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Forage en mer : « les infrastructures restantes sont des bombes à retardement »

Les infrastructures de forage détiennent d’immenses quantités d’eaux contaminées, d’hydrocarbures et de produits toxiques enfermés dans leurs bases de béton, « une véritable bombe à retardement, précise Yana Prokofyeva, car ces déchets, ces polluants se retrouveront un jour où l’autre disséminés dans les mers et les océans. »

Alors que le 25 septembre dernier, la banquise arctique a atteint sa deuxième plus basse superficie jamais enregistrée, les géants du pétrole intensifient leurs forages dans le Grand Nord. Les bouleversements actuels du climat représentent une somme d’opportunités économiques : ouverture de nouvelles routes maritimes, construction de bases militaires, lancement de méga-projets à la recherche de métaux rares et d’hydrocarbures… Convoité par les plus puissants pays du monde, États-Unis, Russie et Chine en tête, l’immense territoire de l’Arctique abriterait 13 % des réserves de pétrole non découvertes. La fonte des glaces les rend de plus en plus accessibles.

Les forages en mer encore actifs

Les forages en Arctique ne constituent pas les seuls espoirs des compagnies pétrolières. Une immense partie des nappes de pétrole non découvertes se situent en mer, dans les espaces côtiers ou offshore. Après une relative diminution ces dernières années, les forages en mer connaissent un regain de succès. Il y aurait 2 800 sites en activité dans le monde, principalement en Amérique du Nord, en Russie et dans le Pacifique.

En refusant de prolonger un permis de recherche au large des îles Éparses, un archipel situé dans le canal du Mozambique (7 km2), la France a mis fin en février dernier au forage d’hydrocarbures dans ses eaux territoriales. Une loi de 2017 avait auparavant interdit la délivrance de tout nouveau permis.

Il ne reste plus que 64 gisements français en activité, dont un seul en mer ; détenue par Total en Guyane, cette licence n’est pourtant pas exploitée, l’entreprise ayant renoncé à forer.

Le pétrole offshore français a tiré sa révérence. Dans le reste de l’Europe, en revanche, l’exploitation des gisements côtiers ou offshore peine à diminuer.

Si les entreprises ne communiquent pas le nombre exact de forages en activité sur notre continent, une carte interactive publiée par la Commission européenne permet de se le figurer : on y découvre que l’écrasante majorité des exploitations se trouvent en mer du Nord (des centaines) ainsi qu’en mer Adriatique (des dizaines).

L’association Surfrider Europe milite depuis des années auprès des institutions européennes pour faire interdire définitivement le forage en mer. À l’occasion de sa nouvelle campagne, qui démarre en ce mois d’octobre, nous avons cherché à en savoir davantage sur cette pratique aussi polluante que méconnue.

Déversement du pétrole suite à l’accident de Deepwater Horizon perçu par la NASA, durant le 24 mai 2010.

La nécessité de légiférer pour éviter les accidents

Le 20 avril 2010, le Deepwater Horizon explose, faisant onze morts et provoquant la plus grande marée noire de l’histoire des États-Unis. Cette plate-forme installée dans le golfe du Mexique par la compagnie britannique BP était le puits le plus profond jamais foré en offshore. Une série de négligences aux règles de sécurité serait à l’origine de l’explosion.

« C’est en réponse à l’accident du Deepwater Horizon, nous indique Yana Prokofyeva, en charge du plaidoyer européen chez Surfrider, que la Commission européenne adopta en 2013 la directive relative à la sécurité des opérations pétrolières et gazières en mer. Réclamée notamment par notre association, cette directive a fait en sorte qu’un Deepwater ne soit plus possible aujourd’hui en Europe. »

Plus technique que politique, cette directive ne prend pourtant que très peu en compte les enjeux environnementaux, comme le forage dans les aires marines protégées, encore autorisé. Les entreprises ne sont pas non plus légalement responsables du démantèlement de leurs plates-formes, une fois l’exploitation achevée.

