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La Commission européenne ouvre la porte aux nouveaux OGM dans nos assiettes

Selon Christian Hosy, l’ultime conséquence de l’autorisation des NBT sera d’accréditer une fois de plus l’agriculture industrielle, ces grandes parcelles aux labours profonds, sans habitats pour les espèces sauvages et utilisant un panel de produits chimiques.

L’Union européenne va-t-elle favoriser l’arrivée fracassante de nouveaux organismes génétiquement modifiés dans nos assiettes ? À l’occasion d’une étude parue le 29 avril dernier, la Commission européenne s’est déclarée favorable aux « New Breeding Techniques »(NBT), ou « nouvelles techniques de fécondation », qui regroupent plusieurs innovations dans le domaine des biotechnologies, à commencer par l’édition du génome. Pourtant, classiques ou nouveaux, les OGM soulèvent une série de questions éthiques, socioéconomiques et environnementales.

Entre anciens et nouveaux OGM

Grâce aux « ciseaux génétiques » (CRISPR-Cas9) découverts en 2012, il est devenu possible et bien plus simple de modifier le génome de certains fruits, légumes ou plantes dans le but d’augmenter leur tolérance aux herbicides ou de leur permettre de résister aux parasites.

« Les NBT, ce ne sont pas des OGM », a déclaré au mois de janvier Julien Denormandie, lors d’un entretien accordé à l’agence Agra Presse.

Si les propos tenus par le ministre de l’Agriculture sont plus que controversés, il paraît nécessaire de distinguer les nouvelles techniques de fécondation des anciennes, sans quoi l’on ne peut comprendre la nature du débat.

Les organismes génétiquement modifiés (OGM) « ancienne génération » sont obtenus en introduisant un gène extérieur dans une semence. C’est la transgénèse : si telle plante aromatique, par exemple, résiste à tel parasite, les scientifiques vont s’emparer du gène résistant et l’insérer dans l’ADN d’une espèce cible, comme la tomate, afin de diminuer sa sensibilité au parasite.

Avec les OGM « ancienne génération », il y a franchissement de la barrière des espèces, car le gène source est étranger à l’ADN cible.

Les laboratoires mettant au point des NBT n’emploient pas la transgénèse, mais une autre technique appelée mutagenèse : au lieu d’insérer un gène, on coupe, modifie, raccommode les gènes existants, ou l’on provoque une réaction spécifique par l’intervention d’un agent mutagène.

Concernant les NBT, il s’agit ici de forcer la plante à modifier son génome, ou à imiter le gène d’une autre espèce.

Ces nouveaux procédés ne sont pas plus naturels que les anciens, mais leurs promoteurs ne cessent de répéter qu’ils ne franchissent plus la barrière des espèces, ce qui les démarquerait des OGM, les rendrait inoffensifs et surtout de meilleure qualité.

Des interrogations identiques

« Les NBT sont peut-être moins aléatoires que la transgenèse classique, mais les questions qu’elles soulèvent demeurent absolument les mêmes », nous affirme Christian Hosy, coordinateur du réseau biodiversité de France Nature Environnement (FNE).

Classiques ou nouveaux, les OGM soulèvent une série de questions éthiques, socioéconomiques et environnementales.

Éthiques, parce que l’être humain s’arroge le droit de trafiquer le vivant pour répondre à ses besoins. Socioéconomiques, car les agriculteurs comme les consommateurs deviennent dépendants de techniques ou de brevets imposés par de grandes entreprises et ne choisissent plus les produits qu’ils cultivent, achètent ou soutiennent.

Environnementales enfin, puisque les espèces génétiquement modifiées risquent de perturber le fragile équilibre des milieux, de coloniser d’autres plantes, de renforcer les maladies qu’elles sont censées combattre, etc.

« En introduisant une espèce modifiée dans un environnement donné, on induit forcément des perturbations, ajoute Christian Hosy. L’environnement sera-t-il résilient, ou va-t-on créer un enchaînement de conséquences imprévisibles ? »

Crédit : Bahador

Des résistances aux résistances

Voilà pour les questions. Il y a aussi les risques, avérés ou supposés, directs ou indirects. À l’heure actuelle, on ne peut que supposer les conséquences futures des NBT, qui sont encore confinées aux laboratoires.

