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Cet ancien cadre en finance a tout quitté pour devenir charpentier

“Ce qui me manquait dans mes anciens jobs, c’était cet ancrage dans le monde réel.  Ce que je fais aujourd’hui est concret et je me rends compte directement de l’utilité de ce que j’ai réalisé, quand je vois les toits sur lesquels j’ai travaillé, je suis fier.”

Après plusieurs expériences inconfortables en entreprise dans les départements finance et commerce, Xabi Aizpuru s’est réorienté vers le métier de charpentier. Montagnard depuis sa tendre enfance et amoureux des toits des Pyrénées, il se retrouve, cette fois, sur les hauteurs des foyers. Itinéraire d’un vagabond hyperactif qui a décidé de tout plaquer pour un retour aux sources sur les toits charpentés du Pays basque. Un portrait par Maureen Damman.

Une certaine connexion à la montagne

Comme Xabi, 31 ans, beaucoup de “bons élèves”, qui ne savent pas encore trop quoi faire au lycée, sont orientés vers un bac général, le plus souvent un bac scientifique. Toujours incertain quant à son avenir, on lui a ensuite conseillé d’entrer en école de commerce, schéma que ses deux sœurs avaient également suivi.

On m’a sorti cet éternel refrain qui consiste à dire “cela t’ouvrira énormément de portes”. “À cet âge, je voulais aussi profiter, sortir, faire la fête et voyager, ce que l’école de commerce promet, puisqu’on n’y va généralement plus pour le réseau et les possibilités de stages que pour l’enseignement ”, assène Xabi Aizpuru auprès de La Relève et La Peste

Xabi a eu la chance de “naître dans une famille de montagnards” comme il se plaît à le dire. Il passe une bonne partie de son enfance aux alentours de Saint-Lary dans les Pyrénées, où il oscille entre forêts et montagnes.

Avec une enfance pareille, on a vite besoin d’un bon bol d’air frais, ce qui va en totale contradiction avec le parcours étudiant qui nous envoie le plus souvent dans des grandes villes pour lentement nous déconnecter ”. Il poursuit pour La Relève et La Peste, “plus on se déconnecte, plus on oublie ce rapport sensible à la nature, le bien que cela nous procure, de simplement prendre l’air, d’être hors du bruit et du monde qui va très vite”.

C’est sans doute ce que le philosophe naturaliste, Baptiste Morizot, qualifie de “crise de la sensibilité”, autrement dit un appauvrissement de tout ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre et tisser comme relations à l’égard du Vivant. Et la vie étudiante préparant au travail, a priori, est un moyen sûr de nous faire oublier ce que, peut-être enfant, on a pu sentir en étant proche du vivant, du moins plus curieux à son encontre.

Saint-Lary-Soulan

Saint-Lary-Soulan, le village natal de Xavier dans les Pyrénées – Crédit : Wikimedia Commons

Des grosses structures plus avilissantes les unes que les autres

L’étudiant fait son chemin, oscillant entre diverses expériences, d’abord un premier stage en audit financier, domaine rattaché à la comptabilité qui a pour réputation de broyer les personnes qui y travaillent.

On ne sait pas trop ce qui nous attend, je suis arrivé dans ce qu’on appelle un Big 4 (l’un des 4 grands cabinets de conseils financiers implantés mondialement, ndlr). Là, c’est la première grande désillusion.” 

À son bureau, Xabi Aizpuru passe des heures et des heures assis sur une chaise, dans une pièce souvent trop petite et mal éclairée. Le temps passe lentement et les tâches sont beaucoup trop répétitives pour qu’il y trouve une quelconque forme d’épanouissement. Malgré tout, Xabi entre dans une grosse structure avec “des perspectives d’évolutions intéressantes”, bien qu’il se rende rapidement compte que ce type de travail n’est pas fait pour lui.

On est au milieu d’un grand ensemble, noyé sous le travail et totalement indifférencié”, se remémore Xabi Aizpuru pour La Relève et La Peste, à la manière de nombreux emplois en open space qu’a produit le capitalisme. Xabi se sent complètement déçu par ce que la société semble lui vendre.

Ce genre de travail est réservé à des bacs+5, mais ne demande pas d’autres compétences que de savoir utiliser Excel, sans aucune stimulation intellectuelle.

Il rejoint alors sa copine de l’époque à Barcelone pour travailler dans une entreprise américaine de logiciels où il se retrouve dans une grande salle avec tous les commerciaux, des classements en fonction des objectifs, des réunions, des n+1 trop nombreux.  “J’étais clairement confronté à une culture de la productivité et du chiffre entièrement violente et aliénante” se souvient-il pour La Relève et La Peste.

L’écoconstruction et les chantiers participatifs

Pour répondre au besoin de travailler à l’extérieur avec leurs mains, Xabi et sa compagne ont choisi d’aller faire du woofing en Amérique du Sud. L’occasion d’expérimenter un mode de vie en cohérence, sur des projets en autosuffisance, qui respectent les rythmes de tout le monde, du vivant en général, de la nature, des animaux et des humains.

On vit au jour le jour dans différentes exploitations de vin ou en permaculture et surtout, on rencontre beaucoup de personnes avec la même sensibilité à la nature que nous, des gens aux parcours inspirants” se rappelle Xabi Aizpuru dans un sourire pour La Relève et La Peste.

