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Canicule : l’urgence de transformer l’agriculture française face aux pertes

« Il va falloir flécher l’eau sur le maraîchage et l’arboriculture, et limiter l’irrigation du maïs dans le Sud-Ouest, » prévient Philippe Pointereau. « Sachant que le maïs sert avant tout à nourrir les volailles et les porcs, il suffirait comme le propose le scénario Afterres2050 de réduire notre consommation de viande porcine et volaille pour pallier à cette baisse de production du maïs »

Déjà fortement éprouvée par une première vague de chaleur en juin qui avait causé d'importants dégâts dans les champs, l’agriculture française subit un nouvel épisode caniculaire. Avec des températures dépassant les 40°C, ces vagues de chaleur à répétition invitent à repenser de toute urgence notre système alimentaire.

Des records de chaleur

Nous venons de vivre la 51ème vague de chaleur en France depuis 1947, et la deuxième de l’année 2025 après la canicule écrasante de la fin juin. Les températures ont atteint plus de 40°C dans certaines régions du pays. Un nouveau record absolu de chaleur a été établi à Bordeaux, avec 41,6°C enregistrés, un peu plus que les 41,2°C recensés le 23 juillet 2019.

« C’est indescriptible ce qu’il s’est passé en France. En ce 11 août 2025, la climatologie du sud-ouest a basculé : 81 records battus, dont 51 records absolus, avec des températures frôlant les 42°C » alerte l’agroclimatologue Serge Zaka sur LinkedIn.

Cette canicule est moins étendue qu’en 2003, où tout le pays avait été touché avec neufs jours consécutifs à plus de 35°C. En août 2025, c’est principalement la moitié sud du pays qui a étouffé. En France, il y a eu deux fois plus de canicules depuis 2010, qu’entre 1950 et 2010.

Avec le dérèglement climatique, ces épisodes caniculaires à répétition risquent de devenir habituels. Or, pour affronter ces températures suffocantes, nous ne pouvons pas compter sur l’eau. « On n’a jamais eu autant de restriction d’usage de l’eau souterraine et de vigilance. Plus de 50% du territoire est affecté par des arrêtés sécheresse en nappe : du jamais vu depuis le début du suivi en 2012 », alerte l’hydrogéologue Florence Habets.

En cause : un déficit de précipitations durant l’hiver et le printemps, principales périodes de recharge des nappes, mais aussi les températures élevées, qui conduisent à plus d’évapotranspiration, et donc moins de recharge des nappes.

Selon le service Vigie Eau du gouvernement, 34 départements sont en situation de crise liée à la sécheresse et 15 départements en alerte renforcée. Dans les départements en crise, « les prélèvements agricoles sont interdits ». Cette prohibition d’irrigation met les agriculteurs en difficulté alors que les cultures sont déjà rudement éprouvées par les fortes chaleurs.

Les conséquences sur l’agriculture française 

Pour l’instant, la France n’est pas dans une situation de manque d’eau et de sécheresse aussi terrible qu’au Maroc, Turquie, la Syrie ou encore Pakistan. En 2003, avec la vague de chaleur ayant duré un peu moins de 15 jours, le rendement agricole s’est effondré de plus de 25% en France, toutes productions confondues. En 2025, ceux sont les cultures d’été comme le maïs qui vont être pénalisées notamment dans le sud-ouest où les agriculteurs français craignent le pire.

Pour cause, alors qu’à 38 °C, certains végétaux sont en phase de « résistance », au-delà de 40 °C, on entre dans un seuil de « stress thermique fort » qui entraîne des dégâts. « Ainsi, un noisetier ou un blé arrête sa croissance quand il fait 35 °C. Un olivier la stoppe plutôt au bout de 42 °C », explique l’agroclimatologue Serge Zaka pour 20minutes.

Autres conséquences : des défoliations pour un arbre, des brûlures qui apparaissent sur les fruits, la possibilité d’avortement floral pour tous les légumes du potager. Les fleurs peuvent tomber en deux ou trois jours à cause des fortes températures, empêchant tout fruit de croître.

