Née de la rencontre entre des marins et des artistes, Bourlingue & Pacotille est une association unique en son genre. Sillonnant la Méditerranée, ses membres proposent des tournées artistiques et un transport à la voile de produits sélectionnées avec soin. Rencontre avec Nicolas Rousson, co-fondateur de Bourlingue & Pacotille, menuisier de profession et marin depuis toujours.
L’idée de départ
Au début de cette histoire, il y a des marins qui ont envie de faire autre chose que du tourisme avec leurs bateaux et des artistes à la recherche d’un moyen de transport différent du fourgon ou de l’avion.
« On avait l’idée de rendre les bateaux de plaisance utiles, se souvient Nicolas Rousson. Ils sont très peu utilisés : en France, un bateau passe environ 90% du temps stationné en moyenne. On voulait aussi rendre les ports vivants. Ce sont des espaces financés par les deniers publics qui sont en train de se privatiser énormément et qui se meurent d’élitisme. Des endroits qui se referment, avec des digicodes et des cartes pour accéder aux pontons. Et puis cette envie de démystifier la navigation, la rendre accessible à tous ».
À partir de là se montent des tournées artistiques itinérantes à la voile sur des bateaux récupérés et remis en état par les membres du collectif. Les marins représentent une petite partie de l’équipe, les autres viennent avec une proposition artistique ou aident à l’organisation des festivals.
Transporter des marchandises
« Sur nos tournées on devait nourrir beaucoup de personnes. On a en plus monté un cabaret dinatoire où on servait entrée-plat-dessert à 100 personnes sur les quais. Il a fallu trouver des produits sans passer par les supermarchés sur les ports. On a commencé à chaque escale à aller voir les producteurs…Cette partie-là nous a beaucoup plu », explique le marin.
Peu à peu, les équipages se rendent compte que les bateaux, en plus de transporter les spectacles, ont aussi de la place pour charger de la marchandise.
« C’étaient des quantités très symboliques, mais dans l’idée de commencer à parler de l’après-pétrole et d’une idée de transport plus long, à la voile, avec un choix des produits bien réfléchi ».
L’association Bourlingue & Pacotille voit alors le jour. Les producteurs accueillent à bras ouverts ces marins qui leur proposent une alternative aux cargos et mettent en valeur les produits à leur retour sur le continent.
La rencontre avec les producteurs
« Chaque trajet est une aventure particulière », remarque Nicolas Rousson. « Le premier était en Tunisie. À peu près la moitié de l’huile d’olive qu’on consomme en France vient de là-bas. Mais elle est exportée en vrac, on ne trouve jamais le nom d’un producteur d’huile tunisien. C’est juste écrit « hors UE ». On a rencontré un producteur qui ramassait, pressait, mettait en bidon en Tunisie, et on a fabriqué ensemble une étiquette avec le nom du domaine ».
Depuis, Bourlingue & Pacotille s’est peu à peu associée avec un producteur d’huile d’argan au Maroc, la seule ferme de thé bio aux Açores ou encore un vignoble en Sardaigne.
« On travaille avec un couple de producteurs qui a acheté un terrain tout en pente. Ils y ont planté des vignes, travaillent entièrement à la main et font un vin nature exceptionnel. Chaque fois qu’on va chez eux on fait la fête, ce sont des moments formidables ».
En recréant un lien entre les rivages de la Méditerranée, les marins renouent avec l’Antiquité.
« On transporte du vin, de l’huile, des céréales…et comme les routes antiques, nos trajets prennent en compte les saisonnalités liées aux produits. On sait qu’on a un voyage en Sicile en automne par exemple. Ça fait 3 ans qu’on va y chercher l’huile d’olive qui vient d’être pressée. C’est aussi le moment de récupérer les capres, les tomates séchées, les pâtes… ».
Les escales prévues sont indiquées sur open distrib, ce qui permet d’effectuer des pré-réservations sur les produits, que les marins rapportent ensuite pour les distribuer autour d’eux.
Le volet artistique
Concernant le volet artistique, les spectacles dépendent des équipages.
« En ce moment par exemple, sur L’Oiseau de passage, le capitaine fait des projections de films Super 8. Un équipier est comédien, il y a une danseuse, une musicienne et un acrobate-danseur. On a aussi des bases de spectacles collectifs qu’on a déjà joués sur les bateaux, autour de la question de la dégustation et du transport des produits ».
Bourlingue & Pacotille fonctionne avec des bateaux de particuliers, et personne n’est payé sur les trajets. Certains propriétaires participent au voyage, d’autres mettent à disposition leur voilier – parfois remis en état par l’association.
« Il y a toujours quelques membres de l’asso sur les itinéraires, le reste ce sont des nouvelles têtes. Généralement ce sont des artistes qui n’ont jamais navigué. Sur certaines tournées, on regroupe jusqu’à 80 personnes, et la plupart des gens ne sont jamais montés sur des bateaux auparavant. De cette expérience collective ressort souvent quelque chose d’intéressant. La voile s’apprend très vite, et des personnes qui n’étaient jamais montés sur scène en ont fait leur boulot après avoir passé quelques mois avec nous ».
Défricher le terrain
Pour le moment, l’association est basée à Marseille.
« On cherche un lieu où s’installer, une ville qui voudrait être le fer de lance du commerce à la voile en Méditerranée. En Bretagne ça a le vent en poupe, ici les gens ne comprennent pas trop encore ».
Les membres se sont lancés dans la rénovation d’un bateau abandonné dans le port de Sète, la Bourlingue, qui permettrait d’accueillir des marchandises, du matériel de spectacle, une petite salle de spectacle et un lieu de répétition.
« Il existe un seul bateau immatriculé en France de ce type, Grain de Sail, une goélette de 23 mètres. Le transport de marchandises à la voile n’existe pas vraiment pour l’instant, le cadre légal est assez flou. On s’est lancés là-dedans en se disant : on expérimente, on voit si ça marche, et on s’est rendu compte qu’il y avait une vraie attente en Méditerranée.
« On sait très bien qu’on ne va pas remplacer les cargos, mais on propose une réflexion sur le transport maritime, en montrant qu’il peut être différent » conclut-il
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