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Ce fermier brésilien cultive le cacao sous la forêt tropicale pour mieux la protéger

« J’étais déjà convaincu que la forêt possédait ce pouvoir de résilience, se remémore Diego, si tant est qu’on fonctionne avec elle de manière cohérente, sans la traiter comme une force à dompter, et qu’on lui fasse confiance ».

Pour faire face à la maladie du « balai de la sorcière » ayant ravagé les plantations de cacao bahianaises dans la décennie 1990 et endiguer la déforestation, Diego Badaro est retourné à la terre de ses ancêtres. Sous les nefs forestières sauvages, il développe une filière de cacao 100% bio, pour produire un chocolat de qualité et ainsi protéger la forêt de l’agriculture industrielle. Un reportage d’Alexandre Habonneau.

Du cacao sous la jungle

Les cabosses jaune orangé flottent dans les cacaoyers comme de gros rubis, en forme d’œufs de Fabergé. Légèrement striées, elles contiennent les précieuses fèves, à partir desquelles sera fabriqué le chocolat. Très peu de lumière traverse le couvert des frondaisons de la jungle primaire.

Les parfums d’humus montent de la terre humide. Nous sommes dans l’intérieur de Bahia, au Brésil, quelque part dans les 8% restants de la Mata Atlântica, la forêt primaire recouvrant toute la côte Atlantique avant l’arrivée des colons portugais.

« Venez, on va faire le tour par-là, plutôt », propose Seuzé placidement.

Il vient de repérer un serpent – une vipère jararaca – se faufilant au sol. Les travailleurs de la ferme – Seuzé, Camarão et Doula – récoltent le cacao manuellement : à la machette, et… à dos d’âne. Les paniers d’osier, sur les flancs de l’animal, se remplissent petit à petit des fruits du cacaoyer.

« Il y a plus d’aventures ici dans la jungle que dans une ferme en monoculture », ajoute Diego en riant.

Diego Badaro, le propriétaire de la ferme, a fait le choix d’une filière du chocolat 100% organique, en plantant son cacao à l’ombre de la Forêt Atlantique.

« Les cultures intensives, elles, plantent des arbres porteurs d’ombre, et face à l’intensité des rotations, sont obligées de recourir à des fertilisants chimiques et pesticides », ajoute-t-il.

Diego a préféré former une alliance originale avec la forêt primaire. Le jeune cacaoyer redoute la brûlure du soleil, qui assèche le sol à son pied, et aime le sol meuble et riche en matières organiques de la forêt.

« Après l’épidémie du balai de la sorcière, retrace Diego, beaucoup de cultivateurs de cacao de la région ont mis le feu à leurs arbres, pour essayer d’endiguer la maladie, ou en finir avec le cacao et passer à d’autres cultures, ou au pâturage ».

Le « balai de la sorcière », c’est ainsi qu’on a appelé moniliophtora perniciosa, champignon endémique d’Amazonie, une spore infectieuse ayant ravagé les plantations de cacaoyers dans les années 1990.

Un coin de « Mata Atlântica », point chaud de biodiversité, qui couvrait toute la côte Atlantique avant l’arrivée des Portugais au XVIème siècle. – Crédit : Alexandre Habonneau

Crime environnemental ou maladie imprévue ?

C’est un épisode méconnu de l’histoire récente du Brésil. Bahia, alors l’une des plus grandes régions productrices de cacao dans le monde, se retrouva asphyxiée en quelques années, comme sous l’effet d’un chapiteau de cirque qui s’écroule.

Les fermes de João Bernardo Tavares par exemple, l’un des amis de Diego, rapportaient en moyenne 400 tonnes de fèves de cacao par an, avant la crise. En 1999, la production oscillait entre 30 et 60 tonnes.

D’après la CEPLAC – Commission Exécutive pour un Plan de la Culture du Cacao – plus de 200 000 travailleurs perdirent leur emploi, forcés de déménager en ville. D’autres s’endettèrent. Certains se suicidèrent.

« Ce fut une tragédie immense, confie Gonçalo, fonctionnaire du CEPLAC, et le pire, c’est que la maladie a sans doute été introduite intentionnellement, pour en finir avec le pouvoir des colonels du cacao. Selon moi, c’est un crime environnemental. »

L’origine de la maladie reste trouble: des agriculteurs ont retrouvé des cordes, contenant le champignon, entourées autour de pieds de cacao, et positionnées stratégiquement, pour que le vent dissémine la spore. Mais le crime n’a jamais pu être prouvé.

« J’avais 9 ans la première fois que j’ai réalisé que quelque chose clochait dans nos vies, se rappelle Diego. J’ai entendu ma grand-mère pleurer, dire à ma mère que nos amis coupaient les grands arbres protégés par la loi pour payer leurs factures. J’ai fait un câlin à ma grand- mère en lui demandant de ne pas couper mes arbres. J’étais certain que la forêt m’appartenait tout entière. »

Alors, en 2002, à l’âge de vingt ans, Diego décide de retourner à la terre de ses ancêtres, pour cultiver les fermes en quasi-abandon de sa mère et de ses oncles. Mais avec un autre modèle agricole, pour en finir avec le cercle vicieux des maladies et des intrants chimiques : cacao 100% organique, à l’ombre de la Mata Atlântica.

