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La France, troisième plus gros vendeur d’armes au monde, nourrit des conflits contre les civils

D’après le rapport 2022 sur les transferts hautement sensibles, l’État français aurait accordé 4 040 licences d’exportation pour les BUD pour un montant total de 9 milliards d’euros. Parmi les clients français, deux attirent l’attention : des licences classées au plus haut niveau de sensibilité auraient été délivrées à la Chine et à l’Égypte.

Le 27 septembre 2022, le Ministère des Armées remettait à l’Assemblée Nationale son dernier rapport sur les ventes d’armes de la France. D’après celui-ci, en 2021, la France a décroché la troisième place des plus gros exportateurs de matériel militaire dans le monde et anticipe que « l’année 2022 sera également marquée par des résultats importants ». Mais si les 11,7 milliards d’euros de bénéfices générés par l’industrie de l’armement sont loués, certaines ONG accusent la France de se tailler un succès commercial au détriment de ses engagements internationaux puisque nombres de ces technologies sont utilisées dans des conflits contre des populations civiles. Décryptage de Gaëlle WELSCH.

La France, troisième plus gros vendeur d’armes au monde

La « performance » française de 2021 s’inscrit, d’après le rapport, dans un contexte général de militarisation du monde lié à la guerre en Ukraine, au maintien de la lutte contre le terrorisme et à la reprise économique post Covid-19.

Selon les estimations du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), le commerce mondial des armes et le niveau des exportations de la France ont explosé : le premier a atteint 112 milliards de dollars en 2020 – contre 87 milliards de dollars en 2011 – tandis que le second a connu une augmentation de 59 %.

Considérée depuis le Général de Gaulle comme l’une des composantes de l’indépendance militaire, la politique d’exportation d’armement de la France – qui s’est structurée autour de quelques fleurons de l’industrie (Thalès, Dassault, Nexter…) – est principalement tournée vers les pays d’Afrique et du Proche et Moyen-Orient.

Les résultats du rapport du Ministère des Armées rendu au Parlement ne dérogent pas à la règle, puisque les transferts d’armes pour ces deux zones tutoient les 5 386,8 millions d’euros (soit quasiment 50 % du montant total des transferts d’armes).

Avions de combat Rafales, canons automoteurs Caesar, hélicoptères Tigre et sous-marins conventionnels ont ainsi été vendus massivement tout au long de l’année 2021. De quoi stimuler une industrie de la défense contribuant à hauteur de 16 % du PIB national et pourvoyeuse de 113 000 emplois dans la construction navale, aéronautique et spatiale et dans la confection d’armes et de munitions.

Source : Ministère des armées – Direction Générale de l’Armement / Canons Caesar

Une politique de vente d’armes opaque

Cependant, force est de constater qu’au-delà du bilan reluisant dépeint par l’exécutif plusieurs zones d’ombres demeurent quant à l’identification des partenaires de la France et du contenu des accords. Cela tient à plusieurs facteurs juridiques.

Au monopole du pouvoir exécutif dans l’octroi des licences d’exportation d’abord, puisque prévaut le principe de prohibition par défaut. C’est le Premier Ministre, qui, après avis de la Commission Interministérielle pour l’Étude des Exportations de Matériels de Guerre (CIEEMG), est habilité à boucler ou non les contrats.

Mais dans certains cas sensibles, « l’Élysée intervient et tranche, alors que la décision relève normalement du Premier Ministre » expliquent des membres de la clinique Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER) de Paris Nanterre au journal La Croix.

Ce fut notamment le cas pour la Russie. De 2014 à 2020, l’Élysée a fait valoir une « clause du grand-père » : celle-ci a notamment permis de poursuivre l’exportation d’armes en dépit de l’embargo car les contrats qui liaient les deux parties ont été signés ex ante.

Au principe de secret-défense ensuite, qui, applicable en matière d’armement, entrave le rôle du Parlement et empêche le débat public. En vertu de celui-ci, les informations auxquelles la chambre basse a accès sont non seulement filtrées mais dépendent également du bon vouloir du gouvernement. Sont dès lors omis : le type, la quantité, les clients ou l’utilisation finale des équipements exportés. 

Il est donc particulièrement difficile de mettre en place un contrôle efficient des exportations d’armes qui soit respectueux des conventions internationales en la matière

Pire : « toute personne révélant ou relayant une information classifiée risque une lourde peine ‘pour compromission du secret’ » d’après le collectif ASER, comme ce fut le cas de Geoffrey Livolsi, Mathias Destal et Benoît Collombat – journalistes respectivement chez Disclose et Radio France – convoqués par la Direction Général de la Sécurité Intérieure (DGSI) pour avoir dévoilé un rapport classifié documentant l’usage des armes vendues par la France à l’Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis.

Source : Istock / Mission militaire au lever du soleil

De la responsabilité française au Yémen : la France, complice de crimes de guerre ?

