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France : l’IGPN contrainte d’acter la hausse des violences policières volontaires

L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a publié, lundi 8 juin, son rapport annuel, contenant tous les éléments susceptibles d’enflammer l’actualité. Durant l’année 2019, la police des polices a dû se saisir de 1 460 enquêtes judiciaires, un nombre non seulement inédit, mais aussi en hausse de 23,7 % par rapport à l’année précédente.

C’est comme si le calendrier conspirait. Rapport d’activité de l’IGPN, rapport annuel du Défenseur des droits, adresses d’Emmanuel Macron à ses ministres : le lundi 8 juin, tout semble remettre en question l’intégrité des forces de l’ordre et leurs manquements à la déontologie. Ces événements interviennent alors que des manifestations ont lieu depuis le 25 mai dans le monde entier pour dénoncer le racisme et les violences policières.

Black Lives Matter, mouvement mondial

Trop, c’est trop. Le mouvement de protestation contre les violences et le racisme des forces de l’ordre continue de se répandre dans le monde entier et s’apprête peut-être à faire bouger les lignes dans notre pays. Tout a commencé dans la ville américaine de Minneapolis (Minnesota), où le 25 mai dernier George Floyd, un homme noir, a été assassiné par des policiers au cours d’une interpellation.

Crise sanitaire ou non, le vase a débordé : des manifestations placées sous la bannière « Black Lives Matter », mais se révoltant plus largement contre toute forme de violence et de discrimination, n’ont cessé depuis lors d’embraser les États-Unis. Et la colère ne faiblit pas.

Peu à peu, le mouvement à gagné les villes européennes, de Bristol (Royaume-Uni) à Budapest (Hongrie), en passant par Madrid (Espagne), Bruxelles (Belgique) et Lausanne (Suisse). En signe de protestation, les manifestants se placent un genou à terre, tête baissée et le poing levé, bien souvent pendant 8 minutes et 46 secondes, le temps qu’il aura fallu au policier américain pour tuer George Floyd.

À Bristol, au cours d’un rassemblement, des manifestants ont déboulonné une statue du marchand d’esclaves Edward Colston, honorée par la ville pour ses actions philanthropiques, l’ont piétinée puis jetée dans la rivière Avon. À Minneapolis, le conseil municipal a récemment déclaré que sa police serait bientôt « démantelée », signe que « les protestations massives » sont bien « le seul moyen d’être entendu », comme l’a souligné au « Monde » Clayborne Carson, professeur d’histoire à l’université de Stanford (Californie).

En France, à la fin d’une période de stupeur causée par l’épidémie et le confinement, les événements américains ont fait cruellement écho à la quête de justice d’une famille. Quatre ans après la mort d’Adama Traoré, un jeune homme noir de 24 ans tué par des gendarmes de Beaumont-sur-Oise, plus de 20 000 personnes ont répondu à l’appel du Comité Adama et se sont rassemblées, mardi 2 juin, devant les bâtiments du tribunal de grande instance de Paris, dans le XVIIe arrondissement, pour réclamer que justice soit faite dans cette affaire qui n’en finit plus de défrayer l’actualité.

La préfecture de police de Paris a beau avoir interdit toute manifestation sous prétexte d’état d’urgence sanitaire, le rassemblement n’en a acquis que davantage de visibilité.

Le rassemblement Justice pour Adama le 02 juin 2020

En France, l’explosion des violences policières en 2019

C’est dans ce contexte que l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a publié, lundi 8 juin, son rapport annuel, contenant tous les éléments susceptibles d’enflammer l’actualité. Durant l’année 2019, la police des polices a dû se saisir de 1 460 enquêtes judiciaires, un nombre non seulement inédit, mais aussi en hausse de 23,7 % par rapport à l’année précédente.

Sur les 1 460 affaires que mentionne le rapport, plus de la moitié (868) portent sur des « violences volontaires » commises par des policiers, soit 256 de plus qu’en 2018.

Dans le détail, on s’aperçoit que près de 40 % de ces violences ont été perpétrées dans le cadre de manifestations, 13 % au cours de contrôles d’identité et 14 % « sur des personnes retenues » par l’autorité publique. Malgré tout, l’IGPN tient à « rappeler l’absence de corrélation entre une blessure consécutive à l’usage de la force et la légitimité dudit usage ». Autrement dit, la violence n’est pas toujours illégitime.

Mais comment expliquer le bond surprenant des saisines de la police des polices ? Si l’on suit le raisonnement du rapport, plusieurs facteurs entreraient en jeu. Le mouvement des « Gilets Jaunes », qui a manifesté chaque semaine pendant deux ans, le mouvement des lycéens et la contestation contre la réforme des retraites auraient fait drastiquement augmenter le nombre de « contextes souvent inédits d’extrême violence », lors des rencontres avec les forces de l’ordre, soi-disant contraintes de mettre en œuvre des « ripostes nombreuses et plus fermes ».

