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Deux espèces de grenouilles remportent une victoire juridique majeure contre l’industrie minière

Cela fait des décennies que les communautés de la vallée de l’Intag résistent contre cette industrie qui lorgne sur les mines de cuivre de la région. Cette décision pourrait avoir des répercussions positives pour les droits de la nature sur l’ensemble du territoire car elle établit un important précédent. Elle permet d’imaginer que d’autres espèces endémiques pourraient se voir octroyer la même protection.

C’est une victoire inattendue pour les protecteurs de l’environnement en Equateur : la re-découverte de deux petits amphibiens, que l’on croyait éteints, a permis aux communautés de la vallée de l’Intag d’obtenir une victoire juridique majeure contre le projet d’une gigantesque mine de cuivre ! La cour de justice a ainsi condamné le Ministère de l’environnement équatorien pour avoir failli à sa mission de protection de la nature en acceptant des études d’impact biaisées et réalisées par les compagnies minières elles-mêmes. Cette première victoire juridique pourrait créer un précédent bénéfique pour les droits de la nature et les nombreux lieux vibrants de biodiversité du pays. Un reportage de notre correspondante locale Amal Benotman.

Une réapparition miraculeuse

Le “miracle” s’est produit en mars 2016. Une grenouille arlequin de l’espèce Atelopus longirostris est redécouverte par un groupe de biologistes du centre Jambatu, un institut de recherche pour la conservation des amphibiens en Équateur.

Cette espèce endémique de la vallée de l’Intag dans le Nord-Ouest du pays avait disparu à la fin des années 1980, en raison de la combinaison fatale de la chytridiomycose, une affection fongique qui touche les amphibiens, et du changement climatique. L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) avait alors ajouté la Atelopus longirostris à sa longue liste des espèces éteintes.

Andréa Teran, biologiste du centre Jambatu a indiqué à La Relève et La Peste que seuls quatre individus avaient été retrouvés, « nous en avons immédiatement placés deux en laboratoire pour les étudier et commencer à travailler à la récupération de l’espèce ».

La scientifique nous a aussi dévoilé que peu après la redécouverte de la Atelopus longirostris, une autre grenouille qui n’avait pas été observée dans la région depuis des années avait également été retrouvée. Il s’agit cette fois-ci de la Ectopoglossus confusus, une espèce également en danger critique d’extinction. 

Entre autres programmes développés pour la préservation des amphibiens, le centre Jambatu, fait notamment de la conservation ex situ, ce qui signifie que des individus sont placés en laboratoire afin de créer un réservoir génétique suffisamment varié pour assurer l’existence de l’espèce avant sa réintroduction dans son milieu naturel. 

« Même si nous sommes encore loin d’avoir assuré la survie de la Atelopus longirostris, cela fait maintenant trois ans que nous travaillons à la recréation d’une population ex situ, avec l’idée de la réintroduire dans son milieu d’origine. » nous révèle Andréa Teran, avant d’ajouter avec enthousiasme que de récentes recherches ont permis de retrouver des têtards in situ « ce qui est bon signe ».

Ectopoglossus confusus – Crédit : Luis Coloma

La résistance anti-minière redouble d’efforts pour la protection des espèces de la région

Activiste et fondateur de l’organisation environnementale pour la défense et la conservation écologique de la vallée de l’Intag (Decoin), Carlos Zorrilla se bat depuis plus de deux décennies aux côtés des communautés pour contrer l’industrie des mines.

Il se souvient avec joie du jour où les biologistes du centre Jambatu l’ont contacté pour lui annoncer que la Atelopus longirostris avait été retrouvée.

« C’était l’extase. » nous dit celui qui ne cesse d’élaborer des stratégies pour empêcher l’installation des entreprises extractivistes dans la région. « On m’a contacté pour me dire que la Atelopus longirostris avait été redécouverte. Je me suis senti extrêmement heureux et suis allé la voir sur le champ. J’avais eu l’intuition qu’on retrouverait des espèces d’amphibiens endémiques et le miracle s’était produit ».

Car c’est à lui que se doit cette découverte. L’activiste avait réussi à collecter des fonds internationaux pour financer une étude biologique de recensement des amphibiens de la région, ce qui a permis au centre Jambatu de retrouver les deux espèces de grenouilles disparues.

