En France, le déconfinement est lancé. Libération pour les uns, et à nouveau grand danger pour la faune qui s’est habituée depuis deux mois à investir des espaces où elle n’avait pas accès auparavant. C’est l’appel que lancent l’ONF (Office national des forêts) et la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux) en recommandant aux promeneurs de ne pas tous se concentrer sur les mêmes sentiers, où des plantes et animaux ont élu domicile.
La période sensible de couvaison
C’est une période particulière pour les mammifères et les oiseaux, qui mettent bas et ont fini de construire leurs nids en attendant l’éclosion des oeufs. Période donc où les animaux sont très attentifs à se protéger. Mais depuis deux mois, ils sont allés explorer des territoires délaissés par les humains. Le retour du grand prédateur va générer du stress, des déplacements forcés et des changements forcés de territoires.
Ainsi la LPO observe que des hérons se sont installés près de plan d’eaux habituellement très fréquentés. Les oiseaux migrateurs ont fait leurs nids sur des plages habituellement bondées. L’association recommande d’éviter les hauts de plages, les dunes, les berges, de maintenir les chiens en laisse et de respecter les sentiers. Recommandation domestique non négligeable : attendez avant de passer la tondeuse sur vos haies, elles regorgent de biodiversité !
On s’inquiète aussi pour les abeilles, qui ont élu domicile près des habitations, et ne manqueront pas de s’en faire chasser. Les chaleurs précoces de cette année ont avancé la date de formation des essaims. Avec le confinement et le déconfinement, les interventions vont se multiplier pour déplacer les abeilles.
L’impact de la pollution sonore humaine sur la biodiversité
Outre le volet prévention, d’autres scientifiques encouragent les citoyens à développer un nouveau rapport à la biodiversité qui les entoure. C’est le cas du géographe Samuel Challéat, qui a lancé avec trois collègues le projet Silent cities. Un projet scientifique et citoyen.
Pour la partie scientifique, ils cherchent à étudier la diversité éco-acoustique qui habituellement est cachée par le bruit des humains, aussi appelé son anthropique. Ils veulent également étudier la relation entre les bruits de la biodiversité et les bruits humains selon les différents niveaux de l’activité économique qui va progressivement se renouveler. Enfin, ils cherchent à caractériser la relation entre bruit humain et la stabilité économique d’un territoire.
Une minute sera enregistrée dans des endroits stratégiques toutes les dix minutes grâce à des enregistreurs pré-programmés. Côté citoyen, ils proposent à ceux qui sont équipés et qui peuvent s’engager sur du long terme, à enregistrer plusieurs fois par jour et sur plusieurs jours des sons extérieurs. Ce genre de recherche pourrait prouver que la pollution sonore contribue bien à la perte de la biodiversité.
Les baleines ont retrouvé leur chant
S’il est un espace qui nous le prouve, bien qu’il soit encore plus difficile à percevoir, c’est l’océan : la diminution de la pollution sonore des fonds marins va avoir un impact très bénéfique sur les mammifères marins, en particulier les baleines. Des chercheurs ont observé une baisse importante des signaux sonores dans les eaux près du port de Vancouver au Canada.
Entre Janvier et le début d’avril, les sons ont baissé de 5 décibels du fait de la réduction du trafic océanique. Le chant des baleines reste encore mystérieux pour la communauté scientifique. C’est donc une opportunité extraordinaire qui s’ouvre en cette période de repos acoustique.
Pour Michelle Fournet, acousticienne marine de l’université de Cornell, c’est une chance unique : « Nous avons la chance d’écouter ce que nous n’avons jamais pu encore entendre. C’est une chance qui ne se reproduira pas dans nos vies. »
Dans le même état à la fois d’enthousiasme et d’inquiétude, le directeur de l’Institut océanographique de Monaco lance un appel : « Saurons-nous faire une opportunité de ce drame, de cette crise sanitaire ? » L’océanographe tente de faire comprendre que c’est bien en réduisant les espaces naturels qu’on favorise la propagation de virus :
« La grande diversité des espèces permet justement que les agents pathogènes soient répartis et dilués dans une multitude d’hôtes, voire stoppés, sans jamais arriver jusqu’à l’Homme. »
Pour Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement : « Pour que cesse l’effondrement de la biodiversité, il est indispensable de lui redonner de la place et de changer notre rapport à la nature. Alors soyons attentifs, précautionneux : apprenons à mieux partager l’espace avec ceux qui en sont des hôtes tout aussi naturels que nous. »
Si les avertissements, appels et mises en gardes se multiplient sur les réseaux sociaux et les sites internet des associations, on ne peut que craindre que ceux qui regardent ces appels et sont abonnés à ces pages ne soient pas les principaux dangers pour la faune, et que la majorité des promeneurs ne consultent pas ces appels.
Le répit offert au vivant est artificiel et temporaire. Si le silence des hommes devient un écrin d’écoute pour les scientifiques et ceux qui n’ont pas perdu la conscience du vivant, est-ce que cela sera suffisant ? L’enjeu n’est pas que la biodiversité se multiplie soudainement, mais qu’elle investisse de nouveaux territoires. Le danger, on le comprend, est qu’en s’y habituant, les risques de conflits et de destruction brusque des nids des territoires de chasse et de repos, pourraient avoir des conséquences bien pires que si les animaux étaient restés dans les territoires épargnés par l’humain.
Crédit photo couverture : Capri23auto