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« Il faut politiser le changement climatique pour arrêter de le subir »

"L’inaction est un choix : le fait de ne pas agir alors que des scientifiques sonnent l’alerte depuis au moins trente ans est une logique éminemment politique, comme tout ce que nous faisons. Ce sont des décisions politiques qui participent au réchauffement, qui nous y ont menés et qui l’accélèrent. Le changement climatique est politique."

Décryptages, interviews, synthèses, vulgarisation : depuis trois ans et demi, Thomas Wagner, alias Bon Pote, s’escrime à faire comprendre l’écologie au plus grand nombre, tout en combattant les idées reçues. Très actif sur les réseaux sociaux où il pourfend le greenwashing des entreprises, cet infatigable blogueur a déjà publié, sur son site internet, plus de 300 articles célèbres pour leur rigueur scientifique, leur style amical et batailleur, et leur intransigeance envers les mensonges d’un monde qui se refuse à changer. Alors que tous les indicateurs climatiques sont dans le rouge, La Relève et La Peste a interrogé l’un des corsaires les plus connus de la toile : où en est-on ? où va notre société ?

La Relève et La Peste : Dans la constellation écologiste, où est-ce que vous situerez votre travail ? Êtes-vous plutôt un influenceur, un redresseur de torts, un média ?

Thomas Wagner : Bon Pote est un média hybride. Ce n’est ni un journal ni une association. Ce n’est pas non plus le compte d’un influenceur, sauf si l’on considère que toute personne un peu suivie a de l’influence. En rédigeant mes articles, je fais juste le travail que j’aimerais que les journalistes fassent.

Je prends un sujet, je le creuse à fond, j’en présente les avantages, les inconvénients, et j’utilise toujours des sources scientifiques. Mon but, c’est vraiment d’apporter l’information et de politiser la plus grande partie de la population, en tout cas les CSP+, qui sont majoritairement dépolitisés.

Je suis aussi connu pour mes activités de « redresseur de torts » – lorsque j’épingle des entreprises ou des influenceurs sur les réseaux sociaux – mais en réalité, ce n’est même pas 5 % de mon travail. Je consacre l’essentiel de mon temps à informer les gens et à dialoguer avec eux.

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LR&LP : En parlant de médias, quels rôles jouent-ils dans la situation écologique, et dans le modèle de société qui se perpétue ?

Les grands médias ont une logique capitaliste. Certains sont à peine rentables, mais là n’est pas la question. Un média n’a pas forcément vocation à faire beaucoup d’argent. La logique d’un média mainstream, c’est de faire circuler des informations qui, elles, seront rentables, soit parce qu’elles valideront un business, soit parce qu’elles le rendront attractif.

Je pense par exemple à tous ces reportages sur les vols low-cost, qui ne font jamais le lien entre le transport aérien et le changement climatique. Je pense aussi à tous ces journaux qui parlent du réchauffement, mais continuent à proposer des publicités pour HSBC ou Total.

À partir du moment où des médias ont des actionnaires, avec des intérêts, des exigences de rentabilité, ils ne peuvent pas faire changer le système. J’en viens à penser que la seule solution, c’est de créer des médias alternatifs, que ces médias grossissent et qu’ils aient une ligne de conduite irréprochable, une rigueur dans le traitement des sujets.

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LR&LP : Selon une étude récente de l’OCDE, quatre Français sur cinq seraient convaincus de l’importance d’agir contre le changement climatique. Pourquoi, dans ce cas, rien ne bouge ?

L’un des plus gros blocages, selon moi, c’est la justice sociale. En parlant à des gens de tous horizons : des CSP+, des agriculteurs, des médecins, des commerçants… je me suis aperçu que la plupart d’entre eux sont d’accord pour changer, mais qu’ils veulent absolument qu’il y ait une justice sociale.

Pour vous donner un exemple concret, personne ne fera rien si Bernard Arnault continue d’enchaîner les allers-retours en jet privé, et qu’aucune politique ne limite l’aviation pour tout le monde. Cela veut dire qu’il n’y aura pas l’ombre d’une transition écologique sans justice sociale – si tant est qu’il faille une transition écologique, et non une révolution.

LR&LP : En tant qu’observateur de premier plan, comment percevez-vous l’évolution de notre société vis-à-vis du changement climatique ?

Il y a une légère, très légère prise de conscience. Plein de personnes commencent à s’intéresser au climat, même si elles ne sont sans doute pas arrivées au bout du chemin. En revanche, moi qui ai travaillé dans de grands groupes du secteur bancaire et qui connais ces milieux, je peux vous dire que les anciens logiciels sont encore très ancrés.

Le but de beaucoup de gens, c’est encore de gagner de gros salaires et de partir en vacances à l’autre bout du monde. Lorsque des joueurs de foot qui passent de Dubaï à Miami sont applaudis sur la toile, on voit bien que le modèle dominant reste celui d’hier.

C’est pour cette raison qu’au lieu de les flinguer et de les stigmatiser, il faut absolument parler à ces gens qui ne pensent pas comme nous, sans quoi on ne fera jamais éclater la bulle écolo. Pour ma part, je réfléchis tous les jours à des manières de les rallier à notre cause.

