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Corse : les résidences secondaires détruisent la tortue d’Hermann avec la complicité de l’OFB

L’affaire est sérieuse : elle montre que les services de l’État assistent passivement, voire participent, à la destruction d’une espèce protégée et au grignotement des espaces naturels, alors qu’ils disposent d’outils légaux qui leur permettent d’agir.

Dans une vidéo mise en ligne la semaine dernière, Global Earth Keeper annonce avoir porté plainte auprès du parquet d’Ajaccio contre le service départemental de l’Office français de la biodiversité pour « subornation de témoin ». L’association souhaite alerter sur la destruction systématique, en Corse, de l’habitat de la tortue d’Hermann, une espèce menacée par l’urbanisation galopante, tout comme l’impuissance, voire la malhonnêteté de la police de l’environnement.

L’aire de répartition de la tortue d’Hermann se trouve à la pointe sud de l’Europe. En France, elle n’est plus présente que dans le Var et en Corse, alors qu’elle occupait autrefois l’ensemble de la région méditerranéenne. Considérée comme le reptile le plus menacé à l’échelle européenne et mondiale, elle est l’objet d’un plan national d’actions depuis une quinzaine d’années, mais celui-ci n’a nullement permis d’enrayer le déclin de l’espèce.

C’est en Corse que les populations françaises de la tortue d’Hermann sont les plus répandues, notamment dans l’extrême sud de l’île, la plaine orientale et le golfe d’Ajaccio, soit une superficie d’environ 13 % du territoire insulaire. Il s’agit d’une sous-espèce locale, la dernière à connaître un certain dynamisme dans l’ouest de l’Europe.

Mais ses aires de distribution s’étiolent à vue d’œil, principalement à cause de l’artificialisation des espaces naturels, qui se cumule avec des pratiques agricoles vétustes ou du braconnage. À la différence près que lorsqu’une surface est bétonnée, les reptiles y disparaissent sans retour.

« Les Corses vous diront que la tortue d’Hermann est présente partout, qu’on en voit de manière quotidienne, nous déclare un témoin local, passionné de reptiles. Mais la tortue est en fait victime de son succès, car personne ne s’aperçoit plus de sa fragilité. Comme de mémoire d’être humain, elle a toujours habité l’île, personne ne se rend compte que les populations sauvages déclinent et pourraient être entièrement anéanties. »

Une particularité de la Corse : ces dernières années, le secteur de la construction y connaît une croissance sans précédent. Entre mars 2018 et mars 2019, les mairies ont délivré 26 % de permis de construire de plus que l’année précédente, alors que dans le reste de la France, excepté en Nouvelle-Aquitaine, la construction est en pleine décroissance, de – 5 à – 20 % selon les régions.

Record national, près de 30 % du parc immobilier insulaire est composé de résidences secondaires, dont le nombre devrait atteindre 100 000 d’ici quelques années. La population croît, la Corse construit 5 000 logements supplémentaires par an, bien au-delà de ses capacités d’accueil.

Totalement débridée, l’artificialisation de l’île se déploie le long de sa ceinture littorale, en plein sur les aires de répartition de la tortue d’Hermann. Les enjeux économiques sont immenses : à deux cents euros le mètre en moyenne, les terres où vit la tortue valent des millions et les gains se chiffrent en milliards.

Les tortues sont tuées ou chassées par les travaux, alors qu’elles sont parfois plus âgées que les entrepreneurs eux-mêmes. Et pourtant, habitats et individus figurent dans la liste au plus haut niveau de protection, leur destruction est un délit passible de trois ans de prison et de 150 000 euros d’amende. À quoi bon ? L’État n’intervient pas.

C’est cette situation que souhaite dénoncer l’association Global Earth Keeper, qui lutte pour une meilleure protection animale et environnementale, partout en France, notamment en Bretagne et en Corse.

Dans une vidéo publiée vendredi 20 novembre et visionnée 170 000 fois, l’association annonce avoir déposé une plainte auprès du procureur de la République d’Ajaccio à l’encontre du service départemental du nouvel Office français de la biodiversité (OFB), pour subornation de témoin.

L’affaire est sérieuse : elle montre que les services de l’État assistent passivement, voire participent, à la destruction d’une espèce protégée et au grignotement des espaces naturels, alors qu’ils disposent d’outils légaux qui leur permettent d’agir.

Tout commence à Bastelicaccia, une commune de Corse-du-Sud non loin d’Ajaccio. À la fin du premier confinement, une personne souhaitant garder l’anonymat contacte Global Earth Keeper : des engins de chantier sont en activité devant chez elle, de nombreuses tortues d’Hermann se réfugient dans son jardin. Que faire ?

L’association prévient l’OFB, tout en précisant qu’au regard de l’enjeu financier conséquent (quatre millions d’euros), le lanceur d’alerte doit rester anonyme et ne pas apparaitre. L’OFB promet alors de dépêcher au plus vite un agent de sa police de l’environnement.

Mais le soir même, un inspecteur du service départemental téléphone au lanceur d’alerte : après avoir recueilli son témoignage, il lui annonce qu’en ouvrant une procédure, l’OFB sera forcé de l’auditionner comme témoin à charge.

