C’est une découverte majeure et pour le moins peu ordinaire : un gisement de plus de 400 fossiles a été mis au jour sur le site de Cabrières, petite commune rurale de l’Hérault, en Occitanie. Fait rare, il s’agit d’un « site de préservation exceptionnelle », en raison de la présence de corps mous datant de 470 millions d’années, ne représentant qu’1 à 5% des espaces fossilifères habituellement découverts.
À l’origine, un couple de passionnés
Cet incroyable butin ne serait sans doute jamais sorti de terre sans Sylvie et Éric Monceret. Elle, professeure d’histoire-géographie en collège, lui, chargé de projet chez Enedis, mais aussi et surtout indéboulonnables passionnés de géologie. Pour Sylvie, c’est une affaire de famille. Tout juste née, elle accompagnait déjà ses parents à la recherche de minéraux et fossiles du côté de Narbonne et ne s’en est, depuis, jamais passé.
C’est ainsi tout naturellement qu’à leur rencontre, l’adolescence à peine consumée, Éric et Sylvie se mettent en quête de collectes simples, d’abord, puis, de fil en aiguille, affinent leurs connaissances grâce à l’oeil et l’expérience d’amateurs et scientifiques confirmés. Ainsi, depuis plus de 30 ans, le couple consacre la majeure partie de son temps libre aux explorations.
À travers leur travail, « ils s’inscrivent dans une longue tradition de la géologie et de la paléontologie en Montagne Noire, perpétuée par des passionnés « non académiques ». Tous ont très largement contribué, en collaboration étroite avec le milieu universitaire, à l’accroissement des connaissances », précise Bertrand Lefebvre, chercheur CNRS au Laboratoire de géologie de Lyon, en charge de l’étude du gisement parue dans Nature Ecology & Evolution ce 9 février.
Un site similaire au Maroc
En 2018, le couple repère plusieurs fossiles « en forme de vers », dans des zones peu documentées jusqu’alors car moins accessibles, mais n’y portent qu’une attention partielle. Dans le même temps, Éric est invité à rejoindre l’équipe de chercheurs du CNRS au Maroc, sur les sites à préservation exceptionnelle de la Formation des Fezouata, datant, eux aussi, de 470 millions d’années. Là-bas, son oeil se forme, devient plus affuté. Pendant ce temps, dans la maison à Carcassonne, les fossiles continuer de s’accumuler.
« Au bout de plusieurs prospections, on a compris que ce que l’on voyait là était différent. On avait depuis quelques temps l’espoir qu’il s’agisse d’un site rare, nous avions des indices, mais on voulait rester prudents », confient les deux amateurs éclairés.
Ils accumulent alors un maximum de matériel et de données, puis les envoient aux chercheurs, qui devinent déjà « une grande diversité d’organismes énigmatiques ».
« Nous avons donc organisé une première mission en mai 2023 pour voir le matériel sur place et en récupérer plus de 400 pièces, qui ont été enregistrées à Lyon », détaille Bertrand Lefebvre pour La Relève et la Peste.
Éric Monceret sur un site de fouilles © Sylvie et Éric Monceret
De précieux corps mous
La grande particularité de cette découverte tient à la présence de corps mous fossilisés.
« La très grande majorité des animaux marins n’a quasi-aucune chance d’être fossilisée, car leur corps est entièrement « mou » ou protégé par une « carapace » pas suffisamment résistante. Toutefois, même l’immense majorité des individus pourvus d’un « squelette » minéralisé (crabes, oursins…) n’a quasiment aucune chance d’intégrer le registre fossile : une fois les organismes morts, leurs cadavres sont en général décomposés, désarticulés et « totalement recyclés » », continue le chercheur.
En effet, pour que les parties minéralisées d’un organisme puissent devenir fossiles, il est nécessaire qu’elles soient soustraites à ce recyclage naturel à travers un enfouissement par du sédiment.
« C’est ainsi que s’initient plus de 95 à 99% des gisements fossilifères « classiques », dans lesquels seuls les restes squelettiques peuvent être éventuellement conservés », ajoute Bertrand Lefebvre.
Les 1 à 5% d’autres gisements, les « Lagerstätten » – sites à préservation exceptionnelle – constituent « le Graal » des paléontologues.
« En raison de conditions environnementales très particulières, non seulement les restes squelettiques des organismes seront parfaitement conservés, mais aussi leurs « parties molles » comme les yeux, le tube digestif, éventuellement le système nerveux. »
Ils permettent par ailleurs la préservation d’une gamme beaucoup plus vaste d’organismes. De 10 à 20% conservés habituellement, ce sont près de 70 ou 80% des communautés d’origine que l’on peut alors retrouver.
« Ce type de gisements offre donc une opportunité rare d’accéder à une vision plus complète, moins biaisée, de la composition et de la biodiversité des communautés marines anciennes. »
Certains fossiles retrouvés par les Monceret © Sylvie et Éric Monceret
Une biodiversité abondante
Une nouvelle découverte qui bat ainsi en brèche l’idée selon laquelle la biodiversité s’était amoindrie entre les périodes du Cambrien et de l’Ordovicien, il y a environ 485 millions d’années.
Jusqu’au début des années 2000, le schéma classique était en effet celui d’une diversification des animaux en deux phases successives dans le domaine marin.
Mais en 2010, la découverte du site des Fezouata, datant de l’Ordovicien inférieur, révèle des communautés marines diversifiées et conservées avec une préservation équivalente à celle des sites du Cambrien. Un autre gisement comparable a depuis été trouvé en Chine en 2022 et, aujourd’hui, la découverte effectuée à Cabrières confirme l’extraordinaire continuité de la diversité des faunes marines de l’époque.
Elle confirme aussi l’hypothèse d’une migration des espèces vers l’hémisphère sud, comme zone refuge, pour fuir les températures trop élevées des zones tropicales à cette époque.
Un intérêt majeur pour Sylvie et Éric, qui se réjouissent de pouvoir assister à l’avancée des connaissances et modélisations sur la question du réchauffement climatique.
Les 400 fossiles analysés avec leur aide ne sont que la première étape d’une grande aventure scientifique. Au printemps, des relevés supplémentaires seront effectués sur place avec des dizaines de chercheurs et étudiants afin de dater les niveaux fossilifères, préciser le contexte paléoenvironnemental et aussi identifier les mécanismes à l’origine de la préservation exceptionnelle.
Ensuite, une grosse dizaine d’années sera nécessaire pour analyser et décrire les différents organismes fossiles de Cabrières, ceux déjà connus mais aussi les nouvelles espèces d’algues, d’éponges ou de vers à découvrir.
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