Carlos Zorrilla sur le terrain

Suite au retour inespéré du petit amphibien à la peau tachetée de jaune, les scientifiques du centre Jambatu, les environnementalistes de la Decoin et les communautés se sont unis et ont conçu un plan de conservation solide pour protéger la biodiversité du lieu.

C’est ainsi qu’il fut décidé de mettre en place des pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement, ou encore de développer des projets d’éco-tourisme.

Mais ces initiatives se révèleraient totalement futiles si la menace la plus dangereuse n’était pas vaincue : l’industrie minière.

La vallée de l’Intag, située dans la région du Chocó sur la partie Ouest des Andes équatoriennes (l’Amazonie se trouvant sur la partie Est), est un « point chaud » de biodiversité pour son haut taux d’endémisme. On recense dans ces forêts humides de nombreuses espèces qui n’existent nulle part ailleurs au monde. Mais cet écosystème est lourdement menacé par l’industrie minière.

Cela fait des décennies que les communautés de la vallée de l’Intag résistent contre cette industrie qui lorgne sur les mines de cuivre de la région. Elles ont dans le passé dérouté les ambitions extractivistes d’une entreprise japonaise puis celles d’une entreprise canadienne.

Aujourd’hui, c’est contre le projet Llurimagua, conjointement développé par ENAMI, entreprise publique équatorienne et le puissant chilien Codelco, l’un des premiers producteurs de cuivre au monde, qu’elles se battent.

En 2011, les gouvernements équatorien et chilien avaient signé un accord pour explorer puis exploiter les mines de la vallée de l’Intag. Puis les exploitants sont arrivés en 2014 dans la région, escortés par plus de 300 policiers et militaires. C’est à ce moment-là que leurs activités d’exploration ont commencé.

La Vallée de l’Intag – Crédit : Carlos Zorrilla

Les dangers de l’extraction minière

« Les activités liées à la mine seraient catastrophiques pour ces grenouilles, quand nous savons l’importance de la qualité de l’eau pour les amphibiens. », nous confie Andréa Teran. « Ce projet signifierait leur disparition. »

L’activité minière perturberait en effet fortement l’état de l’environnement et polluerait l’eau dont la qualité est essentielle pour la survie des amphibiens. Ces animaux, qui naissent sous forme de larves, passent le plus clair de leur temps dans l’eau et ont besoin qu’elle ait des caractéristiques bien spécifiques.

Leur peau fine, que ni poils ni écailles ne protègent, est perméable aux substances contaminantes qui peuvent aisément passer dans leur organisme.

L’UICN estime d’ailleurs que le tiers des amphibiens recensés mondialement court actuellement un risque d’extinction dû entre autres à la perte de milieux humides et à leur contamination par l’activité humaine.

C’est en utilisant l’eau pour le traitement du minerai et en la polluant par l’interaction avec les déchets miniers que l’exploitation minière affecte les ruisseaux et les rivières.

Pollution de cascades due à l’exploration minière avancée. – Crédit : Carlos Zorrilla

Mais les activités de prospection et d’exploitation des mines dans la vallée de l’Intag ne menacent pas uniquement les batraciens. Les nuisances liées au bruit, aux vibrations et à la poussière troubleraient et feraient fuir les espèces d’oiseaux endémiques de la région; et des mammifères comme le jaguar et l’ours à lunettes ne survivraient pas à la déforestation, à l’ouverture de nouvelles voies, et à la présence humaine de plus en plus importante.

Andréa Teran nous rappelle qu’il n’est simplement pas possible que cette industrie soit respectueuse de l’environnement ou durable ou encore “verte” ainsi que le clament les chargés de marketing et de communication des grands groupes miniers.

Black and Chestnut Eagle soaring in front of cloud forest – Carlos Zorrilla

La victoire au nom de la biodiversité et des droits de la nature

Pour empêcher un désastre environnemental, la Decoin s’est unie au centre Jambatu ainsi qu’à des experts et chercheurs de renom et a déposé plainte en août auprès de la cour de justice de la ville de Cotacachi, pour demander une annulation immédiate du projet Llurimagua.