« Pourtant, c’est totalement faux ! nous explique Laurence Constantin, présidente de Global Earth Keeper et grande passionnée de voyage et de navigation. Le rapport de cet agent assermenté aurait eu la valeur d’un constat d’huissier. Il n’y a jamais besoin de témoin pour entamer ce genre de procédures. Il s’agit donc d’une menace : l’agent de l’OFB a demandé au lanceur d’alerte de s’exposer publiquement en sachant très bien qu’il refuserait par crainte de représailles. »

Il ne faut pas oublier que cette histoire se passe en Corse… Résultat : le témoin se rétracte, aucune procédure judiciaire n’est engagée pour le terrain de deux hectares de Bastelicaccia, où la présence d’une espèce protégée était pourtant avérée.

Eclosion d’une tortue d’Hermann – Crédit : Henri Pidoux

Mise sur la piste, l’association Global Earth Keeper découvre alors que l’agent de l’OFB a déjà suborné au moins un autre témoin, à Mezzavia, en périphérie d’Ajaccio. Même cas de figure : quatre parcelles sont défrichées par des engins de construction, un habitant prévient l’OFB, mais l’agent le menace de l’auditionner si l’affaire est judiciarisée, alors qu’une audition n’apporterait rien au dossier.

Les terrains de Mezzavia étaient déjà dans le collimateur de l’association locale U Levante, qui a porté plainte le 19 mai 2020 pour destruction d’espèce protégée et de son habitat, dans le lieu-dit Valle di Cantolu Maio. Au sein de cette plainte, l’OFB est déjà cité peu élogieusement :

« Contacté plusieurs fois par les riverains et par nous-même, l’Office français de la biodiversité n’a pas souhaité intervenir en amont des travaux et donc en prévention, comme cela aurait dû être le cas vu les éléments à sa disposition. Encore aujourd’hui, nous ne savons pas si ce service interviendra puisqu’il a déclaré qu’il faudrait démontrer “l’intentionnalité” de la destruction pour verbaliser. Or, l’élément moral nous semble ici parfaitement établi. » 

Devant les informations que révèle Global Earth Keeper, l’affaire prend une tout autre dimension : les services de l’État ne sont plus simplement passifs ou impuissants, ils semblent participer eux-mêmes à la destruction d’une espèce protégée, en faisant taire leurs principaux relais locaux, les citoyens.

Selon Laurence Constantin, dans l’un et l’autre dossier, tout le monde était au courant. « Pour Bastelicaccia, nous avons prévenu la DREAL [la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement, ndlr], la préfecture, la police de l’environnement et le porteur de projet par lettres recommandées. Aucune réaction. Pareil pour Mezzavia. Nous avons donc porté plainte au début du mois de juillet. Mais la procédure est lente et nous ne savons pas encore si la plainte va aboutir à l’ouverture d’une information judiciaire. »

Que fait la préfecture ? Que fait l’OFB ? À Mezzavia, dès 2018, l’association U Levante avait pourtant adressé aux services de l’État un constat d’huissier affirmant que les quatre parcelles constituaient des zones de vie, d’hibernation et de ponte des tortues d’Hermann. Peine perdue.

Les permis de construire avaient déjà été accordés par la mairie d’Ajaccio, certains ouvrages de défrichement et de terrassement étaient commencés. L’OFB a donc prétendu que la présence de permis de construire l’empêchait d’intervenir, alors même que les infractions avaient pourtant lieu au vu et su de tous…

Selon Laurence Constantin, cette situation est d’une affligeante banalité en Corse. « Ce qu’on déplore, c’est que les services de l’État ne fassent jamais leur travail. Ils enquiquinent les particuliers pour des bêtises et ne s’en prennent jamais aux grands travaux. »

Mais pourquoi ? S’agit-il de négligence, d’incompétence, de corruption ?

« On ne sait pas, répond Laurence Constantin. Nous aimerions que l’enquête du parquet lève le voile, que l’histoire soit nette, nous voudrions savoir à qui l’on a affaire. Incompétence, corruption, peur des représailles : tout est encore possible. Ce qui est sûr, c’est que la subornation de témoins est extrêmement répandue sur l’île. »

Pour s’être mêlée à de grands projets de construction et avoir alerté maintes fois la population locale, U Levante a subi des menaces et des tentatives d’intimidation. La voiture de la compagne d’un membre de l’association a même été incendiée. C’était en 2016, mais rien n’a changé. En Corse, l’omerta règne en maître, surtout quand les intérêts des plus grandes familles sont en jeu.

Global Earth Keeper s’attend à ce que ce soit prochainement son tour.

« Nous n’avons pas encore reçu de menaces, mais jusqu’à présent, nous dénoncions sans trop embêter, nous confie Laurence Constantin. Cette fois-ci nous nous engageons. Nous ne voulons plus subir, nous ne voulons plus faire semblant. »

À qui profite l’artificialisation ?

« En Corse, certaines grandes familles du BTP contrôlent aussi le transport, notamment des déchets, dont ils ne veulent pas la réduction. Ce sont elles qui construisent et gèrent les centres commerciaux, à côté desquels ils bâtissent des habitations. Puis pour faire taire les citoyens, elles prennent des parts dans les journaux locaux comme “Corse Matin”… Tout est gagnant pour elles ! »

Face à une cette emprise d’intérêts privés sur l’économie insulaire, comment faire entendre les intérêts de la tortue d’Hermann ?

Augustin Langlade

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