Une expérimentation grandeur nature a lieu en Afrique, où des organisations essaient de procéder au « forçage génétique » des moustiques, une procédure qui consiste à éradiquer, par l’inoculation d’un gène de stérilité, les races vectrices de maladies endémiques comme la malaria. 

Lire aussi : La technologie de l’extinction : le forçage génétique

Les dangers des anciens OGM, quant à eux, ont été largement documentés. Que les espèces modifiées aient été introduites pour résister aux maladies, aux parasites ou aux herbicides employés dans l’agriculture conventionnelle, les conséquences sont généralement les mêmes : après une période de bénéfice évident, la technologie produit les effets inverses de ce qui était escompté.

« Dans le cas de la résistance aux herbicides, on s’est aperçu qu’une espèce cultivée pouvait transférer certains de ses gènes à une espèce sauvage, nous explique Christian Hosy. En récupérant les gènes des plantes OGM, les mauvaises herbes deviennent plus résistantes, et il faut alors rajouter une couche de pesticides. Très vite, le gain est contredit. »

Il en va de même pour les gènes combattant les maladies, ou ceux destinés à repousser les parasites. En quelques années, champignons, virus ou insectes sont capables d’évoluer pour contrer le système de défense mis en place dans la plante cultivée. Ce n’est pas un transfert de gènes, mais une accélération des capacités d’adaptation des espèces.

Conséquence indirecte, cette fois : les agriculteurs utiliseront, à terme, de plus importants volumes de produits chimiques.

« Aucun OGM transgénique tolérant aux herbicides n’a été autorisé à la culture en Europe, pour la bonne raison qu’il y a un risque avéré d’augmentation de l’utilisation des herbicides et de contamination des autres plantes, sauvages et cultivées. » résume Guy Kastler, de la Confédération paysanne.

Pour ce spécialiste des questions liées aux OGM et aux semences, il est clair que nous rencontrerons des problèmes environnementaux identiques avec les nouvelles techniques de fécondation, car les ambitions de ces dernières, créer des résistances, sont les mêmes que celles les OGM.  

Crédit : Johny Goerend

Deux techniques, un même résultat

Pour les défenseurs de l’environnement et les opposants aux NBT, l’innovation technique ne change en rien le résultat : précision ou pas, gène étranger ou non, les organismes sont génétiquement modifiés et doivent être qualifiés comme tels.

Selon Guy Kastler, il y a donc franchissement de la barrière de l’évolution des espèces du moment que les semences sont produites à partir de cellules végétales isolées en laboratoire.

« Dans le cas de la mutagenèse, précise notre interlocuteur, ce qui influe sur les modifications génétiques, ce ne sont plus les échanges des cellules des plantes entre elles et avec leur environnement, dans le respect des lois naturelles, mais les échanges avec des produits chimiques des cultures cellulaires, qui entraînent des centaines, voire des milliers d’autres modifications non naturelles, qui ne sont pas identifiées, car on ne les cherche pas. »     

Parfois, ce ne sont pas les gènes isolés de telle ou telle plante qui induisent des problèmes sanitaires ou environnementaux, mais leur combinaison. Plus grave encore, l’association accidentelle de plusieurs gènes au moment de la manipulation génétique, si elle n’est pas repérée, pourrait avoir des effets irréversibles sur la santé ou les milieux. 

Dans toute la France, 26 groupes locaux de Greenpeace se sont mobilisés dans des supermarchés pour alerter les citoyens et citoyennes du risque que représenterait une dérégulation des nouveaux OGM. Crédit : Greenpeace

Ce que dit la législation

Depuis la directive européenne « relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement », qui date de 2001, seul le maïs MON810, issu de la transgenèse et breveté par Monsanto, peut être cultivé sur le territoire de l’Union européenne.

Mais des dizaines d’autres OGM, pour la plupart de maïs et de soja, sont autorisés à l’importation. Bien qu’ils ne servent de base qu’à l’alimentation animale, ces produits se retrouvent dans nos assiettes de manière indirecte, lorsque nous consommons viandes, œufs ou dérivés du lait.

En juillet 2018, saisie par neuf organisations dont la Confédération paysanne, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que les plantes obtenues par les nouvelles techniques de fécondation devaient être considérées comme des OGM classiques « dans la mesure où les techniques et méthodes de mutagenèse modifient le matériel génétique d’un organisme d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement » et ne disposent pas d’un long passé d’utilisation garantissant une sécurité avérée. 