Dola et le fruit des dieux – Crédit : Alexandre Habonneau

« J’étais déjà convaincu que la forêt possédait ce pouvoir de résilience, se remémore Diego, si tant est qu’on fonctionne avec elle de manière cohérente, sans la traiter comme une force à dompter, et qu’on lui fasse confiance ».

Le plus dur restait de convaincre les travailleurs. Seuzé s’en rappelle très bien :

« On l’a regardé avec suspicion d’abord. Ce petit moufeton revient de la grande ville (Salvador de Bahia, ndlr), et il croit qu’il va nous réapprendre à cultiver le cacao, qu’on se disait ! On savait que les fertilisants étaient dangereux pour le sol et notre santé… mais c’était le seul moyen d’être productif, et puis tout le monde le faisait ! »

Doula et Seuzé en pleine récolte des cabosses ovoïdes du cacaoyer.
Crédit : Alexandre Habonneau

Le cacao, bien plus qu’une matière première

Diego divise alors son temps entre les fermes et l’Université de Salvador où il reprend des cours d’agroécologie.

« Petit à petit, relate-t-il, les travailleurs ont compris que les fertilisants tuaient la microfaune des sols, et que l’agriculture organique, bien que plus lente, était la seule solution à long terme pour rendre le cacao plus résilient, après cette décennie de maladie, et pour notre santé à tous ».

Diego s’engage alors à produire moins de cacao, mais de meilleure qualité. Il veut faire un cacao du terroir. Mais, en délaissant aux Européens le soin de le transformer en chocolat, et en ne s’en tenant qu’à la production de fèves, il ne peut pas participer à la renaissance socio-économique de sa terre natale, et ainsi protéger la forêt primaire et son incroyable biodiversité.

A Bahia, cacao et forêt suivent la même trajectoire entremêlée.

« J’ai alors créé ma marque, AMMA Chocolate, et acquis une usine de transformation à Salvador, enchaîne Diego. Pour moi, le cacao n’est pas qu’une matière première à destination du marché européen. Les grandes entreprises de sucreries s’en fichent, elles. De toute façon, les grains finiront fondus à haute température, mélangés à ceux d’autres fournisseurs. Il n’y a plus qu’à ajouter pleins de sucres, de graisses, et de préservateurs ! Un beau packaging, et le tour est joué ! Et après, les gens croient consommer du chocolat ! Le cacao, pour moi, n’est pas une marchandise qu’on spécule sur les marchés financiers. Le cacaoyer, c’est l’arbre de vie, c’est sacré. Je veux produire un cacao brésilien qui soit au chocolat ce que le raisin est au vin français, de la meilleure qualité ».

Les étapes de la production d’un chocolat premium suivent des étapes précises, de la récolte au broyage à chaud. Dans la forêt, les cacaoyers sont ornés de milliers de fleurs blanches minuscules, qui éclosent toute l’année. Sur environ cinq cents fleurs, une seule donne un fruit, d’abord vert, puis mûrissant du jaune au rouge orangé.

Une fois les cabosses détachées, elles sont déchargées en pile. Elles resteront ainsi cinq à sept jours, le temps pour les sucres de se concentrer et l’humidité de diminuer. Une fois fendues en deux, elles recèlent de fèves entourées d’une pulpe blanchâtre, légèrement acidulée.

Ces fèves ressemblent à de grosses amandes, au goût amer, à la peau violette. Elles sont entreposées dans des cuves en bois, recouvertes de feuilles de bananiers, pendant une semaine, le temps de la fermentation. Ce processus réduit l’amertume et l’astringence des fèves.

Les fèves de cacao une fois fermentées et séchées, matière première pour le chocolat.
Crédit : Alexandre Habonneau

Puis, elles sècheront entre dix à quinze jours, avant d’être envoyées par sacs de 50kg à l’usine, où elles subiront leurs dernières métamorphoses – nettoyage, torréfaction, concassage et broyage à chaud – avant de recevoir le nom de « chocolat ».

Bahia, terre de cacao, est aussi une des plus pauvres régions du Brésil – avec des taux d’analphabétisme et de mortalité infantile parmi les plus élevés du pays. Les trois quarts de sa population – 15 millions, sur une superficie équivalente à celle de la France – sont d’ascendance africaine (ou quilombos, anciens esclaves ayant fui les plantations).

Au XIXème siècle, « les aventuriers y affluaient en quête de la richesse du monde », écrit Jorge Amado, le grand écrivain bahianais, dans son livre Les Terres du bout du monde.

C’est à cette époque que débarqua Antonio Badaro, un émigré sicilien. Deux de ses enfants – Juca et Sinhô Badaro – deviendront les personnages du roman de Jorge Amado, « gens sans foi ni loi, rebelles à tout ordre ». Surnommés les « colonels du cacao », ces propriétaires terriens mèneront de féroces guerres de territoire, rendant le fleuve « rouge du sang des cadavres », écrit Jorge Amado. Leurs descendants deviendront de puissants notaires, maires ou commerçants…

Diego Badaro est l’arrière-arrière-petit-fils d’Antonio Badaro. « Je suis le Badaro qui est revenu à la terre », conclut-il en souriant.

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