Charlotte Desrousseaux et son compagnon habitent à Castella, dans le Lot-et-Garonne, où la construction d’une portion de route nationale menace un cèdre sur leur propriété. Malgré la résignation de nombreux voisins et d’une association environnementale locale, Charlotte obtient des modifications des plans pour sauver l’arbre. Elle y voit le signe qu’un dialogue est encore possible avec ceux qui saccagent pourtant la nature.
Une tentative de coupe illégale
Depuis son installation dans sa maison, il y a 15 ans, Charlotte entend parler d’un projet d’aménagement d’une rocade, mais sans vraiment y croire. En 2023, le chantier est lancé. Le projet va entraîner la coupe de parcelles de bois, et l’expropriation de terrains, dont une partie de celui de Charlotte.
« Un beau matin, on entend des tronçonneuses dans le jardin, raconte-t-elle à La Relève et La Peste. On se rend compte qu’une entreprise d’élagueurs privés, mandatés par la DREAL – Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement –, est en train de commencer à couper notre cèdre. On est sortis et on leur a interdit. »
Charlotte parvient à stopper la coupe. Selon elle, aucune expropriation n’avait encore été actée. « Ils nous avaient verbalement annoncé qu’on allait être expropriés, mais la DREAL ne nous avait pas fait de proposition d’expropriation. Il n’y avait rien » témoigne-t-elle pour La Relève et La Peste.
« Et puis, ça s’est répété, continue-t-elle. Ils sont revenus sur place. Au bout d’un moment, j’ai carrément affiché une pancarte sur l’arbre en leur interdisant formellement de le couper. »
Charlotte témoigne également d’échanges lunaires avec une agente de la DREAL qui l’aurait appelé pour la convaincre d’accepter la coupe, au prétexte qu’elle était au bord du burn-out et qu’une procédure judiciaire donnerait trop de retard au chantier en raison du congé maternité de la juge du tribunal d’Agen. Selon les gérants du chantier, l’arbre gênerait l’avancée des travaux.
« Enedis nous avait dit qu’il allait falloir le couper parce qu’il allait gêner la nouvelle ligne électrique avec ses branches, affirme Charlotte. Ils nous ont même demandé de signer un document attestant qu’on ne planterait pas d’autres arbres à proximité. On a refusé : il est hors de question qu’on nous interdise de planter un arbre ! »
Un refuge pour la biodiversité
Face au refus de Charlotte, la DREAL propose de racheter le cèdre.
« Ils voulaient le racheter pour 3 500 euros, raconte Charlotte pour La Relève et La Peste. Mais je leur ai dit que ce n’était pas une question financière et qu’il était hors de question qu’on le coupe ».
Après la coupe de « centaines d’arbres » d’un bois proche et des cerisiers de la voisine, le cèdre est l’un des rares arbres encore debout. Il représente donc l’un des derniers refuges pour la biodiversité. Il accueille des écureuils et de nombreux oiseaux : rouges-queues, geais, bergeronnettes, etc. Il sert également de nichoir à des huppes fasciées, de magnifiques oiseaux migrateurs.
Un dialogue avec les chefs des travaux
Pour empêcher la coupe de l’arbre, Charlotte s’est d’abord tournée vers une association environnementale locale.
« Ils m’ont dit, “vous savez, c’est le pot de terre contre le pot de fer et vous n’allez rien faire. C’est l’État : on ne pourra rien gagner » affirme-t-elle à La Relève et La Peste.
Déterminée, elle s’est donc saisie seule de la problématique : « J’ai décidé d’aller rencontrer le chef de chantier dans leurs bureaux installés sur place et j’ai demandé à voir les plans, raconte Charlotte. Ils étaient affichés en grand sur le mur. J’ai vu le cèdre et je leur ai dit très gentiment que le cèdre ne gênait pas : il n’était même pas sur le tracé ! Je leur ai dit qu’on est censés être dans une politique de conservation des arbres, de la nature et qu’on était dans une zone naturelle – classée Zones Naturelles d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique. »
Malgré des frictions avec certains membres de la société en charge des travaux et certains agents publics peu compréhensifs, Charlotte rencontre finalement des agents de la DREAL à l’écoute et la personne en charge des travaux.
« Le chef des travaux qui était très sympa m’a entendu et a reconnu qu’il n’avait pas remarqué le cèdre. Il est venu sur place et il m’a dit qu’il allait faire le nécessaire pour qu’on le garde. Grâce à cela, le tracé a été légèrement modifié. »
Trouver des voies de dialogue au milieu du saccage
La mobilisation de Charlotte a donc été payante. Du moins en ce qui concerne ce cèdre. « On a quand même été expropriés de 2500 m² de terrain » tempère-t-elle, en évoquant son ressenti face à cette artificialisation des terres autour de chez elle.
« Cela nous beaucoup perturbé, et mon fils aussi. C’est un paysage apocalyptique ».
Néanmoins, lutter pour la protection du cèdre semble lui avoir apporté une forme de réconfort : « Au début, je n’arrivais pas à aller sur le chantier. Maintenant, j’y vais et on ne voit que le cèdre sur le bord de cette nouvelle route. Je l’appelle “le Survivor” » plaisante-t-elle.
Charlotte estime avoir eu globalement des interlocuteurs à l’écoute : « On peut encore trouver des gens attentifs, même dans ces métiers-là, résume-t-elle. Il y en a qui essayent quand même de concilier un peu ce qu’on leur demande au niveau du chantier et un minimum de protection. Même si d’un autre côté, ils saccagent ».
Charlotte a également obtenu quelques concessions supplémentaires : la création d’une butte végétalisée à la place du mur anti-bruit initialement prévu. N’ayant pas signé la convention voulue par EDF pour l’empêcher de replanter des arbres, elle s’apprête à re-végétaliser son terrain.
« J’ai besoin psychologiquement de me dire que je replante. On va essayer de trouver des arbres qui poussent assez rapidement pour que les oiseaux puissent s’y réfugier. Des arbres qui n’ont pas des systèmes racinaires trop importants pour ne pas que cela gêne au bord de route. »
Un joli témoignage de détermination pour sauver un géant végétal.
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