Ils veulent raser les forêts primaires de Guyane pour faire de l’électricité. Paru au Journal Officiel le 27 décembre dernier, un décret autorisant l’exploitation de la forêt amazonienne guyanaise pour alimenter les usines de biomasse est attaqué par deux associations.
Raser les forêts pour de l’électricité
« Il n’y a plus aucune norme environnementale, juridiquement c’est le far-west » s’inquiète la juriste Marine Calmet auprès de La Relève et La Peste.
Tout commence en septembre 2022, lorsqu’un amendement dérogatoire est glissé à l’intérieur de la directive européenne sur les énergies renouvelables. Celui-ci permet aux régions ultrapériphériques, dont fait partie la Guyane, de « contourner les critères généraux européens en matière d’énergies renouvelables qui exclut l’utilisation du bois issus de forêts tropicales et à forte biodiversité de la production d’énergie dite verte. »
La boîte de Pandore est ouverte ! Un an et demi plus tard, fin décembre 2023, le gouvernement officialise par décret l’activation de cette dérogation en Guyane.
Dès l’article 1, le ton est donné : « la biomasse forestière issue d’opérations de défrichement ou de déboisement sur le territoire guyanais, quelle que soit la destination des terres défrichées, n’est pas tenue de respecter les critères énoncés de l’article 281-9 du code de l’énergie ».
Concrètement, les industriels peuvent désormais s’abroger de toutes problématiques environnementales. Ils sont autorisés à défricher de manière massive et à utiliser le bois récolté dans les centrales à biomasse où il sera brûlé pour générer de l’énergie.
Selon l’association Maiouri Nature Guyane, il n’y a plus aucune régulation en termes de « régénération de la forêt », de « protection de la nature », notamment des « zones humides et des tourbières », et de « préservation de la qualité des sols ».
Et le gouvernement compte accroître considérablement la filière biomasse sur le territoire guyanais. Selon l’ADEME (Agence de la transition écologique), elle devrait représenter 30% du mix énergétique du territoire en 2030. Un chiffre important au vu des émissions de CO2 que cela représente.
Plus “néfaste” que les énergies fossiles
Les données du Citepa, association qui évalue l’impact des activités humaines sur le climat et la pollution atmosphérique, sur la biomasse forestière sont sans appel. La combustion de bois dégage 101 kilos de CO2 par gigajoule produit. C’est davantage que le charbon; qui émet 94 kilos de C02 par gigajoule. Et ce n’est pas tout, le bois incinéré dégage 30 fois plus de méthane par gigajoule que son homologue.
« La destruction de cette forêt a potentiellement un bilan encore plus néfaste que si on utilisait des énergies fossiles. Cela n’a aucun sens d’un point de vue climatique » se désole Marine Calmet auprès de La Relève et La Peste
Face à l’urgence de la situation, les associations Maiouri Nature Guyane et Guyane Nature Environnement ont déposé le 27 février 2024 un recours gracieux auprès du Premier Ministre pour réclamer l’abrogation du décret.
Elles dénoncent la « violation du principe de non-régression qui implique une amélioration constante de la réglementation en termes de protection environnementale et du principe de durabilité », la non-conventionnalité du décret en termes de lutte « contre la déforestation », et la « violation des droits des peuples autochtones ».
“On va accélérer la transformation de la forêt en monoculture”
Le décret permet de défricher la forêt primaire, à l’exception des réserves ou parcs naturels, pour ensuite y installer des plantations d’énergies. Des parcelles sur lesquelles seront plantées des arbres poussant rapidement, destinés à être coupés puis brûlés dans les usines à biomasse
« On a critiqué la politique de Bolsonaro sur les déforestations pour favoriser les plantations de soja, on est en train de reproduire la même chose en Guyane » alerte Marine Calmet pour La Relève et La Peste
Le décret précise que les terres agricoles dédiées à ces plantations ne devront pas dépasser « 15% de la surface agricole » du territoire.
C’est un « très mauvais signal » pour la préservation de l’environnement selon la juriste, « on va accélérer la transformation de la forêt en monoculture à vocation énergétique sur la forêt tropicale forte en biodiversité et sur des zones humides ».
Pour le moment, seule la centrale de Montsinéry, en activité depuis quelques mois, fonctionne à partir des plantations d’énergie. 10 à 15 projets de défrichement sont en cours, dont le projet MIA (Maillet Innovation Agroforestière), qui entend pratiquer la monoculture intensive d’une espèce exotique (Teck de Malaisie) sur plus de 1000 hectares de forêt.
Les autres centrales sont petites et disent être autonomes en déchets de scierie. Mais, pour pouvoir atteindre les 30% d’énergie provenant de la biomasse, il va falloir augmenter la production. La nouvelle centrale de Sinnamary et les prochaines centrales du centre spatial guyanais devront trouver des ressources.
Aucune étude d’impact environnemental
Plus étonnant encore, aucune étude d’impact environnemental n’a été effectuée. Le décret autorise la Guyane à ne pas « respecter les critères de réduction d’émission de gaz à effet de serre prévus à l’article L.281-6 du code de l’énergie ». Adieu nos objectifs climat. Adieu les moins 70% d’émissions de gaz à effet de serre.
Maiouri Nature Guyane enfonce le clou : « En raison du puit de carbone que représente la forêt amazonienne, l’utilisation de biomasse forestière et agricole représente une dette carbone qui ne peut être compensée qu’après de nombreuses décennies. »
Le statut d’énergie « durable » et « d’avenir » introduit par le décret permet également aux producteurs de « biomasse forestière issue d’opérations de défrichement ou de déboisement sur le territoire guyanais » de bénéficier « d’aides publiques ».
C’est un véritable appel d’air à la pollution et à la perte de biodiversité qui est mis en place en Guyane.