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Ce chercheur aide les peuples autochtones péruviens à garder le lien avec leurs plantes médicinales

Fernando et son équipe ont voulu « faire le contraire que ce que fait la biopiraterie. Donner du pouvoir aux communautés qui ont fait énormément dans le développement de différents types de produits bénéficiant à tous »

A l’occasion du 3ème colloque sur les PPAM (plantes à parfum aromatiques et médicinales) en Biovallée (Drôme) du 14 et 15 Mars, nous avons interviewé Fernando Mendive. Biochimiste et docteur en biologie moléculaire en Amérique Latine, il établit le dialogue entre les savoirs ancestraux des peuples autochtones de la jungle péruvienne et les connaissances modernes.

La Bioprospection Interculturelle

L’Amazonie représente 60 % du territoire péruvien, soit 750 000 km2 et accueille 65 ethnies.  Ce sont 1028 espèces de plantes médicinales identifiées à partir de savoirs traditionnels dont 138 commercialisées localement. 7000 d’entre eux sont par ailleurs enregistrés chez 95 communautés indigènes associées à l’usage de ressources biologiques, principalement des plantes.

Pendant 14 ans, Fernando a occupé le poste de directeur du Laboratoire Takiwasi spécialisé dans le développement et la production de produits phyto-thérapeutiques à partir de plantes médicinales. Il a constaté un énorme fossé entre, d’un côté, l’immense diversité des plantes médicinales, la richesse des concepts et les techniques de santé de la médecine amazonienne et, de l’autre, la réalité précaire et informelle de la production agricole et de l’utilisation forestière de ces plantes.

C’est dans ce contexte, qu’il a conçu et mis en œuvre la méthodologie appelée « bioprospection interculturelle ». Il oriente ainsi son travail dans la création d’alliances publiques et privées (agences gouvernementales, coopération internationale, ONG) pour la mise en lien autour des ressources et la mise en œuvre de chaînes de production de plantes médicinales avec une dimension sociale et environnementale.

Fernando Mendive avec deux hommes Kichwa

Fernando Mendive avec deux hommes dirigeants Awajun lors de la cérémonie de remise des titres sur les savoirs traditionnels à la communauté autochtone Awajun Alto Mayo par les autorités de l’Office de la propriété intellectuelle et le ministère de la Culture du Pérou

Il a travaillé, entre autres, dans la région de San Martin où il a collaboré notamment avec les Quechuas des provinces Huallaga et El Dorado sur l’utilisation durable de Griffe de chat (CDG), une vigne grimpante immunostimulante, anti-inflammatoire ayant un pouvoir antioxydant.

« Il y a une énorme motivation des peuples autochtones pour travailler avec les plantes médicinales. Elles jouent un rôle majeur dans la compréhension de leur identité, notamment par le biais de leur usage. Ils se sont rapprochés de l’institution pour demander un coup de main pour pouvoir profiter de façon économique et durable des plantes médicinales qu’ils récoltaient sur leur territoire. » 

Selon Fernando, les caractéristiques essentielles qui ont permis à ce projet de voir le jour sont la motivation et la vision des personnes leaders autochtones ainsi que l’intérêt des agences de coopération internationale à valider la possibilité pour une communauté d’exploiter commercialement et durablement ses ressources. Cela pour contribuer à la conservation de son territoire.

Les difficultés qui ont été rencontrées tiennent pour partie au manque d’expérience, notamment de ceux qui ont eu la responsabilité de s’occuper du processus administratif et technique pour autoriser par exemple l’utilisation de Griffe de chat dans une forêt primaire. 

« Je suis rentré en contact avec presque une demie douzaine de manageurs dans la région de San Martin pour le dispositif de GDC. Les démarches administratives ne sont pas adaptées aux besoins des entreprises, des communautés et des paysans. » 

Un homme Kichwa en pleine cueillette de Griffe de Chat

Un homme Kichwa en pleine cueillette de Griffe de Chat dans la jungle péruvienne – Crédit : SERFOR

Le lien fait la force 

L’utilisation durable de Griffe de chat a démarré grâce à la création en 2010 d’une fédération de communautés autochtones (FEKIHD) du peuple Kichwa regroupant, pour n’en citer que quelques-unes, les Kawana Sisa, les Chirik Sacha, les Ischichiwi qui cherchaient à protéger leurs territoires ainsi que leurs ressources par le biais d’activités économiques durables.

Ce qui a été rendu possible par le soutien de l’État mais aussi des agences de coopération internationales qui travaillaient déjà dans la région (Allemagne et Suisse). Pour se mettre en place, la filière a organisé un colloque avec les médecins qui utilisent la Griffe de chat et les chefs des différentes communautés. L’idée était d’aller visiter les paysans agricoles avec tous les acteurs de la filière. Une entreprise belge-péruvienne était aussi présente. 

