2 600 morts, 1,4 million de déplacés, 13 000 de détenus de manière arbitraire et dans des conditions inhumaines, dont 73 dans le quartier des condamnés à mort… Voici le triste bilan dépeint par Amnesty International près de deux ans après le coup d’État en Birmanie. Alors que la répression fait toujours rage, le 16 janvier dernier, un groupe d’experts indépendants – le Special Advisory Council for Myanmar (SAC-M) – a publié un rapport accablant documentant l’origine de l’armement employé par la junte pour mater l’opposition civile. Parmi les entreprises européennes mentionnées, est mis en cause un des géants français : Dassault Système. Explications.
Une situation explosive depuis le retour de la junte au pouvoir
Comme à son habitude, Khing Hnin Wai – professeure d’aérobic – s’est filmée le 1er février 2021 sur le rond-point menant au Parlement de Naypyidaw, capitale de Birmanie. Mais en arrière-plan défile une série de véhicules blindés appartenant à l’armée. Se joue alors, à son insu, une partie du coup d’État militaire birman.
Ce jour-là, et le Président de l’État – Win Myint – et la Cheffe du Gouvernement – Aung San Suu Kyi – sont destitués et arrêtés par la junte, dirigée par Ming Aung Hlaing. Le Vice-Premier ministre devient alors Président par intérim et transfère, comme l’autorise la Constitution, les pleins pouvoirs au chef des forces armées. Ce dernier dissout le Parlement et proclame l’État d’urgence en Birmanie.
Depuis, les mouvements de contestation civils n’ont cessé de croître. La réponse de l’armée a été tout aussi forte. La répression des manifestations de Myitkyina, le 8 mars 2021, en est un exemple : dans une vidéo analysée par Amnesty International, sur fond de coups de feu, des personnes affolées fuient un épais nuage de fumée en criant « Quelqu’un est mort ! ».
Non seulement ces faits témoignent du mépris de la junte pour la vie humaine, mais sont surtout révélateurs d’une stratégie de répression planifiée, systématisée et coordonnée par les plus hautes sphères du pouvoir. Stratégie qui, d’après le rapport du SAC-M, se ferait avec la complicité des entreprises européennes.
Dassault Systèmes contre les civils
En effet, si l’armée birmane dispose d’une industrie de défense développée, la mise à jour et l’amélioration de ses armes repose encore en grande partie sur des importations de « matières premières, machines, technologies et pièces » vendues à la Direction des Industries et de la Défense (connue sous l’acronyme birman Ka Pa Sa). C’est là que Dassault Système entre en jeu.
Deux logiciels développés par le fleuron français auraient notamment été repérés : CST Studio Suite, utilisé pour la conception et l’optimisation des systèmes de contrôle de drones, et SOLIDWorks, employé pour l’impression 3D des silencieux des fusils d’assaut MA-3. Arme qui, rappelle les Echos, a été utilisée lors du massacre d’Inn Din (septembre 2017) perpétré contre la minorité Rohingya.
Embargo et droits humains ignorés
Ainsi, l’activité de Dassault Système en Birmanie, comme celle de TotalEnergies auparavant, pose problème à plus d’un titre.
Premièrement, elle va à l’encontre des Traités Internationaux, puisque les gouvernements doivent s’assurer que chaque arme vendue (ou biens à double usage) ne soit pas utilisée contre la population.
Deuxièmement, elle ignore l’embargo sur les armes mis en place par l’Union Européenne (UE) et les États-Unis fin des années 80, et ce, alors que l’UE a élargi les sanctions à l’encontre de Naypyidaw à la suite du coup d’État (chapitres 1 et 2 concernant les restrictions à l’exportation d’armes et BDU, en matière de formation et de coopération militaire).
Troisièmement, elle témoigne de l’hypocrisie des acteurs internationaux puisque la logique de profit l’emporte sur la protection des civils. Dans un contexte où, d’après Marzuki Darsuman, expert auprès du SAC-M, la dépendance de l’industrie de défense à du « matériel extérieur » souligne combien « l’armée est vulnérable », les États pourvoyeurs d’armes jouent, de facto, un rôle déterminant dans la poursuite de la répression.
C’est pourquoi les experts du SAC-M appellent, dans leur rapport, à prendre des « actions concrètes […] pour mettre en cause la responsabilité des entreprises quant au respect des droits de l’homme en Birmanie », à adopter « des sanctions ciblées contre Ka Pa Sa, ses dirigeants et les intermédiaires l’aides à s’armer », et de trouver des moyens pour « réparer les dommages causés aux civils du fait de l’utilisation de leur technologie ».
Il y a donc urgence à agir pour que les entreprises et les États prennent enfin la mesure des conséquences dévastatrices de leur logique économique.
Crédit photo couv : Myat Thu Kyaw / NurPhoto via AFP