Dans la vallée de la Dordogne, un couple courageux a fait fi de l’incompréhension de son entourage empêtré dans l’agriculture conventionnelle. Les Bouscarel ont transformé l’exploitation familiale de 35ha en une magnifique ferme en polyculture-élevage prenant soin des écosystèmes. Grâce à leur travail, de nombreuses espèces ont refait leur apparition.
L’évolution de l’agriculture en France
Près du village de Creysse en Quercy, il faut d’abord emprunter une route étroite de campagne qui semble ne mener nulle part. Puis peu à peu, nichée dans la vallée de la Dordogne, la ferme Bouscarel apparaît aux yeux émerveillés des visiteurs.
D’abord, des brebis caussenardes et une ânesse qui paissent paisiblement sous les noyers, puis des chèvres et des volailles curieuses qui gravitent entre les hangars et le verger. Tout autour, des champs de légumes, de blé, de maïs, de tournesol, de féveroles, de grand épeautre ou de maïs, et des vignes bien sûr.
La Ferme des Bouscarel a beau être dans la famille depuis plusieurs générations, elle n’a pas toujours ressemblé à ça. L’histoire de la ferme raconte le dur labeur des paysans d’antan. D’abord, le grand-père qui a dû travailler très jeune avec sa sœur, à la mort de leur père, avec seulement une paire de vaches (moins costaudes que des bœufs) pour les aider. Il a fait partie des résistants dans le maquis lors de la seconde guerre mondiale.
A son retour de la guerre, il faut produire pour reconstruire la France. La ferme Bouscarel, comme tant d’autres poussées par le plan Marshall et l’agroindustrie, va se mécaniser. Le grand-père Bouscarel fait le choix d’élever 70 vaches à l’engraissement. Il évite la faillite de peu dans les années 80 lorsque le cours de la vache s’effondre. Pour relever la ferme, les parents de Clément décident de gaver des oies, 20 ans durant, cultiver du maïs et planter de nombreux noyers. Le père de Clément cumulait un poste de commercial dans une petite coopérative agricole pour être autonomes sur les ventes.
Alors, quand Clément et sa compagne Alice décident de reprendre le flambeau en 2016, pas question pour eux de reproduire le même schéma.
« On a fait le choix de se diversifier un maximum pour ne pas dépendre d’une filière et d’impacter le moins possible le milieu, d’être à l’équilibre le plus possible avec le Vivant autour » raconte Clément Bouscarel pour La Relève et La Peste
Comme modèle : la ferme de son grand-oncle et sa grande tante dans laquelle Clément allait parfois en vacances enfant. « Là-bas, le temps s’est arrêté en 1960. C’était une ferme où il y avait tout. Ils ne parlaient même pas français » se remémore le paysan.
De l’agroindustrie à l’agroécologie
Clément a un avantage de taille, ce conteur occitan attaché à l’oralité a « passé toute ma première partie de vie à écouter les anciens, comment c’était avant ». Pas question d’être passéiste, mais découvrir où était plantée la vigne, quels prés au bord du ruisseau sont inondables, s’il est possible d’y planter du maïs et des noyers ou non.
« Bref, de connaître vraiment le sol et son histoire. On l’oublie tout le temps alors que le socle, la base de tout, c’est le sol » précise Clément Bouscarel pour La Relève et La Peste
Passer d’une exploitation agricole à une ferme en polyculture-élevage de 35 ha ne se fait pas en un claquement de doigts. Clément et Alice ont donc franchi plusieurs étapes pour y parvenir. Arrêter le maïs, remplacer le canard par le poulet puis en finir avec les trop gros cheptels de volailles pour créer une jolie bergerie, replanter des haies, creuser des mares, diversifier les cultures en ajoutant du blé, du seigle, de l’avoine et de la féverole, planter une vigne, etc.
« L’un des plus gros points de tension avec son père : arracher une rangée sur deux de noyers dont la densification stérilisait les sols. Alors que son père avait replanté des noyers juste avant notre reprise de la ferme » raconte Alice Bouscarel pour La Relève et La Peste. Une décision à contre-courant d’un territoire marqué par les noyeraies omniprésentes.
« Pendant des années, j’ai été guide de randonnée. Je disais aux gens qui venaient visiter mon pays de paysans : voyez, ça, c’est un désert de noyers. A cause de la juglone présente dans leurs feuilles, les noyers ont l’allélopathie, ce phénomène de désherber. La plupart des plantes ne peuvent pas pousser s’il y a une concentration de noyers » détaille Clément
Pour le couple de paysans, la spécialisation est donc une catastrophe environnementale en plus de soumettre les agriculteurs aux fluctuations du marché et de les emprisonner dans des dettes énormes, sans bouée de secours. En diversifiant les activités de la ferme, Clément et Alice lui assurent une résilience économique et agricole selon les aléas météorologiques qu’ils essuient.
« Je dis souvent dans mes spectacles que l’exploitant agricole, c’est être spécialisé pour travailler contre. Le paysan, c’est être diversifié pour vivre avec »
Un point qu’ils n’ont pas encore réussi à résoudre : se passer totalement du labour sur les grandes cultures. Alors, pour épargner le plus possible la vie du sol, ils font des rotations de cultures pour ne pas labourer tous les ans, et labourent sur une faible profondeur.
