« C’est pas Versailles ici ! » Dans une nouvelle campagne lancée ce lundi 17 octobre, Extinction Rebellion s’attaque aux innombrables publicités lumineuses – écrans, panneaux, enseignes, vitrines – qui tapissent nos villes jamais éteintes. En attendant que l’État légifère, le mouvement écologiste a choisi, par des actions non violentes, de sensibiliser les particuliers et les commerçants sur ce gaspillage qui pourrait être facilement évité.
Nous avons interrogé « Pikou », porte-parole de la campagne « C’est pas Versailles ici » pour Extinction Rebellion France.
La Relève et La Peste : Que demande Extinction Rebellion dans le cadre de sa campagne ?
Pikou, pour Extinction Rebellion : Nous portons deux revendications : d’abord, l’arrêt complet, à toute heure du jour et de la nuit, des panneaux et écrans publicitaires lumineux, notamment les écrans vidéo et les panneaux rétro-éclairés. En second lieu, nous réclamons l’extinction complète des façades, des enseignes et des vitrines lumineuses en dehors des horaires d’ouverture des magasins, dans toutes les villes de France.
LR&LP : À qui adressez-vous ces réclamations ?
Nous avons identifié trois types d’interlocuteurs : l’État, auquel nous demandons de légiférer ; les pouvoirs locaux, auxquels nous demandons de mettre à jour leurs règlements locaux de publicité ; enfin les entreprises, que nous cherchons à responsabiliser et auxquelles nous demandons d’éteindre par elles-mêmes leurs enseignes.
LR&LP : Que pensez-vous du plan de sobriété du gouvernement, présenté le 6 octobre dernier, et notamment de l’interdiction, par décret, des publicités lumineuses entre une heure et six heures du matin sur l’ensemble du territoire ?
Ce sont pour nous des mesures décoratives. Le décret du 6 octobre ne change pratiquement rien à la législation. On l’a annoncée en grande pompe, mais l’interdiction « 1 h – 6 h » existait déjà dans les villes de moins de 800 000 habitants, une réglementation sur laquelle les plus grandes agglomération s’étaient ensuite alignées.
La loi était donc là, mais elle n’était pas correctement appliquée.
Le décret du 6 octobre s’est contenté d’harmoniser plein de dispositions différentes, tout en instaurant des amendes plus lourdes… Je précise que le texte comporte d’ailleurs des dérogations pour les gares, les aéroports et les stations de transport public, métro et bus. Il y a donc une bonne part de greenwashing, par lequel le gouvernement se débarrasse du fardeau de renforcer la législation.
LR&LP : Pour quelle raison menez-vous ce combat ?
Pour nous, c’est une cause à la fois évidente, fédératrice et pour laquelle il serait facile de faire bouger les choses. Nous espérons faire rapidement évoluer la loi, et décrocher une petite victoire. C’est aussi une cible symbolique :
les publicités lumineuses représentent une contradiction flagrante entre la demande actuelle de sobriété, et ces affiches, panneaux, écrans incitant les gens à consommer davantage de produits dont ils n’ont pas besoin.
N.D.L.R. « Selon l’Ademe, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, un écran publicitaire LCD numérique de 2m² consomme 2 049 kWh/an, soit l’équivalent de la consommation moyenne annuelle d’un ménage pour l’éclairage et l’électroménager (hors chauffage) »
LR&LP : Pourquoi l’État, selon vous, ne prend-il pas les mesures « faciles » que vous exigez ?
Par manque de courage, probablement. Le parti au pouvoir a aussi comme ligne politique de ne pas réguler les acteurs économiques, de se reposer plutôt sur les comportements individuels. On appelle aux petits gestes, mais on ne force pas les grands acteurs à se conformer aux impératifs communs. C’est donc une posture idéologique, d’où il résulte une forme d’injustice, mais surtout un manque d’ambition et un impact minime.
LR&LP : Quelles actions avez-vous menées depuis le 17 octobre ?
Un peu partout en France, nous avons mené des actions d’extinction des feux : en petits groupes, nous partons dans les quartiers commerçants et avec des perches, nous éteignons les enseignes de l’extérieur. Quand ce n’est pas possible, nous laissons des affiches de sensibilisation scotchées sur les vitrines. Elles sont non culpabilisantes, purement sensibilisatrices.
Un deuxième type d’actions, c’est de s’attaquer aux publicités lumineuses dans l’espace public, notamment les écrans des transports en commun, les abribus, ou ce qu’on appelle les « sucettes », des panneaux sur pied, que nous ouvrons et disjonctons, parfois en remplaçant la publicité à l’intérieur par une affiche.
LR&LP : Comment réagissent les commerçants ?
Chez les commerçants, notamment indépendants, il y a souvent un défaut de sensibilisation, c’est quelque chose d’observé, de documenté depuis des années. Quand on leur parle du problème, beaucoup d’entre eux sont donc réceptifs et acceptent d’éteindre leurs enseignes.
Quant aux gros acteurs, comme la multinationale JCDecaux, on ne peut pas leur demander gentiment d’éteindre la lumière, cela reviendrait à leur demander de ne plus exister. Nous nous adressons donc plutôt au public et aux différentes instances représentatives.
LR&LP : Dans votre campagne, vous évoquez une « deuxième phase » qui commencera début décembre. Que prévoyez-vous ?
La première phase se concentre sur la sensibilisation des acteurs. Nous parlons poliment à toutes les personnes qui acceptent de parler. Dans la deuxième phase, nous passerons à des modes d’action un peu plus lourds, sans jamais nous en prendre, évidemment, aux commerçants indépendants.
LR&LP : Les particuliers devraient-ils tout de même songer à la sobriété ?
La question écologique est l’affaire de tous, mais quand on pense que la proposition faite par la Convention citoyenne pour le Climat de supprimer totalement la publicité dans l’espace public a été détricotée par le gouvernement, on se dit qu’on ne peut pas demander systématiquement aux individus de faire de petits gestes. À Extinction Rebellion, l’un de nos principes est de ne tenir aucun discours moralisateur et culpabilisant envers les individus.
Donc, oui, bien sûr, nous devrions tous songer à la sobriété, mais ce n’est pas ce dont nous voulons parler dans cette campagne. Nous voulons parler du gâchis systémique, et nous adresser aux décideurs et aux entreprises.«