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Ilian Moundib : « Le Plan national d’adaptation au changement climatique est une réponse incohérente, sans vision ni financement réel »

Le Premier ministre parle de double dette : écologique et financière, en les plaçant au même niveau. Je m’inscris vigoureusement en faux ! Il n’y a pas de dette écologique. Le changement climatique est déjà très avancé et c’est irréversible, tout comme l’effondrement du vivant.

Ilian Moundib, ingénieur formé à l'école centrale de Lyon et à l’Imperial College de Londres, a écrit “S’adapter au changement climatique”, dans la collection Fake or not, chez Tana éditions. À peine imprimé, sortait le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) et ses 51 mesures, provoquant une réaction assez indignée d’Ilian Moundib.

LRLP : Que vous inspirent les 51 mesures de ce PNACC ?

IM : Pour commencer, il arrive avec 10 mois de retard suite aux turpitudes politiques qui ont agité le pays dernièrement. Et après lecture attentive, je pense qu’il est sans boussole et surtout sans financement. Je dirais que, du point de vue du diagnostic, les services du ministère de la Transition écologique ont bien travaillé. Chacune des mesures prises individuellement peut paraître pertinente dans le cadre d’une adaptation. Mais, et c’est essentiel, elles ne sont ni quantifiées, ni financées, ni planifiées, ni articulées dans un plan global.

LRLP : Un exemple ?

IM :  La mesure 13, titrée “Renaturer les villes pour améliorer leur résilience face  au changement climatique” propose la renaturation de 1 000 ha par an d’espaces urbains, en les désimperméabilisant. Or on imperméabilise au moins 20 000 ha par an ! Et un peu partout, on trouve des ordres de grandeur un peu farfelus. Et ce plan arrive dans une austérité budgétaire particulièrement forte. Comment penser que ce plan va pouvoir nous permettre de s’adapter ? Par ailleurs, il n’y a pas plus de mesures d’atténuation. On est donc sur un mode incantatoire assez peu rassurant.

LRLP : Pourtant Michel Barnier insiste sur la dette écologique

IM : Le Premier ministre parle de double dette : écologique et financière, en les plaçant au même niveau. Je m’inscris vigoureusement en faux ! Il n’y a pas de dette écologique. Le changement climatique est déjà très avancé et c’est irréversible, tout comme l’effondrement du vivant. C’est-à-dire que nous sommes face à une destruction d’une partie des conditions d’habitabilité de la planète et donc de notre vie. Et cette dynamique ne peut qu’être stoppée, pas inversée. Nous ne rembourserons pas la dette, nous nous contentons d’infliger les conséquences de notre incurie aux communs et aux générations à venir.

LRLP :  Qu’entendez-vous par les communs ?

IM : Je ne parle pas de biens communs mais de communs tout court, parce qu’un bien est accaparé par les humains pour remplir leurs besoins. Un commun est partagé avec les écosystèmes naturels et tout le vivant qui les constitue. Les communs sont en interaction avec le monde.

LRLP : Que pensez-vous de l’objectif de + 4 °C?

IM : Il me révolte ! Il me révolte sur le plan éthique, politique et moral. Quand on voit ce qui s’est passé en Espagne récemment, la violence des épisodes méditerranéens, la disparition des glaciers alors que nous vivons dans une France qui a subi une augmentation de sa température moyenne de 1,3 °C, comment peut-on imaginer vivre à + 4 °C. On sait que l’Europe se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète (ONU) et que si la France est à + 4°C, le monde sera en moyenne à + 3°C. Imaginez ce que cela signifie en termes d’extrêmes météorologiques. Nous ne sommes déjà pas en mesure de faire face efficacement à ce qui nous arrive aujourd’hui, qu’on parle du hameau de la Bérarde ou les inondations du nord de la France dans lesquelles 315 communes ont été déclarées en catastrophe naturelle. Et puis, c’est égoïste pour le reste du monde.

LRLP : Pourquoi est-ce égoïste ?

IM : Parce que l’hypothèse sur laquelle travaille le gouvernement assume implicitement de laisser des parties de la terre complètement inhabitables. Et il s’agit de toutes les zones équatoriales mais aussi de larges parties côtières. Dans les premières, c’est la conjonction de températures très élevées et de la saturation en humidité qui va les rendre invivables. Dans ces zones-là, les corps humains ne pourront plus gérer la température. Et puis il y a les littoraux et les grands ports qui vont souffrir de l’élévation du niveau de la mer et des submersions qui y sont associées.

Et que font les gens qui vivent dans des lieux qui deviennent inhabitables ? Ils partent ailleurs pour survivre. Et ceci concerne très particulièrement le sud global. Bien sûr, les migrations se font prioritairement dans les pays proches mais pas seulement.

Exergue : Le risque d’extinction de certaines espèces océaniques vivant dans les « points chauds de biodiversité » (biodiversity hot spot) pourrait être multiplié par 10 si le réchauffement passe de 1.5°C à 3°C . Le GIEC rappelle ainsi l’urgente nécessité de maintenir le réchauffement global en dessous des 1,5°C pour réduire les impacts.

LRLP : Le plan ne prend pas en compte les migrations ?

