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En Savoie, ce couple sauve une ferme vieille de 300 ans depuis 1992

« Ce qu’on sauve ici, ce n’est pas seulement une maison, c’est une mémoire collective », précise Bruno Berthier. 

En Haute-Tarentaise, dans le hameau de Villarivon, se niche sur le versant du soleil une ferme qui ouvre ses portes sur plus de 300 ans d’histoire. Sous l’épaisseur de ses murs, on découvre les vestiges d’un agropastoralisme bouleversé par l'avènement des fruitières à gruyère qui scellèrent à jamais le destin de ces vallées. Tombés « en arrêt » devant cette ruine, Béatrice et Bruno Berthier restaurent le monument grâce à leur engagement intrépide en faveur de l’héritage de ces montagnes, et l’aide du Loto du Patrimoine.

Quand montagne rimait avec communs

Bien avant l’apparition des multinationales laitières, la montagne savoyarde avait inventé un système collectif : la fruitière. Au XVIIᵉ siècle, l’arrivée de la recette du gruyère transforme les vallées : impossible pour une famille seule de produire ces meules de 50 kg, il faut mettre les bêtes en commun et partager le lait. C’est une révolution sociale autant qu’économique, qui transforme les fermes en véritables “usines à vaches.

La maison de Villarivon, bâtie par la famille Jarre (un patronyme très répandu dans la région), témoigne de ce basculement : ses immenses granges à foin et ses quarante places d’écuries racontent une paysannerie en tension entre entraide villageoise et premiers “capitalistes de montagne”.

Une bâtisse en péril transformée en aventure familiale

En 1989-90, Bruno et Béatrice Berthier découvrent cette bâtisse à l’abandon. « On est tombés en arrêt devant cette maison. On s’est dit : « on va essayer de la sauver ».

Le toit prend l’eau de toutes parts, le village est déserté, mais qu’à cela ne tienne : Bruno et Béatrice décident de s’engager dans l’aventure en dépit des mises en gardes de leurs proches.

Bruno, Béatrice Berthier et leur fille en 1997

« Notre entourage a sans doute fait brûler des cierges pour qu’on n’achète pas cette maison. On avait 25 ans, pas un rond vaillant pour refaire à neuf un toit de 800 m² qui fuyait… Pour beaucoup, c’était la maison du divorce assuré ».

Autre anecdote révélatrice de l’ambiance d’alors, « lorsqu’on a effectivement acquis la bâtisse en 1992, Béatrice était enceinte de notre fille Anne et le conseil municipal l’avait pourtant déjà comptée dans les effectifs pour sauver l’école primaire de la commune », raconte Bruno Berthier.

Fin de journée sur le chantier, août 1997

Mais pour une restauration d’envergure il faut des moyens colossaux. Coût estimé des travaux : plusieurs centaines de milliers d’euros. Un budget colossal pour cette famille modeste.

Le jour de Noël, en 2019, la fille de Bruno et Béatrice leur suggère de candidater au “Loto du patrimoine”, un dispositif alors récent qui n’aide pas seulement à la sauvegarde des “grands monuments”, mais aussi des fermes, des ateliers, des écluses — bref, un patrimoine “du quotidien”.

« Le 26 décembre, j’ai regardé sur Internet : les dossiers devaient être envoyés avant le 31… On a passé deux soirées à le monter ». En 2021, à l’issue d’une seconde candidature, coup de théâtre : la maison est sélectionnée par la mission Bern, qui attribue près de 400 000 € au projet consacré « projet emblématique de la Région Auvergne Rhône-Alpes ».

Le couple peut enclencher un chantier monumental dépassant en réalité le million d’euros puisque dans ce contexte particulier, du fait d’une convention entre la Mission Bern et le Ministère de la Culture, les aides attribuées par l’État et les collectivités territoriales (région et département) au titre de la protection des Monuments Historiques sont doublées.

Charpente rénovée

Circuit-court et savoir-faire traditionnels

Là où d’autres maîtrises d’ouvrages ont recours à des matériaux provenant de milliers de km, Bruno et Béatrice Berthier on fait un choix politique : privilégier au maximum et lorsque cela est possible, les ressources et les savoir-faire locaux.

« Ce qu’on sauve ici, ce n’est pas seulement une maison, c’est une mémoire collective », précise Bruno Berthier.

Certaines maçonneries sont par exemple réalisées de manière traditionnelle à partir de gypse provenant du proche vallon de l’Arbonne et cuit sur place : « on a fait de l’archéologie expérimentale », se souvient Bruno Berthier en riant, « pour montrer que c’était possible ».

Pour la charpente, le couple fait appel à l’entreprise Chardon et fait ainsi venir les chevrons à remplacer du massif de Chartreuse.

« Les chevrons de 16 mètres, on ne les a pas commandés auprès du marchand local de matériaux local : on a fait couper une parcelle plantée en 1946 et jamais élaguée depuis. Car 80 ans plus tard les épicéas, de section réduite, faisaient pourtant 25 mètres de hauteur et leur bois était d’une incroyable densité : du béton armé naturel ». 

Le toit sera quant à lui paré de lauzes de Morzine, où se trouve actuellement la dernière ardoisière encore en activité dans les Pays de Savoie. La réfection de la façade ornée en trompe-l’œil à la mode de Turin, enfin, est réalisée par une équipe de restauratrices françaises et italiennes.

Les motifs sont peints à la main

« Ce décor de faux appareillage de pierres, on le retrouve place Royale à Turin ou à Nice. Ce qui est fou, c’est qu’il a été refait en 1880 et que, vingt ans après l’annexion de la Savoie, la mode restait piémontaise ! »

Bruno et Béatrice fourmillent déjà d’idées pour ouvrir cette ferme historique une fois la rénovation terminée : événements culturels, résidences d’artistes, et mise à disposition du bâti pour les acteurs locaux comme l’association des maisons paysannes de France qui vient déjà régulièrement dans la ferme.

Ici, la restauration devient un acte ou résistance rime avec renaissance. Une manière d’honorer le temps long et de recréer du lien entre bâtisseurs, villageois et grand public. 

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Nora Guelton

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