Surtout, l’évapotranspiration a été exceptionnellement haute, laissant craindre un potentiel « effet sèche cheveux », notamment sur les végétaux du Centre-Ouest. « La tendance flagrante du changement climatique se traduit par une augmentation moyenne des températures et donc de l’évapotranspiration », décrypte Philippe Pointereau, président de la fondation Terre de Liens pour La Relève et La Peste.

L’évapotranspiration désigne le processus par lequel l’eau liquide terrestre (issue des végétaux et des sols) est renvoyée dans l’atmosphère environnant sous forme gazeuse. En France, elle a augmenté de 17 % depuis 1970 (chiffres du Cerema, 2023).

« D’ici 2050, les prévisions estiment qu’on va avoir une augmentation de l’évapotranspiration entre +50 et +100mm par an », précise Philippe Pointereau. « On manque encore de données sur l’évolution de la pluviométrie. Mais ce qui est sûr, c’est que l’augmentation de l’évapotranspiration provoque un manque d’eau qui va aggraver la diminution du niveau des fleuves et rivières en période d’étiage, période où l’on a justement besoin d’eau pour irriguer »  

Au cours des années à venir, la baisse de la production agricole est inéluctable. En cause : le dérèglement climatique couplé à l’extermination des pollinisateurs. L’arboriculture et le maraîchage sont les premières à en souffrir, mais toutes les cultures sont impactées d’une façon ou d’une autre.

« La rupture s’est faite dans les années 1995, on avait une croissance quasi linéaire des rendements agricoles notamment grâce au développement de l’irrigation », rappelle Philippe Pointereau. « Désormais, on est sur une diminution de 0,85 quintal /ha/an pour le blé[1]. Tandis que pour l’orge, le maïs et le colza, on est sur une augmentation de rendement qui a été divisée par dix : cela veut dire qu’on s’approche du zéro. »

Un climat plus chaud a déjà de forts impacts sur des productions patrimoniales, comme la viticulture. Les plus fortes températures créent des vins qui plus sucrés et plus alcoolisés[2], à tel point qu’il est désormais autorisé d’enlever des degrés d’alcool. Pour y faire face, les vendanges se font plus tôt, et souvent la nuit pour abaisser la température du raisin avec des température de fermentation qui doivent s’opérer entre 16 et 18°C, mais aussi éviter l’oxydation du raisin. Dans le Languedoc, de plus en plus de vignes sont irriguées.

« Cela remet en cause tout le principe des AOP avec parcelles et cépages identifiés », pointe Philippe Pointereau pour La Relève et La Peste. « Le changement climatique vient complètement bousculer cette règle car le terroir bouge à cause du climat. Les vignerons recherchent des nouveaux cépages plus résistants à la sécheresse, mais cela veut dire que ce ne seront plus les mêmes vins. »

Et le fourrage des animaux d’élevage devient tout aussi problématique, en prouve la canicule renforcée dans le Cantal « qui est censé être un château d’eau ». Il y a moins d’herbe en été, mais plus au printemps et à l’automne. Alors que la première vague de chaleur de juin a grillé la plus grande partie des prairies, les agriculteurs doivent déjà puiser dans leurs réserves du printemps, ce qui posera des difficultés pour nourrir leur bétail cet hiver.

« Il faut gérer différemment les pâturages pour avoir des stocks de fourrage plus importants pour l’été. De plus la sécheresse peut poser des problèmes d’abreuvement des animaux en estive avec le tarissement des sources, les éleveurs sont alors obligés de monter de l’eau… », alerte Philippe Pointereau.

Les fortes chaleurs ont également un impact sur la production de lait et de viande, à cause du stress thermique que subissent les animaux.

Résultat, les sécheresses et les fortes chaleurs coûtent 28 milliards d’euros par an à l’agriculture de l’UE, selon une étude de la Commission européenne. Alors que ce montant représente déjà 6 % de la production agricole européenne, il passera à 10 % d’ici à 2050. Plus inquiétant encore pour les agriculteurs européens : 70 % de leurs pertes causées par les canicules ne sont pas assurées.

