Méconnus du grand public, les navires de fret maritime sont de graves pollueurs, rejetant dans les ports et sur la mer particules fines et gaz toxiques. Pourtant, la régulation en matière d’émissions pour la marine marchande est encore très laxiste ; dans une enquête publiée récemment, l’association FNE attire l’attention sur un danger sanitaire et environnemental.
Un mode de transport majoritaire à l’échelle internationale
Avec 90 % du transport de marchandises, le fret maritime représente la majorité du trafic commercial dans le monde, alliant économie (les cargaisons étant considérables, le coût à la tonne est très réduit) et longue portée (sur notre planète bleue, les océans permettent d’aller partout). Ajoutons à cela les millions de personnes qui empruntent chaque année ce mode de transport pour se déplacer (croisières, ferries), et l’on obtient 100 000 cargos sillonnant inlassablement la planète, responsables d’environ 4% des émissions de gaz à effet de serre.
Pour autant, l’impact de cette considérable source d’émissions – auquel il faut rajouter celui de l’émission de particules fines – est moins connu que celui du transport routier, et le transport maritime bénéficie encore aujourd’hui d’une image de « transport propre ». Pour en avoir le cœur net, un groupement de deux associations environnementales, France Nature Environnement (FNE) et l’ONG allemande NABU, a mené l’enquête dans la ville portuaire de Marseille.
Un impact non négligeable sur la santé
Parce qu’ils alimentent leurs moteurs avec du fioul lourd – un produit pétrolier peu raffiné – les navires marchands produisent considérablement plus de particules fines (entre 10 et 2,5 microns) et ultra-fines (moins de 2,5 microns). Or, ces dernières sont particulièrement dangereuses pour la santé car elles s’infiltrent profondément dans l’organisme et provoquent des maladies pulmonaires et cardiovasculaires – comme le démontre une étude de l’université de Rostock. En termes de particules fines, un paquebot à l’arrêt dans un port émettrait donc, selon l’association FNE, autant qu’un million de voitures.
Les populations concernées sont en premier lieu les occupants des navires, qui respirent un air jusqu’à 70 fois plus pollué que celui de la ville ; viennent ensuite les habitants des alentours du port (car les moteurs tournent même à quai), victimes d’un air 20 fois plus pollué (60 000 particules ultra-fines par centimètre cube d’air). Ces mesures, effectuées seulement à Marseille n’ont pas force de preuve mais elles sont un bon indicateur du risque lié aux émissions de la marine marchande. Le coût humain et économique en est considérable : près de 60 000 morts prématurées par an, et 58 milliards d’euros de dépenses de santé.
Il faut ajouter à cela les autres émissions dues à l’utilisation de fioul : en plus du dioxyde de carbone (CO2) que l’on connaît bien, les navires émettent de l’oxyde de soufre (7% des émissions mondiales) et de l’oxyde d’azote (11% des émissions mondiales). Ces deux gaz aux noms patibulaires sont à la fois polluants (effet de serre supérieur à celui du CO2 et acidification des pluies) et dangereux pour la santé. Ainsi, le soufre serait responsable d’environ 50 000 morts prématurées en Europe (infections et hypersensibilité aux microbes des bronches).
Une réglementation peu appliquée
Pour éviter la concurrence déloyale, la législation sur la pollution de la marine marchande est internationale. Elle est assurée par l’Organisation maritime internationale des Nations unies (OMI), qui compte 168 États membres. Depuis 1959, cette organisation a mis en place des conventions sur la pollution marine (MARPOL) pour tenter de limiter les dégâts : ainsi, dans les zones classées SECA (sulphur emissions control area), il est interdit d’utiliser un carburant dont le taux de soufre dépasse 0,1 %.
