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La population russe s’élève pour demander la paix, malgré la répression du Kremlin

L’historien russe estime que si la situation économique et militaire se dégrade rapidement, la population pourrait exiger de manière pressante un changement en termes de politique intérieure.

Courageuse image de russes manifestant leur opposition à la guerre en Ukraine à Saint-Pétersbourg. En Russie, les manifestations se multiplient dans la rue, les réseaux libres et des tribunes. En tête d’affiche : les féministes russes, une partie de l’intelligentsia, notamment les étudiants du MGIMO, l’équivalent du Sciences PO et de l’HEC russe, ou le colonel-général à la retraite Leonid Ivashov qui exige la démission de Poutine. Un article de Florian Grenon.

Ce dimanche, de nouveaux rassemblements contre l’offensive russe en Ukraine ont eu lieu dimanche dans le monde entier, y compris en Russie, où plus de 4 600 personnes ont été interpellés, selon l’ONG OVD-Info spécialisée dans le suivi des manifestations.

De son côté, le ministère de l’Intérieur a déclaré 500 arrestations, dont 1 700 à Moscou et 750 à Saint-Pétersbourg. Les milliers de manifestants ont crié “Non à la guerre !” et “Honte à vous !”, selon des vidéos publiées sur les médias sociaux par des militants de l’opposition et des blogueurs

La réponse des forces de l’ordre a été brutale, comme le rapporte le site russe indépendant Meduza : “dans certains cas, les manifestants ont été battus, attrapés par les cheveux, aspergés d’eau et d’antiseptique, voire frappés à coups de taser”. Pas de quoi décourager la population, qui s’inquiète pour son avenir, mais aussi pour leurs proches en Ukraine.

La population inquiète du sort de leurs proches

Les liens entre la Russie et l’Ukraine sont historiques. L’Etat de Kiev (IXème- XIIème siècle) dont l’ensemble des territoires formaient les « terres russes », est considéré par Poutine et les nationalistes russes comme le berceau de la Russie. Cette théorie, qui est à la base de l’idéologie impérialiste de Poutine vis-à-vis de l’Ukraine, est largement contredite au sein de la communauté d’historiens. 

On entend du côté ukrainien depuis le début du conflit que le peuple Russe n’est pas un ennemi, que la guerre est la volonté d’un homme seul. Signe de l’amitié entre les deux pays mais également de la volonté de l’armée ukrainienne d’influencer l’opinion publique russe, des informations sont diffusées sur le site 200rf.com.

Ce site est destiné à transmettre des informations aux proches des soldats russes morts ou faits prisonniers en Ukraine. Passeports retrouvés sur les militaires décédés, vidéos de capitulation, messages des soldats capturés à leur famille, les contenus sont multiples et offrent la possibilité aux familles des militaires russes d’obtenir des nouvelles de leurs proches partis au combat. 

Face au manque de communication des autorités russes, l’arrivée des premiers cercueils en Russie et aux informations obtenues sur le site 200rf.com, le Comité des mères des soldats russes souhaitent ouvrir les yeux de la population nationale sur la réalité de la guerre.

Les images des soldats russes morts au combat explosent sur les réseaux sociaux ukrainiens mais les autorités russes refusent de parler de combat et parlent d’« opération armée ». D’après le président Zelensky, près de 6 000 russes sont décédés depuis le début du conflit il y a six jours. Ce sont les seules données accessibles pour le moment. 

Anna Colin Lebedev, maîtresse de conférence et spécialiste des sociétés post-soviétique à l’Université de Nanterre, le rappelle, le Comité des mères des soldats russes existe depuis le « retrait des troupes russes d’Afghanistan ».

En 1995, durant la guerre de Tchétchénie, les soldats qui ne sont pas revenus au pays sont soit disparus, soit déserteurs. Il n’y a aucune communication, aucun nom, aucune tombe. Cette situation s’est reproduite durant la seconde guerre de Tchétchénie, en Géorgie en 2008, et dans le Donbass en 2014.  

Une partie de la population russe résiste                   

Depuis cinq jours et le début de l’invasion, des manifestations pour dire « non à la guerre » ont eu lieu dans une cinquantaine de villes du pays, notamment à Moscou et à Saint-Pétersbourg, traditionnellement plus ouvertes vers l’occident.

Les groupes féministes influents informent la population via Telegram et organisent les manifestations d’opposition. D’après les derniers chiffres de l’ONG russe ODV-Info, la police antiémeute a procédé à plus de 6 000 arrestations. Les autorités russes font tout pour dissuader la population de participer à ces manifestations et ont déclaré que la participation à celles-ci entraînerait de « graves conséquences judiciaires ». A Moscou, nombreux sont les habitants à déposer des bouquets de fleurs devant l’ambassade ukrainienne.               

Ces derniers jours les conversations Telegram par lesquelles les quelques journalistes indépendants qui continuent d’exercer et la population désireuse de s’informer, notamment les jeunes citadins, se multiplient.

Mais il est relativement difficile de s’informer dans un pays où les médias officiels « sont contrôlés » et « s’occupent de la propagande, l’information est secondaire », selon Ilya Boudraitskis, historien russe vivant à Moscou.

D’après lui « il reste encore quelques médias libéraux d’opposition. Ils sont encore là, mais sont chaque jour moins nombreux et subissent constamment une pression terrible de l’État. »       

Depuis 2014 et l’annexion de la Crimée, les médias officiels utilisent une diatribe militaire agressive.