IM : Quand on se fixe + 4 °C comme objectif d’adaptation, on laisse de côté le sujet migratoire de fait. Et on sait très bien par quoi se traduit cette ambiguïté stratégique, la fermeture progressive des frontières. Or, quand je parle d’égoïsme occidental, c’est aussi dans la forme d’organisation économique.

Nous promouvons une organisation qui rend structurellement les pays du sud global plus vulnérables aux conséquences du dérèglement climatique. Parce qu’aujourd’hui, le monde occidental a des relations commerciales extrêmement déséquilibrées avec les pays du Sud global. Deux exemples. La relation entre l’Union européenne et l’Afrique, ou la relation entre les Etats-Unis et l’Amérique latine, ce sont des relations commerciales qui, pour aller très vite, sont des relations économiques spécialisées. On favorise la production de certaines matières premières qui ont pour but d’être exportées vers les pays occidentaux, la Chine ou la Russie. En échange, ces pays vont devoir acheter des marchandises issues de toute la production réelle occidentale.

C’est le cas du lithium chilien qui est exporté vers les Etats-Unis qui, en retour, fournissent toute une alimentation, tous les biens manufacturés, etc etc. Il y a donc une prédation sur les écosystèmes concernés, en particulier sur la ressource en eau, au détriment de la construction d’une économie locale résiliente, donc diversifiée et capable d’assurer un maximum d’autonomie au pays.

LRLP : Le plan prévoit de relocaliser en France

IM : Voilà, nous y sommes. Avec une réindustrialisation française fondée sur la technologie de haut niveau, nous allons consommer ces matières premières dont l’extraction nuit aux écosystèmes de ces pays du sud global. Nous allons donc contribuer à dégrader leur capacité de résilience.

Je ne suis pas dogmatiquement contre les voitures électriques par exemple, qui produisent moins de CO2 et moins de cette pollution qui est responsable de la mort de 40 000 personnes par an en France. En revanche, il est impensable de remplacer la totalité du parc de véhicules thermiques par le l’électrique. La fuite en avant dans le techno-solutionnisme est une croyance dans le système qui permet de ne pas changer.

Quand vous regardez les différentes solutions qui nous permettraient de limiter les effets du changement climatique, c’est un triptyque assez connu, c’est la sobriété, l’efficacité énergétique et la substitution vers des moyens bas carbone. Et en fait, et ce qui est pensé, c’est qu’on va réussir à accommoder, à réaliser ces 3 changements en restant dans le même paradigme de la concurrence.

LRLP : Aujourd’hui, vous publiez “S’adapter au changement climatique”, pourquoi ?

IM : Je vous donne un panorama très rapide du contenu, c’est 75 % d’éléments de diagnostic liés aux conséquences du changement climatique, en particulier en France. Nous allons devoir affronter un trop chaud et un trop d’eau dans les villes. Ça se traduit par des canicules plus fréquentes et plus intenses en ville. Et puis, une saison nouvelle faite d’inondations provoquées par des sur-précipitations.

C’est un enjeu extrêmement important sur notre agriculture qui va affronter des sécheresses plus fréquentes et plus intenses liées à une accélération du cycle de l’eau couplée aux hautes températures.Nous allons devoir inventer une nouvelle forme de production alimentaire parce que les modes de l’agriculture intensive ont des vulnérabilités criantes.

Ensuite, j’ai fait deux autres parties sur des territoires spécifiques : les territoires d’outre mer, les territoires de montagne, les territoires littoraux et sur nos forêts. Enfin, il y a une réflexion sur la proposition de réindustrialisation de notre pays si on tient compte des limites planétaires et en particulier de la raréfaction de la ressource en eau.

exergue : Je pense qu’il faut qu’il y ait une mise en commun d’une partie de notre alimentation, d’une partie de notre accès à l’eau, de notre accès au logement, notre accès à l’énergie, nos accès au lien social, accès à la culture et que, en fait, on a déjà une leçon historique que les périodes de crises sont des périodes qui permettent en fait un changement de paradigme sur l’accès à des communs.

LRLP : L’eau vous paraît être un sujet central ?

IM : Fondamental et les épisodes récents d’inondations sont les révélateurs de la mort des écosystèmes qui vivent dans nos sols et de l’artificialisation galopante d’espaces qui devraient pouvoir absorber l’eau. Moi, je pense qu’il a une planification à organiser sur les moyens d’adaptation et cette planification, je peux la synthétiser par une expression qui est “mettre en sécurité sociale nos communs”.

Dans un écosystème, tout s’articule et interagit. C’est la partie prévention qui est traitée par la mise en sécurité sociale des communs. Par mise en sécurité, il faut comprendre l’organisation de la préservation des communs et de leurs accès. J’arrive sur la question des mises en sécurité sociale. C’est à dire que je pense qu’il faut qu’il y ait une mise en commun d’une partie de notre alimentation, d’une partie de notre accès à l’eau, de notre accès au logement, notre accès à l’énergie, nos accès au lien social, accès à la culture et que, en fait, on a déjà une leçon historique que les périodes de crises sont des périodes qui permettent en fait un changement de paradigme sur l’accès à des communs.

Isabelle Vauconsant

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