Or, les infrastructures de forage détiennent d’immenses quantités d’eaux contaminées, d’hydrocarbures et de produits toxiques enfermés dans leurs bases de béton, « une véritable bombe à retardement, précise Yana Prokofyeva, car ces déchets, ces polluants se retrouveront un jour où l’autre disséminés dans les mers et les océans. »

En mer du Nord, la question du démantèlement des structures de forage commence à se poser. En septembre 2019, le gouvernement britannique a autorisé la firme Shell à abandonner trois plates-formes au nord-est de l’Écosse.

Construites dans les années 1970, ces structures de métal et de béton recèleraient 11 000 tonnes d’hydrocarbure et de produits toxiques. Critiquée par plusieurs pays européens, la compagnie pétrolière a avoué qu’il lui était impossible de démanteler entièrement ses plates-formes.

« On ne sait pas le faire, commente Yana Prokofyeva, ces bâtiments n’ont jamais été conçus pour être démantelés. Et même quand on peut en déconstruire une partie, la procédure est coûteuse, complexe et dangereuse, car il faut tout séparer, scier les jambes, recycler les matériaux, traiter les eaux… Un tel démantèlement prend des années et ne peut qu’être financé par les contribuables, au moyen de déductions fiscales accordées aux entreprises. »

En ce moment même, la Commission européenne procède à une évaluation de sa directive de 2013. Doit-on la réviser, l’ajuster, la compléter ? Le rapport aurait dû paraître en 2019, mais comme souvent, il se fait attendre depuis de longs mois.

Selon l’experte de Surfrider, la Commission pourrait aussi bien botter en touche que réviser intégralement le volet environnemental de sa directive. Tout dépend de l’orientation politique qu’elle souhaite se donner.

« Malheureusement, les dégâts environnementaux causés par le forage en mer ne représentent pas une priorité pour les instances exécutives de l’Union », déplore Yana Prokofyeva.

Action de Greenpeace Belgique contre Shell pour demander à l’entreprise de ne pas laisser des infrastructures pleines de produits dangereux en mer

Une mobilisation politique et citoyenne

C’est pourquoi Surfrider a décidé de déplacer son curseur, en menant cette fois-ci campagne auprès des citoyens et du Parlement. L’accord de Paris fête bientôt ses cinq ans, le Green Deal de la Commission prévoit de faire parvenir l’Europe à la neutralité carbone d’ici 2050, et le nouveau Parlement compte désormais près de 70 députés « verts ». Yana Prokofyeva est optimiste : le contexte est favorable.

« On est en train de mobiliser les députés pour qu’ils demandent à la Commission de remettre le sujet sur la table. Si le Parlement vote par exemple une intention d’interdire les forages en mer, l’exécutif sera forcé d’intervenir. »

Pour décupler ses chances de succès, Surfrider fait appel aux citoyens européens. Sur le site internet de l’association, il est désormais possible à toute personne d’interpeller le député européen de sa circonscription, afin de l’amener à agir contre les forages marins.

« Notre campagne sert aussi à démontrer aux institutions européennes que les citoyens s’intéressent réellement à ce sujet. La pollution des océans, les marées noires et la biodiversité marine les préoccupent ! »

Pour espérer parvenir à l’objectif de 1,5 °C de réchauffement climatique maximum, l’humanité se doit de laisser au moins 80 % des énergies fossiles découvertes dans les sols. Mais l’interdiction du forage en mer permettrait surtout de préserver les fonds marins, les premiers à subir les conséquences de cette industrie.

« Avant même l’exploitation, nous indique Yana Prokofyeva, ce qu’on appelle les levées sismiques, la prospection, perturbe énormément le monde marin. Les sondes qui sont envoyées dans la terre immergée pourraient être l’une des causes responsables des échouages de dauphins à répétition. Et ce n’est qu’un exemple. »

Autre argument : la filière du forage en mer est en déclin. De moins en moins rentable, notamment du fait de la baisse du prix du pétrole dans le monde entier, cette industrie ne fournirait un travail qu’à très peu de personnes. Par comparaison, la pêche et le tourisme en emploient quarante fois plus. À cela, il faut ajouter la dangerosité, l’inaccessibilité des gisements, les conditions de travail impossibles… Autant de raisons de mettre fin à cette activité délétère.

Augustin Langlade

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