Cet été, certains loisirs prennent un goût amer, ou révèlent leur absurdité. À la sortie du confinement, des centaines milliers de touristes se précipitent dans les zoos et parcs aquatiques pour le plaisir d’aller observer des animaux sauvages…enfermés.
Article initialement publié le 29 juillet 2020.
Dernières nouvelles : L’association One Voice assigne Marineland en justice pour obtenir l’avis d’un expert indépendant afin d’établir un bilan clinique de l’état de Moana et d’Inouk, de leurs conditions de détention et de récupérer un certain nombre de pièces officielles. L’audience aura lieu au tribunal judiciaire de Grasse le 25 mai 2022 à 8h30.
Inouk, l’orque qui souffre le martyre
Ce lundi, le Marineland d’Antibes a été le théâtre d’une mobilisation d’une centaine de manifestants du « Groupe anti-captivité », inquiet de l’état de santé d’Inouk, la doyenne des orques.
Ce « parc zoologique » de son statut officiel, membre de l’Association européenne des zoos et aquariums, qui participe à des programmes de protections des espèces menacées, est aussi et tout bonnement le site touristique le plus visité de l’opulente région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Mascottes du parc, les quatre orques de Marineland sont les seules élevées en France. Inouk est le doyen. Âgé de 21 ans. Les autres orques ont 19 ans, 9 ans et 6 ans. Huit orques y sont mortes à des âges très précoces (moins de 30 ans) alors qu’en milieu sauvage, les orques vivent au-delà de 60 ans.
L’association One Voice déclare porter plainte contre le Marineland d’Antibes pour actes de cruauté. Infiltrée au Marineland, elle a pris des images de l’orque édentée à force de ronger les parois de son bassin.
Ce pourrait être un signe de zoochose ou stéréotypie, un ensemble de comportements stéréotypées qui a pu être observé chez les animaux très sensibles et intelligents en captivité comme les éléphants et les grands singes : déambulations en boucles, balancements, mouvements de tête, automutilations.
Dans une pétition adressée à la ministre de la Transition écologique mise en place depuis 2019, l’association rappelle que Inouk vit dans des bassins dont le plus grand ne dépasse pas cinq fois sa longueur. Muscles très faibles du fait de leur faible activité, régime alimentaire très en-dessous de leurs besoins, isolement social, conscience de leur captivité, ennui et folie sont le quotidien de ces animaux d’une intelligence extrême.
L’association qui devait être reçue par le gouvernement le 9 juillet dernier, a vu le rendez-vous reporté, sans aucune date encore connue.
En mai 2019, John Hargrove, ancien entraîneur à SeaWorld en Californie puis au Marineland d’Antibes, témoignait en revenant pour la première fois à Marineland :
« Les faits sont simples : ces animaux qui, à l’état sauvage, parcourent une centaine de kilomètres par jour avec leurs familles, sont réduits à vivre avec des familles artificielles dans une boîte en béton traitée avec des produits chimiques. La quantité de chlore mis dans cette eau pour qu’elle soit claire et que les touristes voient les orques est létale. J’avais les yeux qui brûlaient et les orques aussi, au point qu’elles ne pouvaient ouvrir les yeux pendant trois jours et que des bouts de peau se détachaient. »
En 2016, la biologiste Ingrid Visser, biologiste marine néo-zélandaise spécialiste des orques, a renseigné sur l’état de santé de Inouk. Avec le chercheur John Jett, ancien entraîneur qui s’est converti à la sensibilisation sur les conditions de détention des mammifères marins, et le docteur Jeffrey M. Ventre, elle a confirmé qu’Inouk souffrait de stéréotypie, et qu’il a rongé les murs du bassin jusqu’à la pulpe, causant des ulcères et une douleur comparable à celle d’une rage de dents pour les humains.
Le greenwashing des parcs animaliers « pédagogiques »
Dans un rapport de 2011, le médecin Jeffrey M. Ventre a détaillé les effets de la captivité chez les orques : affaissement de la côte dorsale, usure des dents, et dressé un tableau complet de la longévité des orques dans tous les parcs animaliers dans le monde, avec l’âge de naissance, de mort et la cause du décès de chaque individu.
L’association demande au gouvernement de bannir les programmes d’élevage en captivité et la vente de faune sauvage marine. Car au-delà du cas préoccupant de la santé de l’orque la plus âgée de France, c’est le principe même de la captivité de ces animaux mis en spectacle qui pose question. Comme le décrit l’ancien dresseur John Hargrove :
« La base du dressage d’animaux c’est la privation de nourriture. Je ne peux pas forcer une orque de 3500 kilos à faire ce qu’elle ne veut pas. Le seul moyen que j’ai c’est de prendre mon seau et de m’éloigner, pour qu’elle voit qu’elle est privée de nourriture. À mesure que leur faim augmente, elles seront plus susceptibles de faire ce qu’elles ne voulaient pas faire en premier lieu. Ce n’est pas un choix, c’est la faim. Nous, les dresseurs, sommes là pour vendre un produit. »
Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’y aillent plus pour que tout cela s’arrête…
Sur son site, Marineland promet « une journée de découverte du milieu marin et de sensibilisation à l’importance d’un monde plus responsable ». Dans l’onglet « Nos missions / Agir pour l’Environnement », Marineland annonce avoir renoncé aux pailles en plastique, adopter le tri sélectif et nourrir ses animaux avec des poissons issus de la pêche éco-responsable.
Comme tous les parcs dans le monde, sous la pression de défenseurs des droits des animaux et d’une prise de conscience grandissante mais toujours insuffisante face au raz de marée du tourisme de loisir, Marineland soigne son image. Une visite « pédogique » de trente minutes à 70 euros par personne permet ainsi aux visiteurs de « partager le quotidien » des soigneurs qui les emmènent pour une visite bien rodée.
Après les spectacles à visée plus « pédagogique » et moins « cirque », Marineland a compris que la mise en scène d’animaux sauvages dans un espace clos et artificiel reste le moyen le plus confortable de se faire croire qu’on aime les animaux.
Quel étrange animal que l’être humain et sa capacité sans cesse décuplée de refermer la porte sur ce qu’il est capable de comprendre, pour passer à autre chose. Capable de liker les photos d’animaux reprenant des bouts de territoire, et de se ruer vers des loisirs qui les exploitent quelques semaines plus tard. Ainsi va l’humain.
crédit photo couverture : Gac – la page – Groupe anti captivité