« Elle était prête à payer un prix beaucoup plus élevé que celui du marché pour avoir la traçabilité et la garantie de l’usage durable et l’aspect socio-culturel du lien entre eux et la communauté. Avec nous, le laboratoire, comme intermédiaire pour faciliter. Pour ce qui est de l’aspect socio-culturel, elle croyait à la synergie entre les humains et les non-humains et voulait que son activité aide à garder ce rapport que les indigènes ont, mais qu’ils sont en train de perdre surtout en Amazonie. » 

Préparation du lit de semences par les femmes Awajun de la communauté autochtone Shampuyacu

Les agences de conservation ont beaucoup investi dans la mise en marche de la filière. La communauté, elle, produisait les matières premières et le laboratoire Takiwasi faisait de l’accompagnement. Venaient ensuite, les lieux de distribution et les consommateurs eux-mêmes, il n’y avait pas plus d’intermédiaires. Pour Fernando, la problématique de récupération des savoirs ancestraux ne venait pas tant du laboratoire car : 

« On avait un contrôle sur tous les échelons. Depuis les semences, jusqu’à la fin. Puis notre priorité était la redistribution du bénéfice économique pour chacun des échelons engagés, on y a mis beaucoup d’énergie »

Selon lui la question d’une consommation sociale, environnementale et économique de produits PPAM de qualité se trouve du côté des consommateurs : 

« Toutes les entreprises qui vendent des produits essayent de montrer aux consommateurs comme ils font bien leur travail environnemental, sociétal et économique mais tu ne sais jamais si c’est vrai ou faux. Il y a des personnes qui comptent sur les labels mais moi je n’y crois pas trop, les labels c’est quelque chose mais dans mon cas en tant que consommateur, cela ne me suffit pas. »

Même si la filière de Fernando n’a pas vendu qu’en circuit-court, elle est pour lui la solution pour que les PPAM soit produites et écoulées de la façon la plus respectueuse de l’environnement tout en prenant en compte les paysans agricoles et leurs savoirs.

« Je suis d’accord qu’il faut de plus en plus réduire la taille des échanges si l’on est vraiment concernés par l’impact de notre consommation sur ces trois différents niveaux (sociétal, économique et environnemental). Il faut absolument être à coté de celui qui produit. Si pour toi la seule chose qui te concerne, c’est l’argent alors tu achètes le moins cher et risques très fortement d’avoir un énorme impact négatif sur l’environnement mais aussi sur l’aspect social concernant les producteurs. » 

Des femmes Kichwa autour de produits qu’elles ont réalisé avec la Griffe de Chat – Crédit : SERFOR

Protéger ces savoirs des grands lobbies pharmaceutiques 

Le protocole de Nagoya signé par la plupart des pays à l’international permet d’éviter que les lobbies ou autres entreprises s’approprient les savoirs traditionnels ainsi que les ressources génétiques.

« Par exemple la MACA péruvienne, une tubercule, vient aussi de Bolivie mais c’est une plante qui a été reproduite en Chine. Maintenant, c’est interdit. C’est un gros problème des dérives qui se passent partout dans le monde. Le Pérou est un des premiers pays qui a développé toute la législation pour protéger ses ressources génétiques. »

La ressource génétique est un terme du protocole de Nagoya qui définit tous les organismes vivants propre à chaque pays. Cela peut être une plante, une bactérie, un champignon, un insecte ou encore un animal. Le Pérou est un pays pionnier dans le développement de cette législation.

« La loi de protection des savoirs traditionnels collectifs des peuples autochtones péruviens a plus de 20 ans. Elle établit l’obligation de n’importe quelle personne qui a accès à un savoir traditionnel avec un but lucratif de signer un papier pour qu’elle reçoive l’autorisation du peuple autochtone avant son utilisation »

Séchage de feuilles de Clavo Huasca par des femmes Awajun de la communauté autochtone Shampuyacu

Rentrer dans l’intimité des savoirs traditionnels, c’est apprendre à les connaître de façon organique et holistique comme le font lesdits peuples autochtones.  Après seulement, il est possible de trouver une application économique et commerciale qui nécessite de signer un contrat et d’établir la manière dont seront distribués les bénéfices économiques potentiels dérivés de ces connaissances.

Un autre aspect de la loi est la création d’une base de données où l’État péruvien réunit tous les savoirs ancestraux depuis 2005. 7000 connaissances traditionnelles y sont enregistrées. Ce bureau de la propriété intellectuelle par le biais de « la commission nationale de lutte contre la biopiraterie » permet de bloquer un processus s’il n’est pas breveté. Malheureusement, cette loi ne marche pas encore sur l’aspect distribution des bénéfices à cause des difficultés pour élaborer un décret d´application adéquate. 

Fernando et son équipe ont voulu « faire le contraire que ce que fait la biopiraterie. Donner du pouvoir aux communautés qui ont fait énormément dans le développement de différents types de produits bénéficiant à tous ».  

Ainsi, la bioprospection interculturelle pose l’hypothèse de la complémentarité de savoirs émanant de deux cultures. C’est une fenêtre pour comprendre et incorporer de nouvelles et anciennes manières de se lier plus respectueusement avec les êtres humains et non-humains.

Liza Tourman

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