Depuis cette décision, les NBT sont entrées dans le « champ d’application de la directive sur les OGM » et sont censées être « soumis[es] aux obligations prévues par cette dernière », c’est-à-dire à des règles d’évaluation, d’autorisation et d’étiquetage strictes.

En France, le Conseil d’État s’est aligné, en février 2020, sur la position de la CJUE et a enjoint le gouvernement, dans un délai de six mois, « d’identifier au sein du catalogue des variétés de plantes agricoles celles qui ont été obtenues par mutagenèse et qui auraient dû être soumises aux évaluations applicables aux OGM », afin d’accorder le Code de l’environnement aux lois européennes.

« Le gouvernement n’a rien fait pour le moment », nous apprend Christian Hosy. C’est pourquoi la Confédération paysanne et ses partenaires ont à nouveau porté ce dossier devant la plus haute juridiction administrative.

« Une proposition a été mise en concertation, au niveau français et européen. Le processus est en route. Mais cela n’a pas empêché le Conseil d’État de faire une nouvelle injonction au gouvernement, en avril, lui demandant de produire cette liste de plantes et de techniques le plus vite possible. »

Malgré de multiples victoires pour les défenseurs de l’environnement, la récente étude de la Commission européenne a remis les NBT sur le devant de la scène.

Le 29 avril, Bruxelles a déclaré que la directive OGM n’était « pas adaptée » aux « progrès scientifiques et technologiques » : les variations introduites par mutagenèse ne pouvant, selon les auteurs de l’étude, être distinguées des évolutions naturelles des plantes, contrairement aux OGM classiques, la législation actuelle doit être révisée de fond en comble.

Cette publication ouvre donc la porte à une dérégulation partielle des NBT qui, pour la Commission, pourraient « contribuer aux objectifs du Pacte vert de l’UE ».

Crédit : Diana Polekhina

Brevets ou agronomie : un choix de société

Si les NBT, brevetées, viennent un jour à être cultivées sans réglementation dans l’espace communautaire, plus personne ne sera en mesure de les distinguer de semences ayant développé des caractéristiques similaires, par exemple une résistance à un insecte.

« Cela veut dire, redoute Guy Kastler, paysan de profession, que l’on pourra interdire aux agriculteurs d’utiliser leurs propres semences, en étendant les brevets à toutes celles qui contiennent les mêmes modifications que les semences obtenues par mutagenèse. »

Soit que les semences OGM contaminent peu à peu les parcelles voisines, jusqu’à recouvrir la totalité d’un territoire, comme c’est le cas au Canada, où il n’existe plus de colza naturel, soit que des semences paysannes ou anciennes portent des propriétés semblables à celles brevetées par les techniques de mutagenèse, l’introduction dérégulée de nouveaux OGM risque de rendre les agriculteurs dépendants des géants de l’agroindustrie, en étendant considérablement la portée des brevets. 

« Les semenciers pourront réclamer un droit sur les haricots que j’ai par exemple hérités de mes grands-parents, explique Guy Kastler. De plus, sans étiquetage, on achètera des semences sans savoir si ce sont des OGM ou non et il pourra y en avoir dans la bio. »

Selon Christian Hosy, l’ultime conséquence de l’autorisation des NBT sera d’accréditer une fois de plus l’agriculture industrielle, ces grandes parcelles aux labours profonds, sans habitats pour les espèces sauvages et utilisant un panel de produits chimiques.

« Au lieu des monocultures, ne vaudrait-il pas mieux replanter des haies pour attirer des coccinelles et des syrphes qui s’attaqueront aux prédateurs des plantes ? se demande le coordinateur de FNE. Ne faudrait-il pas réfléchir à la rotation des cultures, aux techniques qui redonnent un rôle central à l’agriculteur, celles qui étaient pratiquées par le passé ? Évidemment, ça demande parfois plus de boulot.  On n’est pas dans les solutions toutes faites, standardisées, industrialisées. »  

Avec les OGM, répond Guy Kastler, on se coupe de solutions plus durables, « par exemple les semences paysannes, qu’on oublie souvent, mais qui sont porteuses de solutions. C’est la même chose pour la diversité des espèces cultivées. Les nouveaux OGM ne font que conforter ce modèle où l’on se limite à un cadre restreint. »

Avec le risque de voir disparaître des millénaires de savoir-faire.

Crédit photo couv : Crédit Greenpeace

Augustin Langlade

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