Il a désormais été prouvé par la recherche que les requins-tigres ont un rôle essentiel de régulateur dans la stabilité de l’écosystème sur la côte ouest de l’Australie, au sein de la baie Shark. Cette baie de l’océan indien est le refuge de 4800 km² d’herbiers marins les plus diversifiés et étendus au monde, comprenant pas moins de 12 espèces différentes, et est également un havre pour de nombreuses espèces animales marines, dont des requins-tigres.
Il existe environ 500 espèces de requins répertoriées actuellement dans le monde. Leur grande diversité et leur évolution dans des environnements radicalement différents où ils influent et dépendent d’animaux propres à leurs habitats rend leur étude difficile.
Le déclin des écosystèmes comme la disparition continue de nombreuses algues et prédateurs marins rend également complexe l’établissement de mécanismes comportementaux durables : les animaux eux-mêmes n’ont plus toujours la possibilité de conserver ces derniers dans le temps.
Cependant, la baie Shark est l’un des rares endroits qui peut être considéré comme lieu idéal pour leur observation. Classée patrimoine de l’UNESCO depuis 1991, la baie d’une superficie de 8000 km2 abrite 323 espèces de poissons, notamment de nombreux dugongs, un sirénien herbivore (tout comme le lamantin), des baleines, des dauphins, des raies-manta et des requins.
Ses requins-tigres n’y vivent qu’une partie de l’année, ce qui permet d’établir des comparaisons comportementales entre la riche diversité d’espèces en leur présence et en leur absence.
En 2011, la baie a été frappée par une vague de chaleur marine qui a dévasté 90% de ses prairies sous-marines tempérées. Le temps de récupération des herbiers a permis aux chercheurs d’expérimenter sur le terrain, et de simuler l’impact des herbivores et de leurs pâturages, avec et sans les requins-tigres.
Il a ainsi été découvert que leur présence empêche les tortues de mer et les dugongs de pâturer à outrance les prairies d’herbes marines tempérées. Les herbivores effrayés face aux requins se réfugient dans les prairies d’herbes marines tropicales. Ce deuxième type de prairie marine est en outre moins efficace que la première dans la capture de dioxyde de carbone; cet équilibre est donc particulièrement précieux. En effet, les herbiers qui n’étaient pas protégés par des requins-tigres approchaient dangereusement l’extinction.
C’est pourquoi dans les lieux où les populations de requins sont en fort déclin et où seules les tortues marines sont protégées, comme en Indonésie ou aux Antilles, les herbiers marins ne peuvent pas se régénérer.
Trisha Atwood, directrice du laboratoire d’écologie aquatique de l’université d’Etat de l’Utah, indique que les herbiers sont pourtant aujourd’hui nos meilleures réserves de carbone sur Terre, d’une capacité d’absorption plus rapide que n’importe quelle forêt terrestre.
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En 2015, Trisha Atwood a également découvert du fait de cette précédente étude que les requins-tigres de la Baie Shark empêchent dans le même temps les herbivores de provoquer des disséminations et remontées dans les eaux du carbone présent dans les sédiments logés sous ces herbes tempérées.
Cette étude localisée démontre que les requins ont une influence essentielle sur leurs habitats et écosystèmes, à une échelle dont nous ne pouvons jusqu’ici estimer que certaines empreintes. Pour Michael Heithaus, chercheur et professeur de biologie, la recherche à leur sujet doit s’étendre à tout l’écosystème dans lequel les espèces vivent.
Outre cette régulation naturelle du requin-tigre, le statut de superprédateur confère au requin un rôle primordial dans la préservation de la santé de la mer, débarrassant cette dernière des carcasses, des poissons malades et déficients.
Apparu il y a plus de 400 millions d’années et trônant en haut de la chaîne alimentaire, sa présence est absolument vitale pour le bon fonctionnement du système trophique. Le déclin de cette espèce dite « clé de voûte », entraîne déjà des conséquences catastrophiques comme la surpopulation de prédateurs intermédiaires qui consomment les coraux, ou même le phytoplancton, qui fournit une grande partie de notre oxygène.