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La Cour Suprême Norvégienne va statuer pour interdire les forages offshores en Arctique

« Nous pensons que l’État doit être jugé et que les licences pétrolières doivent être tenues pour invalides. Si nous gagnons, ce sera une décision historique aux conséquences importantes et concrètes pour le climat », indique Frode Pleym dans son communiqué.

Greenpeace et l’association Nature et Jeunesse luttent depuis 2016 contre l’État norvégien, estimant que les nouveaux projets de forage dans les zones vierges de l’Arctique enfreignent la constitution du pays. Le 20 avril, Greenpeace Norvège a annoncé que le dossier serait examiné par la Cour suprême norvégienne, plus haute instance judiciaire nationale, en séance plénière. Une victoire toute symbolique, dans une période où la folie du pétrole atteint des sommets.

Chute du prix du pétrole

Être payé pour acheter du pétrole, c’est désormais possible : pour la première fois de l’histoire, le cours de l’or noir américain est passé en-dessous de zéro dollar. À New York, dans la soirée du lundi 20 avril, il était possible d’échanger un baril de WTI, le pétrole brut de référence sur le marché américain, contre la modique somme de -37,63 dollars. À Paris, à la même heure mais avec un décalage horaire, on l’achetait pour un petit dollar symbolique. Une telle dégringolade du cours pétrolier américain n’est cependant pas le fruit du hasard.

Depuis le début de la pandémie, et en particulier des mesures de confinement décrétées dans la moitié du monde, la demande de pétrole a baissé de 30 %, mais les compagnies qui le produisent ne sont pas parvenues à se réguler. Durant les premières semaines du mois de mars, la Russie et l’Arabie saoudite, incapables de se mettre d’accord, s’étaient lancées dans une guerre des prix qui avait provoqué un premier effondrement des cours, lui-même à l’origine du « krach » boursier spectaculaire du mois dernier.

Mais le 12 avril, Russes et Saoudiens ont décidé de réduire drastiquement leur production, pour mettre hors jeu leur concurrent américain, qui produisait davantage de pétrole à mesure que les cours baissaient. Résultat : pendant ces dix derniers jours, l’offre a tant excédé la demande que toutes les capacités de stockage américaines étaient saturées le 20 avril. Les investisseurs ont préféré payer pour écouler leurs volumes de pétrole brut à livrer en mai, plutôt que de devoir ralentir la production. Logique, n’est-ce pas ?

La Mer de Barents est l’abri de la baleine à bosse – Crédit : Godot13

Les forages offshores remis en question

Alors que la folie du pétrole semble atteindre des sommets ces derniers jours et qu’un nouveau choc pétrolier pourrait bien se profiler, la lutte contre la production délétère des hydrocarbures ne s’arrête pas.

En Norvège, une décision historique pourrait peut-être signer sinon la fin, du moins le début de la fin des forages dans les zones vierges de l’Arctique, menacées par une bonne dizaine de compagnies qui font tout pour arracher des licences de prospection et d’exploitation.

C’est une affaire au long cours menée par Greenpeace et Natur og Ungdom (« Nature et Jeunesse »), une importante association norvégienne de protection de l’environnement. Depuis quatre ans, les deux ONG demandent à la justice d’annuler les permis d’exploitation d’hydrocarbures dans les régions vierges de l’Arctique, accordés en 2016 par la Norvège à treize compagnies pétrolières comme Equinor, le géant national choyé, Lukoil (russe) ou ConocoPhillips (américain).

Plus grand producteur de pétrole en Europe de l’Ouest, la Norvège s’est servi de cette manne immense, dont elle est très dépendante, pour accumuler un fonds souverain de plus de 1 000 milliards de dollars, fortune et protection de son économie. Elle prévoit d’ouvrir à l’exploitation une quarantaine de zones prometteuses dans la mer de Barents, en Arctique.

Mais Greenpeace et Nature et Jeunesse considèrent que ces licences contreviennent à la constitution norvégienne, dont l’article 110b est censé garantir « le droit à un environnement salubre ainsi qu’à un milieu naturel dont soient préservées la capacité de production et la diversité […], pour les générations à venir ».

Selon les défenseurs de l’environnement, la Norvège enfreint ce droit en ouvrant des espaces vierges de l’Arctique au forage pétrolier, alors que le pays a signé et ratifié l’accord de Paris, qui préconise de circonscrire à deux degrés le réchauffement climatique mondial par rapport au début de l’ère pré-industrielle.

« L’utilisation de pétrole et de gaz produits en Norvège et consommés ailleurs représente dix fois les émissions domestiques de la Norvège », a déclaré Frode Pleym, le directeur de Greenpeace Norvège, dans un communiqué.

L’État nordique est l’un des rares pays européens à avoir pris d’importantes mesures en faveur de l’environnement ; mais en vendant des hydrocarbures à l’étranger, il se dédouane de leurs effets secondaires sur le climat et triche indirectement envers ses engagements.

