La fonte de la banquise arctique entraine une accentuation des chutes de neige en Europe. Si le phénomène peut sembler contre-intuitif, c’est pourtant ce que révèle une étude publiée ce mois-ci dans Nature geoscience.
Une équipe internationale de chercheurs s’est penchée sur l’épisode glacial qui a frappé l’Europe en février et mars 2018. Connu comme le « phénomène Moscou-Paris » ou la « Bête de l’Est », celui-ci avait paralysé la plupart des pays situés au nord du continent.
L’Europe avait ainsi subi des températures extraordinairement froides et la neige était tombée à des latitudes aussi basses que celle de la ville de Rome.
L’étude, intitulée « Arctic sea-ice loss fuels extreme European snowfall », montre que cette vague de froid aussi chargée en neige se trouve directement liée au manque de glace dans la mer de Barents.
Située au large du littoral arctique de la Norvège et de la Russie, cette mer est particulièrement touchée par le recul de la banquise en hiver. Sa couverture de glace en mars a en effet décliné d’environ 50 % depuis 1979.
Or, la glace agit comme « un couvercle sur l’océan », indique l’auteure principale de l’étude Hannah Bailey, de l’université finlandaise d’Oulu. Ce couvercle empêche l’eau qu’elle recouvre de s’évaporer dans l’atmosphère.
Cette année-là, lorsque l’air glacial de Sibérie a déferlé vers l’est, une crête barométrique s’est installée au-dessus de la mer de Barents. La température de surface des océans a alors augmenté de 5 °C par rapport à la moyenne.
Les courants d’air froids et secs passant au-dessus de cette mer de Barents à 60 % dénuée de glace, et dont l’eau était relativement chaude, ont absorbé une humidité importante. C’est cette humidité qui a été la source des exceptionnelles chutes de neige qu’a connue l’Europe.
En résumé, si la surface de la mer n’avait pas été si exposée, elle n’aurait pas fourni autant d’humidité et la Bête de l’Est aurait apporté beaucoup moins de neige en Europe.
La récolte de données en Arctique implique de grandes difficultés logistiques. Jusqu’à présent, peu de chercheurs s’étaient donc intéressés au possible lien entre la fonte de la banquise en Arctique, l’évaporation accrue de la mer et un événement météorologique extrême précis.
Pour cette étude, les chercheurs ont mesuré en temps réel les isotopes que contenait la vapeur d’eau atmosphérique jusqu’en 2018. Puisque les isotopes de la vapeur d’eau issue de neige fondue étaient différents de ceux de la mer, ils ont pu quantifier l’excès d’humidité s’étant dégagé de la mer de Barents pendant cette période.
En combinant les méthodes isotopiques et les données satellites, les auteurs ont découvert que 88 % de cette neige, soit 140 milliards de tonnes, provenait certainement de l’évaporation de la mer de Barents.
Cette étude met en lumière une tendance de long terme. Les modèles climatiques indiquent en effet que la mer de Barents pourrait perdre l’intégralité de sa glace hivernale d’ici le début des années 2060. Elle constituerait donc en hiver une source majeure d’humidité pour la région.
Les événements de chute de neige extrême dans le nord de l’Europe se multiplieraient, avec une multitude d’impacts sur le trafic et les infrastructures.
« Cela signifierait des perturbations dans l’approvisionnement en nourriture, en carburant, la destruction de cultures… », énumère Jeffrey Welker, de l’Université d’Alaska à Anchorage.
En 2018, rien qu’au Royaume-Uni, la paralysie causée par La Bête de l’Est avait coûté au pays plus d’un milliard d’euros par jour.
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