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Dans le métro parisien, la pollution de l’air explose les limites recommandées pour la santé

Cobalt, Chrome, Cadmium, Manganèse, Cuivre, Strontium, Molybdène, Plomb, Fer, Zirconium Baryum, Nickel ont été retrouvés dans les filtres… mais à des taux entre 2 à 17 fois plus élevés, notamment concernant le fer, le manganèse ou le nickel. 

Après les pollutions au plomb qui persistent dans le nord de la France ou les perfluorés qui contaminent le lait maternel, les journalistes d’investigation de l’émission Vert de Rage se sont penchés sur les polluants inhalés lors de trajets effectués dans l’ensemble du métro et du RER parisien. Leur constat est alarmant : la pollution aux particules fines est en moyenne plus de 5 fois supérieure aux recommandations de l’OMS. Un reportage d’Anne-Sophie Novel.

“C’est une enquête que nous aurions préférée ne pas faire”, indique tout de go Martin Boudot au nom de l’équipe de Vert de Rage, l’émission d’investigation à impact qu’il mène depuis plusieurs années pour France TV.

D’après leur travail, mené de septembre 2022 à avril 2023, la pollution aux particules fines (les PM2,5, au diamètre inférieur à 2,5 micromètres, particulièrement nocives pour nos poumons, notre sang et nos organes, NDLR) dans le métro et le RER est de 24 μg /m³, soit près de cinq fois plus que les 5 μg /m³ recommandés par l’OMS depuis 2021.

À certains endroits, les mesures sont allées jusqu’à 19 fois plus que le seuil recommandé, et un écart de 1 à 100 a également été constaté d’une station ou d’une ligne à l’autre, comme l’illustre cette cartographie réalisée ici par France Info à partir des données de collectée par l’émission.

Les conclusions de leurs mesures indiquent aussi que l’air du métro est près de deux fois plus pollué que l’air extérieur : la surpollution, définie comme l’excès de pollution dans la station par rapport à l’extérieur, n’avait jamais été évaluée jusque-là. Elle a été mesurée à 10,5 μg /m³ en moyenne.

S’engouffrer dans une zone d’ombre informationnelle

Fidèle à la ligne de l’émission, dont l’exigence scientifique vient pallier l’insuffisance d’informations sur un problème sanitaire observé, Martin Boudot confie que cette enquête est partie de deux rapports publiés par l’Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) au sujet des enceintes de transports ferroviaires souterrains (EFS).

Le premier, en 2015, dresse un état des connaissances toxicologiques et épidémiologiques associées aux polluants présents dans ces enceintes. Il scrute pour cela l’état de santé des travailleurs y exerçant leurs activités et conclut à une inflammation des voies respiratoires et des effets consécutifs probables en lien avec une exposition chronique aux particules fines, ainsi qu’à des effets délétères attendus sur la santé cardio-respiratoire.

Le second, effectué en mai 2022 sur les passagers de ce mode de transport en commun, dresse peu ou prou le même tableau inquiétant : sont évoqués un potentiel oxydant élevé, un stress oxydatif et une génotoxicité plus marquée que celle des particules issues de combustion ou de processus d’usure de pneus, des effets inflammatoires importants et une ”possibilité” d’effets cardiorespiratoires.…

Si l’ANSES indique qu’il s’agit là d’un problème de santé publique, le corpus d’études dont dispose l’institution reste assez insuffisant pour évaluer les risques d’une exposition sur le long terme. Elle invite alors à “poursuivre les actions pour limiter les expositions des usagers, en réduisant les concentrations des particules en suspension dans l’air” et à instaurer des indicateurs de suivi “pour renforcer la surveillance de la qualité de l’air dans ces environnements”.

La RATP, de son côté, indique que la qualité de l’air de ses infrastructures est “globalement bonne ». Si le groupe affirme « faire de la qualité de l’air en station une priorité environnementale” et garantir “aux voyageurs et aux salariés présents dans ses espaces une qualité de l’air satisfaisante et qui ne nuise pas à leur santé », il demeure que les dispositifs mis en place pour l’assurer restent limités.

Elle plaide qu’il “n’existe pour l’heure aucune norme en matière de particules dans les espaces souterrains” (l’OMS ne formule des recommandations que pour l’air ambiant extérieur, NDLR) et que « le trafic ferroviaire ne génère pas de pollution gazeuse dont les concentrations sont plus fortes à l’extérieur que dans nos espaces » (d’après un courriel envoyé à l’équipe de Vert de Rage).

La RATP fait aussi valoir l’existence de points de mesures, en continu, dans cinq lieux représentatifs des espaces souterrains (Franklin D. Roosevelt (Ligne 1), Châtelet (Ligne 4), depuis 2006 dans la gare d’Auber (RER A), et depuis fin 2021 pour les gares de Nation et de Châtelet (RER A)).