Malheureusement, le taux moyen des fiouls utilisés avoisine les 3 %, donc cette limite n’est que rarement respectée : les cargos effectuant des trajets internationaux rechignent à changer leur carburant pour une partie seulement de leurs trajets (les SECAs regroupent aujourd’hui essentiellement les zones côtières, ainsi que la Manche, la mer Baltique et la mer du Nord). Pour les armateurs, il est plus intéressant de risquer une amende de 800€ plutôt que d’adopter un carburant plus raffiné et donc plus cher (environ 30%), qui représenterait un surcoût de 80 000€ par tonne de marchandise. De plus, les mesures pour faire appliquer la réglementation sont plus que faibles : « estimés à 1/1000, les contrôles sont quasiment inexistants », rapporte EurActiv.
Même si l’OMI compte abaisser la limite légale de soufre à 0,5% partout dans le monde d’ici 2020, la réglementation sur les émissions de la marine marchande souffre encore d’importants retards, par rapport au transport routier, qui paye 35 milliards d’euros de taxe sur les émissions chaque année. Il faut ajouter à cela l’impuissance de l’Union européenne sur le sujet, puisqu’elle n’est pas membre à part entière de l’OMI, qui reste une organisation d’États : « l’Europe (…) n’existe pas d’un point de vue du droit international : elle est éclatée », déplore Jean-Marie Millour, délégué général du Bureau de promotion du transport maritime à courte distance, un lobby d’armateurs.
Un mode de transport bien moins polluant
Pourtant, avec 40 % du fret européen, le transport marin est, rapporté à la tonne de marchandise, bien moins polluant que le transport routier. Sans compter les gaz lourds comme le dioxyde d’azote et le soufre, ce mode de transport produit bien moins de CO2 car il mutualise à l’extrême les cargaisons (un porte-conteneur peut transporter jusqu’à 16 000 conteneurs, soit autant de semi-remorques).
En comparaison avec le transport routier (45% du fret européen), certes plus « propre », le transport maritime est un enfant de chœur de la pollution : selon les données du ministère de l’Ecologie, le transport routier (toutes utilisations confondues) était responsable en 2007 de l’émission de 128 millions de tonnes équivalent CO2, soit 42 fois plus que le transport maritime (3 millions de tonnes).
Quelles solutions ?
L’idéal serait donc de limiter les émissions de particules fines et de gaz toxiques chez les navires marchands, tout en encourageant ce mode de transport.
« Même si le transport maritime passait au diesel utilisé pour les voitures, on réduirait déjà sensiblement leur pollution », relève Adrien Brunetti, coordinateur du réseau santé environnement de FNE.
Au chapitre des solutions pour rendre les navires plus propres, les idées ne manquent pas, mais coûtent cher. Ainsi, l’installation d’un filtre à particules, comme sur les voitures, est si coûteuse que seuls 100 à 150 navires marchands, sur les 50 000 en circulation, en sont équipés. De la même manière, passer à un carburant plus léger, comme le GNL (gaz naturel liquéfié), représente un surcoût important, même si cela réduirait de 100 % les émissions d’oxyde de soufre et de particules fines, de 80 % celles d’oxyde d’azote et de 20 % celles de CO2.
Une modification des infrastructures et de la réglementation pourrait aussi être bénéfique : en introduisant un système d’alimentation en électricité à quai, les ports pourraient supprimer les risques sanitaires sur les villes avoisinantes ; une idée soutenue par la loi de transition énergétique de 2015. Côté réglementation, la FNE suggère d’appliquer un « bonus/malus dans les tarifs des droits portuaires » aux armateurs, pour encourager la mise aux normes, un système déjà en place pour le soufre dans les ports de Seattle et de Houston.
Les solutions existent, mais leur application se fait attendre. Selon EurActiv, l’inclusion des engagements en matière de réduction d’émissions du fret maritime dans la politique climatique européenne, qui devrait se faire en 2018, pourrait changer la donne, en incluant dans les négociations avec l’OMI les armateurs et les organisations régionales.
Crédit Photo à la une : PHILIPPE ROY / Aurimages via AFP