les avoir mis devant le fait accompli.

Crédit : collectif « Vétérinaires en colère »

Le rôle des vétérinaires pour des missions de santé publique

« L’idée d’autoriser l’ouverture d’écoles privées est un serpent de mer depuis une quinzaine d’années, affirme Marion Boidot. Mais on ne s’attendait pas à ce qu’elle se concrétise en urgence, en plein confinement, en court-circuitant toute la profession. Pour nous, cet article est un cavalier législatif. »

Une question se pose : pourquoi les écoles privées chercheraient-elles à faire main basse sur la formation des vétérinaires ? On pourrait songer aux profits que dégageront ces coûteux cursus — le directeur d’UniLaSalle prévoit des frais de scolarité de 90 000 euros pour six ans —, mais appliquée à quelques centaines d’étudiants, cette somme ne semble pas susceptible d’apporter de grands bénéfices. Alors, pourquoi ?  

Marion Boidot propose un élément de réponse. « Dans son volet agronomie, UniLaSalle est lié à de très grands groupes agro-industriels, comme Lactalis, Neslé ou Mars, propriétaire de marques de nourriture pour animaux. Ils sont présents dans les conseils de ses écoles. Avec la privatisation, ces entreprises vont pouvoir financer les études des futurs vétérinaires, qui en échange travailleront plus tard pour elles. C’est une pratique courante dans les écoles de commerce. »

Mais en France, les vétérinaires ne sont pas seulement des médecins pour animaux. Ils sont aussi chargés d’une mission de santé publique. En tant qu’agents de l’État, ils assurent le contrôle des bêtes qui produisent le lait que nous buvons, ou la viande que nous mangeons.

En ces temps de pandémie, il n’est pas superflu de rappeler que les vétérinaires surveillent des centaines de maladies animales, grippe aviaire, brucellose, listeria, tuberculose… Ces tâches sont rémunérées par l’État, qui peut ainsi contrôler à travers ses agents les petits et grands groupes industriels.

Dans le cadre de la transition écologique, les vétérinaires sont également les premiers conseillers des éleveurs, qu’ils orientent par exemple quand ils doivent passer au biologique et se débarrasser de la plupart de leur pharmacie.

Depuis dix ans, nous explique Marion Boidot, toute la profession s’attèle à réduire drastiquement les antibiotiques et les antiparasitaires, afin de limiter la résistance des êtres humains aux premiers, et la persistance des seconds dans l’environnement.

« La tendance est à une gestion des maladies sans produits chimiques, par la zootechnie. Et bien entendu, tout cela va à l’encontre les intérêts des laboratoires. »

Crédit : collectif « Vétérinaires en colère »

Si, au moyen de la formation, les grands producteurs de médicaments ou de denrées alimentaires s’emparent des vétérinaires, ils pourront choisir le modèle adopté, qui n’ira sûrement pas dans le sens de l’intérêt général.

« Les méthodes de gestion des maladies, l’utilisation de médicaments ou non, et même l’information, puisque l’enseignement pourra lui aussi être influencé… Avec la privatisation, les entreprises maîtriseront toute la chaîne de production animale, ajoute Marion Boidot. C’est aussi grave que si des laboratoires pharmaceutiques payaient les frais de scolarité de futurs médecins ! »

L’indépendance est un privilège qui se fait rare.

Du côté du gouvernement, la démarche semble plus claire : il faut se débarrasser de ce qui coûte cher. Il n’y a que quatre écoles en France, c’est déjà trop. L’ouverture de l’enseignement est un début, qui permettra à terme de privatiser toute la mission de police sanitaire des vétérinaires, qui sera déléguée aux acteurs privés.

Cette réforme gravement anodine aura-t-elle comme vertu minimale de résoudre la désertification vétérinaire des campagnes ? Rien n’est moins sûr, selon les syndicats, qui doutent qu’un nombre supérieur de professionnels change quoi que ce soit.

Si les vétérinaires s’installent de moins en moins dans le milieu rural, c’est parce qu’il y est plus difficile de démarrer : le salaire est moindre, la prophylaxie peut demander davantage de déplacements, les infrastructures sont plus clairsemées, voire absentes…

Pour Marion Boidot, « il est absurde de penser qu’avec un crédit de 100 000 euros sur le dos, un jeune vétérinaire préférera le fond du Cantal à Bordeaux. Mieux vaudrait rendre les campagnes attractives. »  

Pour le moment, après l’Espagne et le Portugal, la France n’est que le troisième pays d’Europe à avoir privatisé la formation des vétérinaires. Le pari est risqué, mais dans la droite continuité du processus de libéralisation qui a lieu depuis le quinquennat actuel — et bien avant.

« L’idée, c’est qu’on doit se débarrasser de tout sauf de la sécurité, et même de la santé ! fulmine Marion Boidot. Nous, vétérinaires, sommes inquiets car notre métier a de grandes implications pour l’environnement et la santé humaine. Nous sommes en train de devenir un simple service, une profession comme une autre, alors que nos missions devraient être sanctuarisées, surtout à la fin d’une année devenue catastrophique parce qu’une épidémie animale s’est répandue chez les êtres humains. »

Augustin Langlade

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