La société remet aussi en cause les outils et mesures utilisés pour documenter la présence des particules fines dans ses enceintes. C’est d’ailleurs ce qu’elle a fait lundi 22 mai lors d’une conférence de presse organisée afin de réagir à la présentation des conclusions de l’étude menée pour l’émission.

“De telles mesures doivent être réalisées selon des protocoles scientifiques validés et avec du matériel de référence”, a indiqué la responsable du service développement durable de la RATP, Sophie Mazoué.

Dans un communiqué envoyé à la presse le 23 mai, la RATP détaille par ailleurs son dispositif, en faisant valoir le sérieux et la transparence de son approche.

Avoir du nez via un procédé scientifique innovant

“Hélas, les particules fines PM2,5, ne sont en réalité relevées qu’en deux points de mesure, à Auber et Nation, sur la ligne de RER A” répond Martin Boudot, déçu de ne pas avoir encore pu échanger en direct avec la RATP.

“Nous les avons sollicités il y a une semaine en leur partageant nos résultats, pour obtenir un contradictoire, recueillir leur réaction, savoir s’ils ont des éléments à contester, et les entendre sur ce qu’ils comptent faire…” 

Le journaliste entend justement faire valoir l’approche scientifique mise au point avec Jean-Baptiste Renard, directeur de recherches au CNRS et patron du comité scientifique de l’association Respire (qui lutte depuis des années pour une meilleure qualité de l’air dans le métro).

Pour la première fois, la pollution de l’air par les particules fines est documentée dans la totalité des 332 stations du métro parisien, et sur les quais du RER de la petite couronne.

L’usage d’un capteur d’air mobile conçu par “Pollutrack” a été complété par des mesures réalisées par une cinquantaine de volontaires ayant quotidiennement porté un filtre à nez : avec l’aide d’un autre scientifique (le Dr. Joël Poupon, biologiste toxicologue au laboratoire de toxicologie biologique de l’hôpital Lariboisière, spécialiste des métaux lourds), Vert de Rage a ainsi pu analyser la composition de l’air dans les enceintes ferroviaires.

Sans surprise ou presque, Cobalt, Chrome, Cadmium, Manganèse, Cuivre, Strontium, Molybdène, Plomb, Fer, Zirconium Baryum, Nickel ont été retrouvés dans les filtres… mais à des taux entre 2 à 17 fois plus élevés, notamment concernant le fer, le manganèse ou le nickel. 

“Les concentrations de métaux lourds retrouvées sont hétérogènes et dépendent fortement des lignes empruntées. On remarque une corrélation entre les niveaux de particules PM 2.5 dans l’air et les concentrations en métaux lourds” explique en ce sens Joël Poupon.

En cause : la vétusté du réseau, la profondeur des stations, l’intensité du trafic, les modes de freinage… sans oublier les matériaux utilisés selon les lignes.

“Il y a comme un déficit d’investissement sur la qualité de l’air” estime Martin Boudot, qui trouve regrettable de réaliser une telle enquête alors que cette surpollution pourrait être évitée. “Nous avons mené des comparaisons dans d’autres villes de France et la situation n’est pas comparable à celle de Paris” indique l’enquêteur.

Pour lui, il serait possible de ventiler autrement les rames et stations, tout comme il serait envisageable d’aspirer les particules fines à la source avec un système de récupération au niveau des freins ; de mieux filtrer l’air venant de l’extérieur et l’air rejeté vers l’extérieur ; de systématiser le freinage régénératif ou de mettre en place des rames d’arrosage et de dépoussiérage…

“À Séoul par exemple, un double filtre magnétique a été installé sur certaines rames tests et aurait permis de diminuer les PM2.5 de 55%. A Taiwan, les rames d’arrosage et de dépoussiérage qui auraient permis de réduire la concentration de PM2.5 par 71 % après deux mois”, indique l’équipe de Vert de rage.

En attendant, cette enquête risque à regret de faire de l’ombre à un transport en commun utile pour limiter son impact climatique… Les scientifiques déconseillent d’ailleurs de prendre le RER ou le métro lors de pics de pollution –  ce qui n’arrangera pas la situation si les reports se font sur d’autres modes de transport plus carbonés. Pour eux, c’est une preuve qu’il est, là aussi, urgent d’agir.

Sources : Le lait maternel pollué aux perfluorés, Vert de Rage, 02/11/22 / Les enfants du plomb, Vert de Rage, 03/10/22 / Pollution de l’air dans les enceintes ferroviaires souterraines et risques pour la santé des travailleurs, Anses, 09/09/2015 / La RATP engagée pour la qualité de l’air dans ses espaces souterrains, 18 avril 2018

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