Par ailleurs, les plates-formes de signalement de l’IGPN, sur internet (+ 22,3 %) ou par téléphone (+ 43,3 %) auraient fait l’objet d’un usage plus étendu par la population, que la médiatisation des mouvements sociaux aurait informée de l’existence de tels recours, sans pour autant la prévenir qu’un signalement ne provoque pas automatiquement l’ouverture d’une enquête.

Dans le seul cadre des manifestations des « Gilets Jaunes », 399 dossiers ont été ouverts par l’IGPN, dont 130 concernent des blessures graves (œil crevé, mâchoire fracturée, main cassée), souvent causées par les lanceurs de balles de défense ou les grenades à main de désencerclement, qui jouissent toujours d’un usage massif par la police et la gendarmerie.

Sur ces 399 dossiers, 274 ont été transmis aux instances judiciaires, mais seulement une douzaine de policiers devraient être soumis à de véritables poursuites. Plus généralement, en 2019, 117 personnes ont été gravement blessées par les forces de l’ordre, ce nombre s’expliquant par le fait que toutes les affaires traitées par la police des polices courent souvent sur plusieurs années.

La neutralité de l’IGPN est souvent critiquée, quand on sait que cette instance de contrôle n’est pas indépendante et ne soumet à la hiérarchie des policiers mis en cause que des propositions de sanctions. Rarement, un dossier ouvert pour des violences policières est suivi d’un véritable procès.

Dans le dernier rapport annuel de son mandat, publié le 8 juin, Jacques Toubon, le Défenseur des droits, a dénoncé une forme d’impunité systématique dans les rangs de la police. En une dizaine d’années, le nombre de plaintes, adressées à ses services à l’encontre de policiers ou de gendarmes, a été multiplié par dix.

L’an dernier, le Défenseur des droits a demandé des poursuites disciplinaires dans 36 des 2 000 dossiers qu’il a dû traiter sur le sujet ; c’est peu, et pourtant, aucun de ces appels à la sanction n’a reçu de suite, alors que les juristes et les conseillers de cet organisme neutre avaient effectué une sélection rigoureuse des affaires, tout en y versant des preuves solides.

« Cette situation prive en partie le Défenseur des droits de l’effectivité de la mission de contrôle extérieur qui lui a été confiée par le législateur et donc de contribuer à apaiser les relations entre les forces sécurité de l’État et la population », indique sobrement le rapport. Claudine Angeli-Troccaz, adjointe en charge de la déontologie de la sécurité souligne que les dossiers confiés au Défenseur des droits « mettent en évidence une crise de confiance des citoyens à l’égard des forces de sécurité et une augmentation des violences à l’occasion de l’exercice de leurs missions ».

Elle appelle à « une prise de conscience des autorités » : l’impunité existe bel et bien dans la police et il faut à tout prix y remédier.

En matière de racisme et de discrimination, le Défenseur des droits s’est plusieurs fois attaqué aux contrôles au faciès, ainsi qu’à certaines formes plus locales de « discrimination systémique » au sein de la police. D’une manière plus générale, le rapport signale un « déclin consenti » des libertés publiques et des droits fondamentaux depuis 2001 et met en cause la multiplication des lois liberticides et des états d’urgence censés combattre la menace terroriste.

Sommé depuis plusieurs semaines de répondre à cet ensemble d’accusations envers les forces de l’ordre, mais gardant jusque-là le silence, Emmanuel Macron a fait le lundi 8 juin un premier pas en avant. Après avoir demandé au Premier ministre, Edouard Philippe, de faire rapidement des propositions pour remédier à la violence et au racisme de la police, il a adressé au ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, l’ordre « faire aboutir rapidement le travail, engagé en janvier dernier » pour « améliorer la déontologie des forces de l’ordre ».

En janvier dernier, le président de la République avait déjà souhaité qu’une réforme de profondeur soit entreprise dans la police nationale, mais celle-ci était bien entendu restée lettre morte. Enfin, toujours le même jour, Emmanuel Macron a demandé à la ministre de la Justice de se pencher sur le dossier du décès d’Adama Traoré. L’avocat de la famille, quant à lui, l’a intimé de « respecter la séparation des pouvoirs ». « La loi interdit à la garde des Sceaux d’intervenir dans des affaires individuelles », a-t-il écrit.  

Crédit photo couverture : ARNAUD FINISTRE / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Augustin Langlade

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