Mais au-delà du climat, il y a quelque chose qui m’inquiète beaucoup plus aujourd’hui que le changement climatique, à court terme tout du moins : le mois dernier, 89 députés d’extrême droite sont arrivés à l’Assemblée nationale ; or, le programme de Rassemblement national est à la fois climatosceptique ou climatorassuriste. C’est factuel.

Marine Le Pen et son parti s’écartent de tout consensus scientifique pour raconter n’importe quoi. Le danger est donc immense : ces cinq prochaines années, 89 députés vont bloquer toutes les lois qu’il faudrait adopter pour avancer.

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LR&LP : Justement, l’extrême-droite ne cesse de fustiger « l’écologie punitive ». Que répondez-vous à ceux qui disent que l’écologie est forcément une dégradation du niveau de vie ?

Je réponds que tout dépend de ce que lon attend du niveau de vie ! En France, nous avons largement les moyens de maintenir un très bon niveau de vie pour tous les Français, tout en créant un modèle soutenable.

Oui, il va nous falloir réduire notre consommation et notre train de vie, c’est indéniable. Il va falloir drastiquement réduire l’avion, diviser par trois notre consommation de viande, qui est à 80 kilos annuels ; mais d’un autre côté, est-on vraiment né pour faire un Paris-Tahiti toutes les semaines ?

La plupart des êtres humains n’ont jamais pris l’avion. Réduire la viande permet aussi d’être en meilleure santé. Le monde des écolos ne fait pas rêver ? Mais un monde où les canicules se succèdent et où les forêts brûlent fait-il rêver, lui ?

L’écologie exige de changer certaines choses, mais elle n’est pas forcément punitive : réduire la part de la voiture en ville, avoir plus de vélos, moins de bruits, moins de scooters thermiques, un air meilleur, ce n’est pas un enfer, c’est un bonheur.

LR&LP : Quelles sont les autres idées reçues les plus répandues, selon vous ?

Il y en a une dont les conséquences me paraissent particulièrement importantes : c’est l’idée selon laquelle il ne faudrait pas confondre politique et climat, qu’il y aurait le changement climatique et la science d’un côté, et la politique de l’autre. Même ceux qui sont engagés pour le climat pensent que science et politique sont deux choses distinctes. Rien n’est moins faux.

L’inaction est un choix : le fait de ne pas agir alors que des scientifiques sonnent l’alerte depuis au moins trente ans est une logique éminemment politique, comme tout ce que nous faisons. Ce sont des décisions politiques qui participent au réchauffement, qui nous y ont menés et qui l’accélèrent. Le changement climatique est politique.

Aujourd’hui, les faits sont là : en ce mois de juillet, la France brûle ; les canicules deviennent la norme, nous y sommes ! Et pourtant nos politiques sont insuffisantes comparées à l’urgence. Pourquoi rien n’est-il fait ? Parce que la politique est monopolisée par des cercles de pouvoir qui n’ont pas intérêt à changer. C’est incroyablement évident, mais encore très mal compris. 

LR&LP : Faut-il donc utiliser le vote comme moyen d’action ?

Je n’attends rien des politiques. Il ne faut pas attendre qu’ils changent. Il faut qu’une masse critique de personnes ait un intérêt commun à changer. Une fois que cet intérêt devient clair, il sera récupéré par le personnel politique.

Si plus de la moitié d’une ville demande davantage de pistes cyclables, le maire s’emparera du sujet et fera un effort. Nous devons donc informer, débattre, convaincre jusqu’à ce qu’un point de bascule soit atteint et que la donne change.

LR&LP : Tous les rapports scientifiques montrent que de toute façon, le monde va se réchauffer, que les incendies monstres et les catastrophes naturelles vont se multiplier… Ne pensez-vous jamais qu’il est trop tard ? Que c’est foutu ? 

Cela fait quarante ans qu’il est trop tard pour agir, mais il n’est jamais trop tard pour limiter ce qui va arriver. On ne retrouvera jamais le monde tel qu’il était il y a 150 ans. Certains changements sont irréversibles : la montée des eaux, la fonte des glaciers. Tout va continuer dans ce sens tant que et d’autant plus qu’on n’atteint pas la neutralité carbone – si jamais nous l’atteignons de notre vivant.

Mais plus on retarde notre action, moins nos marges de manœuvre seront grandes. On doit donc se dire quil nest jamais trop tard pour maintenir un monde vivable. Voilà la logique qui doit nous guider. »

Vous pourrez suivre le travail de Thomas Wagner sur son site Bon Pote. Il est également très actif sur Twitter, LinkedIn et Instagram.

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Crédit photo couv : Le président français Emmanuel Macron (au centre) et le président des Émirats arabes unis, le cheikh Mohamed ben Zayed al-Nahyan (2-L), assistent à la signature d’un partenariat de « coopération énergétique » avec le ministre de l’Industrie des Émirats arabes unis, Sultan Ahmed al-Jaber (à gauche), le PDG du groupe TotalEnergy, Patrick Pouyanne (à droite), le ministre des Finances Bruno Le Maire (2-R) et la ministre de la Transition énergétique Agnès Panier-Runacher (3-R) avant un dîner d’État organisé au Grand Trianon du château de Versailles près de Paris, le 18 juillet 2022. – Christophe PETIT TESSON / POOL / AFP

Augustin Langlade

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