« On revoit quand même de la vie dans le sol. Quand on a repris la ferme, il n’y avait rien. Aujourd’hui, on voit des bêtes et des vers qu’il n’y avait pas 4 ou 5 ans auparavant » sourit Alice
Pour se passer des herbicides et du sarclage manuel si laborieux, Clément et son père ont conçu une machine adaptée à leurs besoins, et une autre leur permettant de buter le maïs. En effet, malgré l’inquiétude du père de Clément, ce dernier a accueilli ces nouveaux défis techniques avec curiosité et une joie renouvelée. Alice et Clément sont tout à fait conscients que si les parents de Clément ne s’étaient pas accrochés pour maintenir la ferme au sein de leur famille, ils n’auraient jamais eu la possibilité de mener ce mode de vie en accord avec le Vivant.
Un mode de vie régénérant le Vivant
Pour autant, le travail à la ferme reste besogneux et engageant avec du travail toute l’année durant. Pas question de prendre cinq semaines de congés par an et les escapades avec les enfants les weekends sont bien trop rares. Dès le début, Alice et Clément ont choisi ce sacerdoce en conscience.
« Paysan et paysanne, ce n’est pas un projet de carrière mais un mode de vie » expliquent-ils.
Un choix de vie qui a provoqué l’inquiétude des parents de Clément, bien conscients du travail que cela demande, et le soutien de ceux d’Alice, qui ne viennent pas du monde agricole.
« J’ai suivi Clément quand il l’a proposé. J’aimais bien son mode de vie, de savoir qu’on pourrait manger nos propres produits. On est autosuffisant au niveau alimentaire, quasiment. C’était très important pour moi. Tu crées quelque chose et tu te nourris avec cela donne une certaine fierté. Tout ce qu’on fait, c’est nous qui l’avons préparé. C’est notre arche de vie, en fait » raconte Alice pour La Relève et La Peste
L’un des plus grands bonheurs du couple, c’est de voir à présent leurs deux enfants gagner en autonomie pour ramasser les œufs et sortir les chèvres. Malgré le dur labeur, ce sont des moments empreints de poésie qui nourrissent Clément au quotidien.
« Mes moments de bonheur, c’est voir plein de gens dans la vigne qui vendangent. Mon troupeau de brebis. Voir Alice et les enfants rentrer les chèvres. Des petits moments comme ça. Observer le retour des guêpiers d’Europe (oiseau menacé, ndlr) et des hirondelles. Celui des lièvres et des grenouilles. Des petits moments simples, mais plein de vie. De revoir la vie, en fait, sur la ferme » confie-t-il avec émotion
Et pour le paysan conteur et Alice, pas question de fonctionner en vase clos. La ferme Bouscarel est un lieu qui propose de nombreux spectacles chaque été et accueille des voyageurs de passage, l’occasion de se raconter le monde en poésie et contes.
D’un labeur familial à une dynamique collective
S’ils avaient voulu se concentrer uniquement sur l’autonomie alimentaire, Clément et Alice auraient gardé seulement trois hectares de culture. Mais la vocation de paysan est d’abord de nourrir les populations. Surtout, d’un fonctionnement familial, deux événements ont ouvert la ferme à une dynamique plus collective.
D’abord, le confinement lié au COVID-19 où de nombreux voisins se sont tournés vers eux pour s’approvisionner en œufs, fromages, jus de pomme, etc. Tant et si bien qu’Alice et Clément ont décidé d’ouvrir « La petite boutique du Rouquet » : une pièce où les produits de la ferme sont en vente libre, en plus d’organiser des marchés une fois par mois.
Puis, une année, la maladie de la langue bleue a décimé les agneaux et quelques brebis du troupeau. En plus du woofeur présent à cette période, des voisins sont venus aider pour que Clément n’ait pas à chercher seul les cadavres tous les matins. Pour les remercier et leur donner une forme de rémunération, Alice a eu une idée : créer le collectif des Granettes, ce qui veut dire petites graines en occitan. Un service d’échange libre alliant troc et création d’une monnaie ultra-locale, la Granette.
« Une heure vaut 60 granettes et on a instauré tous ensemble un tableau de valeur sur chaque produit de la ferme : un demi-agneau, un demi-cochon, jus de pomme, des œufs, du fromage, du lait, ce dont ils ont besoin. Et chaque membre peut faire appel au collectif quand il a besoin d’un coup de main, par exemple pour un chantier bois ou pour aider David le boulanger à faire chauffer son four »
Le temps donné à aider quelqu’un peut ainsi se rendre en coup de main ou en produit, y compris en pinte au bar local avec la présence de Fi, la barmaid du village. Aujourd’hui, 12 personnes font partie de ce collectif informel. Les besoins en graines et matériel pour le collectif sont financés par un marché de Noël annuel avec les produits de la ferme.
« Plus je l’entendais parler du projet, et plus je me suis dit que je voulais participer à une dynamique collective comme celle-ci depuis toujours, explique Lucas, un vigneron membre du collectif. « Les Granettes » répond à un besoin de communautarisme. Travailler individuellement sur de gros outils de travail comme une ferme peut être épuisant, avec 15h de travail par jour entre juin et octobre. Faire appel à la communauté permet de garder le feu de la passion et rend le travail plus rapide, tout en étant joyeux et divertissant. La tâche la plus lourde devient la plus légère possible. »
Grâce à son expertise en biodynamie, Lucas organise régulièrement des chantiers rondement menés pour prendre soin des vignes de Clément. En échange, le paysan conteur lui prête un local sur la ferme qui lui a permis de lancer sa micro-brasserie.
Basée sur une communication honnête et franche, sans agressivité aucune, la dynamique des Granettes est l’incarnation collective des valeurs portées par Alice et Clément. Un dévouement à la Terre et au Vivant dont le quotidien est guidé par le « bon sens paysan ».
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