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Finance verte : les dérives d’un marché des « droits à détruire la nature »

Si la conservation de la nature se base sur des considérations monétaires, il y a aura toujours un point où il sera plus profitable de détruire que de préserver.

À l’agenda de cette semaine étaient inscrites des négociations internationales autour de la préservation de la biodiversité, lors de la CBD COP15. Dans ce contexte, les députés écologistes alertent sur les dangers des mécanismes de compensation, avancés comme pouvant être des solutions pour la nature. Le groupe des Verts au Parlement Européen a ainsi commandé une étude au chercheur Fredéric Hache, qui pointe les risques liés à la financiarisation de la nature.

Donner une valeur économique au Vivant

« 2021 est une année particulière », commence Fredéric Hache, directeur exécutif de Green Finance Observatory et enseignant à Sciences Po Paris. « Nous sommes à l’aube d’une financiarisation sans précédent de la nature, qui va avoir des implications considérables pour les décennies à venir ».

Pour le chercheur, ce phénomène implique non seulement notre capacité à arrêter la 6e extinction des espèces, mais aussi d’innombrables conséquences sociales et géopolitiques. Mais tout d’abord, de quoi parle-t-on lorsque l’on évoque la financiarisation de la nature ?

« Il s’agit de reconceptualiser la nature comme un ensemble de services qui seraient au bien-être de l’humain », explique Fredéric Hache. « Ainsi, tout ce qui ne rend pas service à l’humain ne mérite pas d’être préservé et peut être détruit gratuitement ».

La Nature face au « Capital Naturel »

Cela reviendrait donc à mettre un prix sur la nature, afin de la conserver mieux que par le passé.

« En réalité on sait que c’est faux. Les réglementations environnementales contraignantes fonctionnent très bien quand on les met en place », continue le chercheur. « Le meilleur exemple est le protocole de Montréal sur les aérosols qui causent des trous dans la couche d’ozone, ou encore l’interdiction de l’amiante ».

Il est par ailleurs admis que la conservation basée sur des incitations monétaires demeure extrêmement versatile. Une illustration pourrait être le cas d’un producteur de café au Costa Rica. Sa production serait adjacente à une forêt hébergeant une colonie d’abeilles. Le producteur pourrait avoir intérêt à payer le propriétaire de la forêt pour que celui-ci ne coupe pas la forêt, parce que les abeilles sont utiles à la pollinisation du café. Mais si l’année suivante le producteur décide de cultiver des ananas, il n’aurait alors plus besoin des abeilles. Elles pourraient même au contraire abîmer sa récolte. Il aurait donc plutôt intérêt à payer le propriétaire de la forêt pour qu’il la coupe.

Cet exemple montre que si la conservation de la nature se base sur des considérations monétaires, il y a aura toujours un point où il sera plus profitable de détruire que de préserver.

Une méthodologie réductrice

En outre, selon Fredéric Hache, mettre un prix sur la nature n’est tout simplement pas faisable. En se penchant sur les méthodologies utilisées, l’on remarque en effet deux grands problèmes.

D’abord, les services écosystémiques pris en compte se limitent à 2 voire 3 services principaux, laissant le reste de côté. Toutes les interdépendances se trouvent également oubliées, puisque comme le disent les concepteurs de ces modèles « ce serait trop compliqué de prendre tout en compte ».

Ainsi, résume le chercheur, « ce qui est pris en compte, ce n’est pas la nature ».

Ensuite, les méthodologies de valorisation monétaires sont extrêmement simplistes. Celles-ci reposent essentiellement sur des enquêtes, dans lesquelles on demande aux gens : combien seriez-vous prêts à payer pour que ce parc existe l’an prochain ?

« Évidemment, les chiffres qu’on obtient ne signifient absolument rien », juge Fredéric Hache.

Une illustration de cette absurdité est la valeur des services écosystémiques en Europe, publiée cette année par la Commission européenne. Celle-ci s’élèverait à 234 milliards d’euros.

« D’une part, que signifie ce chiffre dans la mesure où on ne peut pas vivre sans nature ? », interroge le chercheur. « Est-ce que 234 milliards d’euros veut dire quelque chose, ou est-ce que ce ne serait pas plutôt quelque chose d’infini ? D’autre part, ce chiffre représente grosso modo un mois de revenu du secteur pétrolier et gazier mondial. Alors est-ce que le fait de produire ce chiffre aide à préserver la nature, ou au contraire facilitera sa destruction à l’avenir ».

Un autre problème lié à financiarisation de la nature est l’idée de compensation. Selon celle-ci, restaurer des habitats permettrait de compenser des destructions futures.

L’écureuil : Cela dit « Pourriez-vous capturer plus de CO2 de sorte à ce que nous puissions augmenter notre production de pétrole ? » Signé : le lobby des pollueurs
L’arbre : Ce n’est pas comme cela que j’avais imaginées les solutions basées sur la nature.

Un exemple de ce concept serait celui d’un développeur immobilier souhaitant construire un aéroport sur un habitat de flamants roses. Le développeur pourrait compenser cette destruction en récréant un habitat de flamants roses à proximité. Mais en réalité, l’humain n’est pas capable de recréer toutes les fonctions écosystémiques détruites.

Un autre moyen de compensation, encore plus absurde, serait de compenser non pas à proximité, mais quelque part dans le monde. Et non pas en recréant un habitat de flamants roses, mais en créant un service écosystémique de valeur monétaire équivalente. 

Dans le cas de notre habitat de flamants roses, il s’agirait de par exemple de créer un habitat de chauve-souris en Grèce. Or, ce second moyen de compensation est celui promu par la Commission européenne.

S’il se met tout juste en place en Europe, ce processus de compensation existe déjà au Canada, aux USA et en Australie. Le bilan est désastreux : les études ont montré que ces projets de restauration et de compensation sont un échec dans la grande majorité des cas.

À cela s’ajoute un problème d’accaparement des terres, puisque c’est là où la terre n’est pas chère que l’on va aller planter des arbres ou restaurer des habitats.

Ce phénomène est déjà en cours : au Pays de Galles, toutes les fermes mises aux enchères sont achetées par des fonds d’investissement londoniens. Celles-ci sont détruites et transformées en plantations d’arbres pour obtenir des crédits CO2, détruisant au passage la culture locale et le tissu social.

Ainsi, la restauration est une bonne chose. Mais lorsque cette restauration est considérée comme de la compensation, et qu’elle est financée par des mécanismes de compensation, cela devient un problème. Pour Fredéric Hache, il est clair que la tentative de mesurer le « capital naturel » en termes monétaires est vouée à l’échec. Pire que cela, elle conforte cette tendance à un essor sans précédent du champ des marchés financiers.

Malheureusement, ces mécanismes de compensation et de financiarisation de la nature sont promus par la Commission européenne, et se retrouvent aussi au niveau de l’ONU.

« On a besoin de faire émerger ce débat pour pouvoir prévenir une forme de création-surprise de marchés de compensation et de financiarisation qui se ferait dans le dos des citoyennes et des citoyens », souligne à ce sujet l’eurodéputée Marie Toussaint.

Le Parlement a donc un rôle-clé à jouer, avec des propositions de loi très importantes qui seront présentées prochainement. Parmi elles, l’objectif de restauration obligatoire porté par la Commission européenne.

En conclusion, et pour reprendre les mots de l’eurodéputé Philippe Lamberts, l’enjeu est aujourd’hui de « réinsérer l’économie dans les contraintes du vivant, et non l’inverse ».

Retrouver l’étude en intégralité : Finance verte et biodiversité

Marine Wolf

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