En bleu translucide, le phytoplancton – Crédit : NASA

L’affaire portée devant la Cour Suprême norvégienne

Déboutées à deux reprises, une première fois par le tribunal d’instance en janvier 2018 et une seconde fois par la cour d’appel d’Oslo en janvier 2020, les deux ONG soumettent maintenant l’affaire à la Cour suprême norvégienne, plus haute institution judiciaire du pays.

Le verdict de la cour d’appel, pourtant défavorable à l’unanimité, contenait déjà plusieurs petites victoires : il considérait l’article de la constitution comme juridiquement recevable et estimait que les répercussions climatiques du pétrole et du gaz norvégiens brûlés à l’étranger étaient imputables au pays.

Mais les juges pensaient aussi que la Norvège était couverte par le système européen de quotas de CO2 ; les nouvelles exploitations en Arctique ne faisaient pas dépasser les autorisations nettes d’émissions, au moins sur le papier. C’est ce qui motive Greenpeace et Nature et Jeunesse à monter d’un cran dans les instances judiciaires.

Le simple fait que la Cour suprême, qui ne traite que 10 % des affaires qui lui sont soumises, ait accepté de se pencher sur ce problème de droit climatique en séance plénière constitue déjà un grand succès pour les associations militantes.

Elle reconnaît de ce fait que le principe de la plainte est fondé et qu’il mérite qu’on l’étudie, sur le modèle de notre Conseil constitutionnel.

« Nous pensons que l’État doit être jugé et que les licences pétrolières doivent être tenues pour invalides. Si nous gagnons, ce sera une décision historique aux conséquences importantes et concrètes pour le climat », indique Frode Pleym dans son communiqué.

De son côté, le gouvernement norvégien se défend en alléguant que la politique pétrolière nationale relève des prérogatives du Parlement et non des tribunaux, bien que cet argument soit intenable. Les luttes environnementales sont de plus en plus portées devant les tribunaux à travers le monde et ceux-ci les écoutent ; que la Cour suprême s’empare de ce dossier en est la preuve. L’épisode norvégien est en lui-même tout un symbole.

Incendie sur la plateforme DeepWater Horizon – Crédit : US Coast Guard – 100421-G-XXXXL- 003 – Deepwater Horizon fire

Les dégâts des plateformes offshore

À l’occasion du dixième anniversaire de la pire marée noire de l’histoire, provoquée par l’explosion du Deepwater Horizon en 2010, l’association Surfrider Europe a lancé cette semaine une campagne militant pour l’interdiction des forages dans les eaux européennes.

En 2020, l’Union européenne prévoit de réviser sa directive relative à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer, qui régule les forages offshore et est censée protéger l’environnement. L’ONG Surfrider souhaiterait apporter une modification législative profonde au niveau européen.

Premier objectif : interdire les forages dans les aires marines protégées (AMP) et les zones arctiques, particulièrement dangereuses, en raison du climat qui y règne. En Europe, les AMP sont des espaces de résilience où toute activité de pêche et de forage est interdite, afin de permettre à des écosystèmes riches et fragiles de se renouveler. Du moins en théorie, puisque selon la porte-parole de l’association, Yana Prokofyeva, ces zones ne sont pas toujours bien gérées.

« Tout dépend des pays et de leur mode de gestion. Il y a des AMP où les forages sont autorisés, notamment en Norvège, car elle n’est pas membre de l’Union européenne et peut ainsi choisir les règlementations qu’elle devra respecter. Pour faire bouger les lignes dans ce pays, il n’y a pas d’autre moyen qu’une campagne nationale. » explique la porte-parole pour La Relève et La Peste

En 2019, la Commission européenne devait rendre un rapport sur les enfreintes et les manquements constatés à sa directive. Mais celui-ci n’est toujours pas paru. L’association Surfrider n’y place cependant pas de grands espoirs.

« La Commission européenne préfère traiter les manquements à cette directive de sécurité à travers des procédures bilatérales, plutôt que de les rendre publics dans ses rapports. On s’attend donc à ne pas y trouver beaucoup d’informations », confie Yana Prokofyeva à La Relève et La Peste

Malgré les discours entourant l’accord de Paris et l’ambition européenne de neutralité carbone, les mesures tardent à se concrétiser.

« Mais les mentalités changent, en particulier du côté des citoyens. Aux dernières élections, le Parlement européen s’est énormément verdi et c’est pour cette raison que nous restons optimistes. »

Deuxième et troisième objectifs de la campagne de Surfrider : interdire tous les forages en mer d’ici 2035 et ne plus délivrer de nouveaux permis à partir de 2023. Ce sont les propositions les plus ambitieuses (et certainement les plus nécessaires), mais leur aboutissement reste incertain.

« Dans la lutte contre le forage pétrolier en mer réside l’avenir de notre continent. Or, pour mettre fin à notre addiction aux énergies fossiles, il faut commencer par nos modes de production », conclut la porte-parole de l’association.

De la Norvège à l’Union européenne, les oreilles semblent s’ouvrir aux revendications environnementales : combien de temps faudra-t-il encore pour que cette audience laisse place au véritable changement ?

Augustin Langlade

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