« Nous entendons dire que nous pouvons détruire les Etats-Unis d’Amérique en deux ou trois minutes, ou que nous pouvons facilement gagner à nouveau une guerre mondiale. » explique Ilya Boudraitskis dans le quotidien slovène Dnevnik et traduit par Jan Malewski pour la revue Inprecor. Le discours des médias victimise la Russie et estime que l’invasion de l’Ukraine était inévitable pour protéger la Russie d’une attaque provenant des occidentaux et de leur « hystérie anti-russe ». 

Il est difficile pour la population, habituée à la propagande étatique et à la répression de l’opposition, de démêler le vrai du faux, « de nombreuses personnes se demandent ce qui se passe réellement », indique Ilya Boudraitskis.           

Seulement, quelles que soient les informations dont disposent la population russe, la crainte de la guerre risque d’affaiblir le soutien au régime de Poutine.

Toujours d’après Ilya Boudraitskis, 60 % de la population redoute un conflit armé. Si l’on y ajoute le durcissement des répressions envers l’opposition depuis un an et le fait que « l’opinion publique a été réduite au silence », ainsi qu’une situation économique ébranlée, la légitimité du pouvoir russe et de l’intervention en Ukraine pourrait en pâtir.

Ilya Boudraitskis considère la Russie comme « un pays très pauvre, qui a vu la qualité de vie se dégrader ces dernières années, donnant l’impression d’un pays en déclin dans tous les domaines. » 

D’après l’agence Rosstat, depuis 2012, le taux de pauvreté est en hausse constante en Russie, atteignant 13,1 % en 2021. Plus inquiétant encore, 62 % des Russes ont des revenus seulement suffisants pour s’acheter vêtements et nourritures.

L’historien russe estime que si la situation économique et militaire se dégrade rapidement, la population pourrait exiger de manière pressante un changement en termes de politique intérieure.

8126639 24.02.2022 Balloons, flowers and burning lamps are seen next to the Ukrainian Embassy, in Moscow, Russia. Maria Devakhina / Sputnik (Photo by Maria Devakhina / Sputnik / Sputnik via AFP)

L’intelligentsia dénonce la guerre

Le métropolite Onuphre, représentant de l’Eglise orthodoxe russe en Ukraine, a exhorté Poutine à arrêter de manière immédiate l’invasion de l’Ukraine. Pire affront encore, il a encouragé l’armée ukrainienne à défendre Patria, la Statue de la Mère-Patrie située à Kiev.

Un message totalement contraire à la communication du régime russe, qui motive l’invasion de l’Ukraine en partie par la nécessité de protéger les croyants orthodoxes ukrainiens subordonnés au patriarcat de Moscou.

« A notre grand regret, la Russie a déclenché une action militaire contre l’Ukraine et, en ce moment fatidique, je vous exhorte à ne pas paniquer, mais à montrer votre virilité et votre amour pour votre Patria et les uns pour les autres. […] En ces temps tragiques, nous exprimons notre amour et notre soutien spécial à nos soldats, qui montent la garde et défendent notre terre et notre peuple. Que Dieu les bénisse et les protège », a déclaré le métropolite Onuphre dans un discours au peuple ukrainien.               

Cette déclaration est d’autant plus frappante car le métropolite Onuphre est le primat de l’Eglise orthodoxe ukrainienne rattaché au Patriarcat russe, Église qui a longtemps dicté la vie religieuse du pays.

Ce n’est que le 5 janvier 2019 que l’Eglise orthodoxe ukrainienne a obtenu un statut indépendant avec la signature du Tomos, nom issu du grec ancien signifiant coupure, par le patriarche universel Bartholomée. Aujourd’hui l’Eglise orthodoxe ukrainienne indépendante et l’Eglise orthodoxe ukrainienne rattachée au Patriarcat russe sont deux entités distinctes.           

Près de 800 étudiants, anciens étudiants et quelques professeurs du MGIMO, Institut d’État des relations internationales de Moscou équivalent de Sciences Po et d’HEC réunit, ont signé une lettre ouverte s’opposant à la guerre.

Ces jeunes sont promis à devenir des personnes haut placées au sein de l’État et des entreprises russes. Cette lettre ouverte rappelle les valeurs traditionnelles de la politique extérieure russe : « sécurité, coopération pacifique et dialogue ».           

Quelques jours plus tôt, avant le début du conflit, c’est le colonel-général russe à la retraite et président du Conseil de l’Assemblée des officiers de la Russie Leonid Ivashov qui dénonçait la probable invasion de la Russie en Ukraine.

A travers une forme de « déclaration d’anti-guerre », l’ancien haut gradé a réclamé la démission de Poutine, l’accusant d’avoir créé un conflit de manière « artificielle » afin de détourner l’attention des problèmes économiques et politiques croissants internes à la Russie.   

Ivashov estime que les positions actuelles du gouvernement créent une situation dans laquelle la principale menace pour la Russie ne provient pas de l’occident ou de l’Ukraine mais bien de la Russie elle-même à cause de « l’inefficacité du modèle étatique, l’incapacité totale et le manque de professionnalisme du système de pouvoir et de l’administration, la passivité et la désorganisation de la société ». Il poursuit en estimant que « dans cet état, aucun pays ne survit longtemps », et que la guerre fera « à jamais des Russes et des Ukrainiens des ennemis mortels ».   

« Nous appelons tous les militaires retraités et les citoyens de la Russie avec la recommandation d’être vigilant, organisé, de soutenir les demandes du Conseil de l’Assemblée des officiers de la Russie, s’opposant activement à la propagande qui déclenche une guerre, et prévenant un conflit civil interne par le recours à la force militaire », explique Leonid Ivashov dans sa lettre ouverte.

crédit photo couv : manifestation anti-guerre à St Petersbourg, 1er mars 2022, IVAN PETROV / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

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