L’argument principal était que les activités minières doivent être interdites dans toutes les régions du pays qui abritent des espèces endémiques.

Contre toute attente, la justice a tranché en la faveur des plaignants et des droits de la nature en condamnant le Ministère de l’environnement équatorien pour négligence, après avoir conclu que celui-ci avait failli dans sa mission de protection de la nature telle que l’exige la Constitution du pays.

Pour fournir les permis d’exploration et d’exploitation, le ministère ne s’était en effet fié qu’à une étude d’impact sur l’environnement rédigée par des scientifiques engagés par les entreprises minières…

« La juge s’est véritablement intéressée au cas de ces grenouilles. » se réjouit Andréa Teran. « Elle a été en mesure de reconnaitre que ces espèces, ainsi que toutes celles qui sont en danger d’extinction, ont tout simplement le droit à la vie ».

La biologiste insiste sur le fait que l’implication de la science dans tout le processus a été déterminante pour faire pencher la décision judiciaire “du bon côté”. Les scientifiques ont fourni des données irréfutables sur les conséquences de l’exploitation minière dans la région.

Pour leur part, les environnementalistes ont su démontrer que l’activité minière signifierait non seulement la déforestation et l’extinction des espèces, mais aussi les déplacements des communautés.

Ville de Cotachi en Equateur – Crédit : Arabsalam

Des divisions persistent au sein de la population

Même si la majorité des quelques 16 000 habitants de la vallée de l’Intag rejette l’industrie minière, les divisions sont présentes au sein des communautés et certains sont en faveur des entreprises minières qui leur promettent richesse et prospérité.

Or, nous dit Carlos Zorrilla, « une fois installées, ces entreprises n’emploient que peu de personnes des communautés. Elles préfèrent faire appel à des personnes plus qualifiées venant d’ailleurs dans le pays ou de l’étranger. »

« Nous avons tenté de sensibiliser ceux qui sont pour [le projet Llurimagua] aux dangers de l’extraction minière mais pour certains, nos explications n’ont que peu de poids face aux promesses de profit. » nous dit Carlos Zorrilla. « C’est d’autant plus regrettable que la plupart des habitants de la région ont leurs propriété, leurs terres, leur bétail… mais les exploitants arrivent avec des techniques de persuasion qui changent leur vision des choses. »

« Avant, les gens ne se considéraient pas pauvres parce qu’ils avaient leurs terres à cultiver, leur maison ; mais on leur a mis dans la tête qu’être riche, c’est avoir toujours plus d’argent. »

Vue de la vallée de l’Intag, au loin nous apercevons le volcan Cotacachi haut de 4939 mètres – Crédit : Carlos Zorrilla

Un espoir pour l’avenir

La décision judiciaire donne trois mois au ministère de l’environnement pour remédier aux irrégularités détectées lors des phases d’exploration. Ce processus sera supervisé par un certain nombre de groupes issus de la société civile dont des chercheurs universitaires.

La juge a conclu que si le gouvernement ne pouvait pas démontrer qu’il était effectivement en mesure de protéger les grenouilles et les autres espèces endémiques menacées, les permis miniers des entreprises leur seront retirés.

Cette décision pourrait avoir des répercussions positives pour les droits de la nature sur l’ensemble du territoire car elle établit un important précédent. Elle permet d’imaginer que d’autres espèces endémiques pourraient se voir octroyer la même protection.

Sachant que ce petit pays d’Amérique du Sud bénéficie d’un haut taux d’endémisme, cela voudrait dire qu’une large partie du pays pourrait être épargnée par l’extractivisme minier ; à moins que le gouvernement ne puisse fournir la preuve que les espèces présentes ne seront pas mises en danger, ce qui est impossible dans le cas des amphibiens par exemple.

Le gouvernement a d’ores et déjà fait appel de la décision, mais les organisations de défense de la nature sont confiantes et se disent prêtes à porter leur combat jusqu’à la Cour suprême.

« Je fais partie de cette communauté, je vis dans ces forêts et j’ai dédié ces 26 dernières années à la lutte parce que je sais tout ce qui est en jeu. » conclut Carlos Zorrilla d’un ton tranquille mais décidé.

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