Après 15 mois de voyage, tous les deux s’installent à Majorque dans la maison des beaux-parents qu’ils sont en train de rénover, tâche dans laquelle Xabi semble s’épanouir. Il commence alors sérieusement à envisager une reconversion dans le domaine et s’intéresse alors plus profondément à l’écoconstruction et se lance dans différentes expériences, notamment des chantiers participatifs.

L’une d’entre elles, qui l’a particulièrement marquée, se déroule chez un couple d’architectes formés à l’écoconstruction qui vivent dans le Lot. Tous deux réalisent leur propre maison en ossature bois, avec un projet de jardin en permaculture, et élèvent des animaux de manière collective avec d’autres voisins. Xabi y reste deux mois puis est rappelé par le couple qui vient d’avoir un enfant et a besoin d’aide.

Heureux hasard : je voulais bosser dans ce milieu-là, je reviens bosser là”, lance-t-il.

L’envie de reconversion se concrétise : être sur les toits, sur les cimes des foyers lui semblent bien plus en cohérence avec lui-même, son environnement et sa nature profonde.

Le métier de charpentier

Xabi fouille un peu les diverses formations, comme celle d’Ouvrier Professionnel en Écoconstruction (OPEC), qui mêle la construction en terre crue, en bois paille, mais qui offre trop peu de perspectives d’emplois, notamment au Pays basque, là où Xabi souhaite retourner vivre.

Xabi contacte par la suite Les Compagnons du devoir à Anglet et se lance dans une formation d’un an, avec 2 périodes de stages de 2 semaines. Il enchaîne alors sur un BTS SCBH et rentre dans une entreprise où en plus des missions concrètes sur les toits, il calcule la résistance des matériaux, l’isolation thermique, les points de rosées, “ des tâches gratifiantes, et bien plus intellectuelles qu’on ne pourrait le croire.

Charpentier depuis environ un an, Xabi a diversifié les expériences dans des petites structures pour en apprendre le plus possible. Indéniablement, il a perdu en salaire, peut-être aussi en confort, si l’on considère le confort physique uniquement.

Xabi Aizpuru

Il raconte pour La Relève et La Peste : “Bien sûr que ça peut faire mal au dos, mais c’est quand même une récompense, ça fait du bien au mental.” 

Pour notre jeune charpentier, c’est indéniable, “ce qui me manquait dans mes anciens jobs, c’était cet ancrage dans le monde réel.  Ce que je fais aujourd’hui est concret et je me rends compte directement de l’utilité de ce que j’ai réalisé, quand je vois les toits sur lesquels j’ai travaillé, je suis fier.”  

Aussi, Xabi Aizpuru s’épanouit énormément dans ce travail à la fois physique et manuel. Lui, que l’on peut qualifier d’enfant de la montagne, habitué aux grands espaces, ne pouvait pas se contenter de rester assis dans un bureau. Là, il passe tout son temps en extérieur ou presque, pour son plus grand bonheur.

Enfin, ajoute-t-il, “c’est un métier vieux comme le monde, et on a la chance en France d’avoir un savoir-faire et de pouvoir le faire perdurer. J’ai eu la chance d’être formé chez les compagnons du devoir et j’ai envie de transmettre à mon tour un jour.”

Xabi Aizpuru

Xabi Aizpuru sur le toit d’une maison basque

Concernant les difficultés du métier, “à long terme cependant, on a un peu peur que ça use le corps,” ajoute Xabi, qui déplore aussi les conditions météorologiques, aléa du quotidien qui peut rendre le travail moins sympathique, voire très désagréable pour des conditions extrêmes. Il y a aussi des risques de chutes sur certains chantiers où l’échafaudage n’est pas systématiquement installé, notamment pour des raisons financières.

La mécanisation du métier se fait également sentir, avec des chantiers modélisés sur ordinateur et les machines d’usinage à commande numérique. Le charpentier perd alors complètement l’essence de son métier et devient un simple poseur, ce qui semble beaucoup plus “compétitif”, au sens capitaliste du terme, par rapport au métier sous sa forme traditionnelle.

Sur le plan éthique, il y a eu certains chantiers où Xabi s’est retrouvé à faire des maisons Lego, ce qui ne fait rêver aucun artisan de manière générale.

On n’est pas forcément fiers de passer devant. Surtout qu’au Pays basque aujourd’hui, la spéculation immobilière fait pression sur le foncier et les locaux peinent à se loger, on se trouve à travailler avec des marchands de bien, qui rénovent et vendent très cher derrière”.  Xabi se raisonne : “Il faut se dire qu’il y a un temps pour tout : pour l’instant, j’apprends, mais à terme, je vais transitionner ”.

Cependant, il a un modèle, une charpentière dans une CAE, Cécilia Rodriguez et son entreprise Zurginkeri, qu’il a rencontré via Patxa’ma, un site de réemploi de matériel de construction/rénovation, basé à Bayonne. Cécilia travaille au maximum avec des bois locaux ou des matériaux de réemplois et de l’accompagnement pour des clients sur leur chantier ou sur des chantiers participatifs.

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