Depuis maintenant près de deux ans, l’alimentation biologique, faute à l’inflation, est boudée par les acheteurs, au point même de devoir, pour certains agriculteurs, revenir à une production conventionnelle ou masquer leur label. Mais en Dordogne, à rebours de cette tendance, ce sont près de la moitié des collèges qui possèdent aujourd’hui une cantine 100% bio, locale et faite maison. Le fruit d’un travail collectif impulsé par un irréductible Périgourdin, Jean-Marc Mouillac, qui a initié le mouvement et formé de nombreux cuisiniers à cette façon de produire et nourrir. Pour l’avenir.
En Dordogne, des cantines 100% bios et locales
Il est de ces combattants du mieux manger qui prouvent que produire et s’alimenter bio au quotidien est – toujours – possible. Jean-Marc Mouillac, cuisinier formateur au conseil départemental de Dordogne depuis une quinzaine d’années, est le pionnier incontesté des cantines 100% bio, locales, et fait maison en France.
Après s’être engagé, dès 2008, dans une petite commune de Dordogne en tant que chef de cuisine d’un établissement dont il est parvenu à rendre les plats entièrement locaux, biologiques et faits maison, Jean-Marc Mouillac, qui a toujours été convaincu que « l’alimentation pouvait changer le monde », a permis d’amorcer une véritable mue de la manière de nourrir les enfants du département, mais pas seulement.
Pour y parvenir, une seule et même méthode, redoutable. « Je me suis remis à cuisiner. Lorsqu’on se remet à cuisiner, on se remet à penser. Sur le territoire, je me suis rendu compte qu’on avait des pionniers de l’agriculture biologique, des paysans que je connaissais absolument pas, qui s’étaient battus depuis très longtemps pour les semences paysannes, pour une alimentation saine », détaille Jean-Marc pour La Relève et la Peste.
Le cuisinier part ainsi à la rencontre de ces agriculteurs « ultra-engagés ». « En tant que petit-fils de paysan, ça m’a beaucoup parlé. Ça m’a reconnecté à des choses que je ne voyais plus, que je ne savais pas », explique-t-il à La Relève et la Peste.
Avec l’anti-gaspi pour fer de lance, Jean-Marc Mouillac tient aussi à faire preuve de pédagogie envers les enfants. « Ils doivent comprendre ce qu’ils ont dans leur assiette ». Le cuisinier n’hésite pas à le dire, il a, comme ça, trouvé « un sens à la vie ».
À la suite de cette initiative, le cuisinier est contacté par la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, afin de faire partie d’un réseau de 11 formateurs accompagnant les 170 000 chefs de cuisine de France. Il enseigne, mais apprend, lui aussi.
« On s’auto-formait à des techniques culinaires pour la restauration collective, chose qui n’existait pas auparavant. Ça fait plus de 30 ans qu’on m’envoie me former à l’hygiène pour tuer des bactéries que je ne vois pas. Par contre, on ne m’a jamais offert de formation pour m’améliorer dans mes techniques culinaires. Cuisiner pour 500, 600, 700 gamins, ce n’est pas cuisiner dans un étoilé. Parfois, on n’est pas 5 pour 500 repas », souligne Jean-Marc pour La Relève et la Peste.
17 collèges 100% bio
Désireux de poursuivre l’aventure et convaincus que « la restauration collective est un levier puissant pour la transition écologique et sociale », le cuisiner et ses coéquipiers décident de créer, il y a 10 ans, le Collectif les Pieds dans le Plat, avec pour parrain le roi des épices Olivier Rollinger, puis, en 2021, la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Nourrir l’Avenir.
Avec l’aide de cuisiniers, d’experts techniques ou encore de diététiciens, le Collectif a à cœur de promouvoir l’alimentation biologique au cœur des établissements scolaires, mais aussi des structures de santé ou pour personnes âgées. Sans oublier de sensibiliser et accompagner les élus dans cette transition socio-environnementale nécessaire. « Il ne pousse pas les mêmes choses partout, c’est aujourd’hui primordial de monter des plans alimentaires qui s’adaptent à chacun des territoires », abonde Jean-Marc Mouillac pour La Relève et la Peste.
Le logiciel « À table », créé par le Collectif et d’ores et déjà mis en place en Dordogne, permet quant à lui de structurer la logistique et de massifier les productions sur les territoires. Plus concrètement, cet outil quantifie, à partir d’un plan alimentaire, les kilos de légumes biologiques nécessaires aux établissements territoire par territoire. Un moyen d’éviter le gaspillage mais aussi de favoriser une utilisation responsable de l’argent public.
Du bio partout, dès 2028
C’est ainsi que, grâce à l’appui de Germinal Peiro, président du conseil départemental, et de la persévérance de Jean-Marc Mouillac, la Dordogne compte aujourd’hui 17 collèges sur 35 dont les cantines sont 100% bio et locales.
Un plan spécifique d’accompagnement a d’ailleurs été élaboré à ce titre par le Département. Au programme, un « accompagnement financier et technique des collèges », la « mobilisation de moyens humains départementaux par le biais notamment d’un chef de cuisine animateur formateur et d’une diététicienne nutritionniste » mais aussi « l’accompagnement à la structuration de la production bio locale et à son accès à la commande publique alimentaire par le biais notamment de l’outil numérique AGRILOCAL 24 ».
Une mutation qui ne se fait pas sans mal, tient cependant à rappeler le cuisinier. « Il faut adopter une nouvelle façon de voir les choses, ce n’est pas évident. Manger de saison, c’est la chose la plus dure qui existe pour les enfants. L’hiver, qui plus est avec le changement climatique, ça devient long : du chou, du chou rave… Il y a tout à réapprendre », détaille Jean-Marc pour La Relève et la Peste.
Aujourd’hui, l’objectif est clair : les 35 collèges de Dordogne devront être labellisés bio d’ici la fin du mandat du président, en 2028.
Mais le cuisinier, aujourd’hui âgé de 52 ans, s’inquiète de la politique qui pourrait être menée d’ici là. « La bio, ce n’est pas celle de Leclerc ou de chez Biocoop. Ceux qui nourrissent la planète, ce sont les paysans, pas les industriels. Un pays qui est touché par l’extrême droite est un pays en souffrance. Depuis que je suis dans la bio, je me suis aperçu qu’il fallait quand même une certaine forme de radicalité pour en arriver là », abonde le cuisinier formateur pour La Relève et la Peste.
La maîtrise des coûts
Aussi, dans tous les établissements où sont proposés ces repas 100% bio, Jean-Marc s’est assuré d’une parfaite maîtrise des coûts financiers, comme humains.
« Certains détracteurs diront qu’il est nécessaire d’avoir beaucoup plus de fonctionnaires, et que cela coûte plus cher. Mais non, il n’y a pas eu plus de personnel. Concernant la maîtrise du coup, même avec l’inflation, nous restons à 2,10 euros par repas. En 100% bio, 100% local », insiste le cuisinier.
Selon lui, cette méthode pourrait être appliquée à toute la France, avec un peu de bonne volonté politique, dont le pays manque cruellement aujourd’hui. « Je suis allé le faire à Romainville, dans le 93. C’était la première cantine de Paris 100% bio, 100% fait maison. On a vu que tout le monde pouvait se mettre à cuisiner pour des enfants et faire du fait maison. On peut le faire très vite, partout, sur toute la France », s’enthousiasme Jean-Marc Mouillac.