Après consultation d’un rapport de la Direction des Renseignements Militaires (DRM) remis au Président Emmanuel Macron en 2018, les trois journalistes – en se basant sur les estimations du SIPRI – ont révélé que deux des principaux partenaires de la France au Proche et Moyen-Orient sont à l’initiative ou directement impliqués dans la Guerre au Yémen : l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis. La France est, de facto, impliquée à plusieurs niveaux dans le conflit.

Premièrement, de par la vente d’armes « Made in France » directement employées dans des missions visant des civils. D’après l’enquête menée par le média d’investigation Disclose, c’est le cas de 48 canons Caesar positionnés sur la frontière entre l’Arabie Saoudite et le Yémen. Ces derniers « appuient les troupes loyalistes et les forces armées saoudiennes dans leur progression en territoire yéménite » d’après la note de la DRM.

Problème : en pointant vers trois zones peuplées de civils, « 436 370 personnes » sont « [concernées] par de possibles frappes d’artillerie » (met en garde le document.

La Fédération Internationale pour les Droits Humains alerte quant à elle sur l’emploi de Pod Damoclès – un système de guidage laser des missiles – positionnés sous les avions de combat émiratis qui servent à survoler et bombarder le territoire yéménite.

Deuxièmement, de par la co-production d’armes – avec les pays de la coalition – utilisées dans des missions visant des objectifs matériels non-militaires. En effet, si selon l’Organisation des Nations Unies la crise au Yémen est l’une des plus graves crises humanitaires au monde où pas moins de 80 % de la population se trouve en situation de précarité extrême, depuis le printemps 2015, à l’aide de la frégate saoudienne de classe Makkah et la corvette lance-missiles émiratie de classe Bayunah – deux bâtiments de guerre co-fabriqués par la France – les deux pays empêchent l’acheminement de l’aide internationale. 

Cette « stratégie de la famine », comme la nomme Disclose, cherche donc à asphyxier la population pour pousser les Houthis à rendre les armes.

Troisièmement, de par la réalisation d’opérations de maintenance sur les armements vendus par la France et équipant la coalition.

Hélène Legeay, experte en ventes d’armes, souligne pour Arte l’importance du « maintien en condition opérationnelle, [de] la maintenance, [de] l’assistance technique qui est effectuée par les entreprises de défense françaises pour permettre aux forces de la coalition de continuer à utiliser ces armes ». Pour elle, la France joue donc un rôle charnière dans la guerre au Yémen puisque « sans maintenance, pas de guerre ».

En agissant de la sorte, la France va donc à l’encontre du Traité sur le Commerce des Armes (2013) et de la position commune de l’Union Européenne (2008) – qui obligent à une évaluation du risque d’utilisation des armes afin qu’elles ne portent pas atteinte à la paix et à la sécurité, ne participent pas à une violation des droits de la personne et du droit international humanitaire – qu’elle a pourtant ratifié. 

Ainsi, la question de la responsabilité de la France se pose : si les accusations de crime de guerre – défini par les Conventions de Genève et de la Haye comme un cas où une des parties en conflit s’en prend volontairement à des objectifs non-militaires, aussi bien humains que matériels – sont confirmées par les juridictions compétentes, alors la France pourrait être considérée comme complice des exactions commises au Yémen.

Vers plus de transparence ?

Malheureusement, le cas yéménite est loin d’être isolé. D’autres exemples illustrent également l’opacité de la France en matière, et concernent, cette fois-ci, non pas les ventes d’armes, mais les ventes de Biens à Doubles Usage (BUD) – civil et militaire.

D’après le rapport 2022 sur les transferts hautement sensibles, l’État français aurait accordé 4 040 licences d’exportation pour les BUD pour un montant total de 9 milliards d’euros. Parmi les clients français, deux attirent l’attention : d’après le rapport, des licences classées au plus haut niveau de sensibilité auraient été délivrées à la Chine et à l’Égypte dans les domaines des télécommunications et de la sécurité de l’information – domaine désignant aussi bien du simple matériel informatique que des technologies de cybersurveillance. 

L’on voit donc bien comment de telles technologies pourraient être détournées au Xijang dans le cadre du génocide Ouïghours ou dans la région du Nil pour museler l’opposition politique à Fatah Al-Sissi.

Face aux dérives de la politique de ventes d’armes et technologies sensibles de la France, il est, plus que jamais, nécessaire de renforcer le contrôle du Parlement pour contraindre l’exécutif à respecter ses engagements internationaux et ainsi adopter une politique plus responsable.

C’est dans ce sens que les députés Michelle Gréaume et Pierre Laurent ont déposé au Sénat, le 9 septembre 2022, une proposition de loi visant à renforcer le contrôle sur le commerce des armes et relative à la violation des embargos.

Lire aussi : L’Assemblée nationale reconnaît et condamne le génocide des Ouïghours par la Chine

Source photo couv : Ministère des armées – Direction Générale de l’Armement / Avion de combat Rafales

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