Pour l’Océan, l’heure est grave. Cruciale. Alors que la Norvège s’est elle-même positionnée ces dernières années comme « un champion des océans », son récent virage en faveur de l'exploitation minière des fonds marins a créé un tollé international. Demain, le pays pourrait devenir le premier au monde à ouvrir les planchers océaniques aux appétits des industriels, créant des dommages irrémédiables dans l’Arctique.
Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Alors qu’elle s’était engagée à gérer durablement 100 % de ses eaux côtières d’ici 2025, entraînant avec elle 17 pays dans un groupement international intitulé « The Ocean Panel », l’intérêt de la Norvège pour le deep-sea mining ou forage en eaux profondes pourrait bien détruire à néant ses belles intentions.
En juin 2023, la Norvège a annoncé vouloir ouvrir une vaste zone de 280 000 kilomètres carrés des fonds marins de l’Arctique – une superficie équivalente à celle de l’Irlande et du Royaume-Uni – à l’exploitation minière des fonds marins, contre laquelle de nombreux scientifiques réclament un moratoire d’au moins 10 ans pour les impacts inconnus et désastreux qu’elle risque de faire subir aux écosystèmes marins.
Depuis deux ans, la société civile et scientifique livre un combat politique intense afin de préserver les grands fonds marins des appétits des industriels qui souhaitent y extirper des nodules polymétalliques remplis de terres rares et minerais précieux. Alors que plus de 24 pays, dont la France, ont rejoint la proposition de moratoire, la Norvège agit à l’encontre du principe de précaution réclamé par une multitude de scientifiques.
Six mois après cette annonce, la proposition visant à faire progresser l’exploitation minière en haute mer a reçu le soutien de tous les partis au Parlement, faisant de la Norvège le pays le plus susceptible de commencer l’extraction industrielle de métaux rares de l’océan. Demain, un vote doit décider du sort du projet norvégien.
Si le Parlement norvégien va au bout du projet, des sites seront ouverts à l’exploitation industrielle dans les mers de Barents, de Norvège et du Groenland qui regorgent de cuivre, de cobalt, de magnésium et de terres rares sous deux formes : des croûtes de manganèse et des sources hydrothermales inactives.
En exploitant ces ressources, le gouvernement norvégien espère garantir son propre approvisionnement en minerais nécessaires à la construction de technologies énergétiques vertes, telles que les batteries de véhicules électriques, les éoliennes et les panneaux solaires.
Or, pour les protecteurs de l’environnement, bon nombre des sites concernés abritent des écosystèmes et des espèces vulnérables. Daniel Bengtsson de Greenpeace Nordic affirme qu’une zone, proche de l’île Jan Mayen dans l’Arctique, est une réserve bien connue pour la biodiversité.
« C’est une zone de migration des baleines, c’est une aire d’alimentation pour les grands mammifères marins, c’est important pour les oiseaux marins », dit-il. « Il ne fait aucun doute qu’il s’agit de zones sensibles. »
Surtout, les écologistes sont inquiets des conséquences de l’exploitation minière sur la capacité des océans à stocker le carbone. En raclant les fonds marins, les immenses excavatrices risquent de libérer des quantités de gaz carbonique qui étaient jusque-là séquestrés dans les sols, provoquant de véritables « bombes climatiques » alors que l’année 2023 a été la plus chaude jamais enregistrée.
Les sédiments soulevés par l’exploitation minière pourraient également pénétrer dans la colonne d’eau et avoir un impact négatif sur la faune et la pêche commerciale. Face au danger, plusieurs grandes entreprises, dont BMW, Google et Samsung, se sont engagées à ne pas utiliser de matériaux provenant de l’exploitation minière en haute mer dans leurs produits.
Ce ne serait pas la première fois que la Norvège faillit à protéger ses eaux. Alors que la superficie océanique du pays est six fois supérieure à celle de sa masse continentale, moins de 1 % de ses eaux nationales sont vraiment protégées de la pêche industrielle et d’autres industries extractives.
Pire, la Norvège a été sévèrement critiquée par des groupes écologistes pour avoir continué à autoriser le déversement de déchets miniers en mer – une pratique interdite dans la plupart des autres États côtiers – et pour avoir prévu de multiplier par cinq l’élevage du saumon, une industrie accusée de mortalité élevée des poissons et de pollution côtière.
Alors que le Parlement doit décider demain du sort de l’Océan Arctique, une délégation de jeunes activistes et scientifiques ont lancé une mobilisation numérique de grande ampleur à l’attention des dirigeants norvégiens afin de les faire changer d’avis.