Végétaliser pour moins irriguer

En étant la première impactée par le dérèglement climatique, l’agriculture a un rôle majeur à jouer parce qu’elle émet plus de 20% des émissions de gaz à effet de serre, et notre système alimentaire plus de 30%.

« Or, après 20250, les vagues de chaleur ne vont pas durer 15 jours, elles vont durer entre 1 à 3 mois, avec 3 ou 4°C de plus », prévient Philippe Pointereau. « On en est au stade aujourd’hui où il faudrait laisser les énergies fossiles sous terre. La chance aujourd’hui, c’est que l’agriculteur peut produire son énergie à partir des énergies renouvelables comme le photovoltaïque, le biogaz, ou le bois-énergie».

Agronome et co-fondateur de Solagro, Philippe Pointereau a participé à l’élaboration du scénario Afterres2050, un scénario de prospective agricole et alimentaire. Il est plus que jamais d’actualité.

« Il va falloir flécher l’eau sur le maraîchage et l’arboriculture, et limiter l’irrigation du maïs dans le Sud-Ouest[3] » prévient Philippe Pointereau. « Sachant que le maïs sert avant tout à nourrir les volailles et les porcs, il suffirait comme le propose le scénario Afterres2050 de réduire notre consommation de viande porcine et volaille pour pallier à cette baisse de production du maïs »

En allant vers un régime bio et végétal, en relocalisant l’agriculture, on pourrait réduire de 25% l’empreinte de surface agricole pour se nourrir, selon le scénario Afterres2050.

« Cela est également en phase avec au plan national nutrition santé, qui devrait s’appliquer à tout le monde et dit qu’il faudrait consommer moins de 2 produits laitiers par jour contre 3 auparavant , et qu’il faut limiter sa consommation de viande en ne dépassant pas  500g de viande rouge par semaine et 150 g de charcuterie », rappelle Philippe Pointereau.

« Quand on bouge ce régime, on répond à toutes les attentes de santé humaine et environnementale. On diminue le nombre de cancers, de maladies cardiovasculaires et de diabète de type 2, on fait ainsi des économies sur le coût de ces maladies chroniques qui sont pris en charge intégralement par l’Assurance maladie », rappelle-t-il. Le coût de ces maladies chroniques augmente d’environ 5 milliards d’euros par an.

Surtout, cette transition ne sera pas possible tant que les agriculteurs français seront soumis à une concurrence déloyale permise par les traités de libre-échange, qui laissent circuler dans le pays des denrées alimentaires contaminées par des pesticides ou du soja OGM dont la culture est interdite en France.

« Ce qu’il faut, c’est soutenir les filières les plus menacées par la concurrence mondiale comme les fruits et légumes. En effet, le coût de la main-d’œuvre française n’est pas concurrentiel par rapport au Maroc ou à l’Espagne », avertit Philippe. « Il faut donc que le consommateur accepte de mettre plus d’argent dans sa nourriture : légumes, fruits, viande, produits laitiers. »

Cette différence se jouerait autour de 2 à 3 euros par jour en plus pour s’alimenter. « Pour 70% de la population, c’est possible vu tous les avantages en terme de santé, paysage, et environnement » précise l’agronome.

Quant aux 11 millions de personnes en situation de précarité, soit 17% de la population française, « il faut des politiques publiques cohérentes, faire payer en fonction des revenus des familles dans les cantines, instaurer la Sécurité Sociale de l’Alimentation, soutenir les épiceries solidaires et les coopératives de consommateur » énumère Philippe.

« Le libre-échange, ce n’est pas là qu’il faut aller. En relocalisant et maintenant les exploitations agricoles, on peut être gagnant en terme de santé publique, d’enjeu agricole, et de dépollution, surtout quand on voit la gravité de la pollution de l’eau aux PFAS », conclut l’agronome Philippe Pointereau.

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[1] Comparaison entre la période 1955 – 1995  et 1996-2024

[2]  Dans le Sud-Ouest, les vins sont passés en 15 ans de 11 degrés à 13 à 14 aujourd’hui

[3] La différence moyenne de rendement entre un maïs grain irrigué et sec est de 35 quintaux, soit une augmentation de 51%

Laurie Debove

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