Dans la commune de Moult, à quelques kilomètres de Caen, une saga juridique semble commencer. Elle oppose des habitants et des associations locales au géant du e-commerce, Amazon, qui a débuté les travaux pour installer un entrepôt de 8 000 mètres carré sur la zone industrielle de la commune. Cet exemple est typique de la nouvelle stratégie d’implantation d’Amazon en France. Consciente des reproches environnementaux et sociétaux qui lui sont régulièrement faits, la multinationale américaine avance à visage masqué dans l’Hexagone. C’est donc par la presse que la population a appris l’existence de ce projet. Constitués en collectif, ils ont envoyé un recours gracieux à la mairie pour demander l’annulation du permis de construire, et sont déterminés à aller jusqu’au bout des procédures juridiques.
Une implantation dissimulée
Début février, c’est la stupeur pour certains habitants et élus de la périphérie de Caen. Ouest France révèle dans ses colonnes que la multinationale Amazon prévoit de construire « une agence du dernier kilomètre » sur la commune de Moult. Ce qui correspond à un entrepôt de 8 000 mètres carré bâti sur une friche industrielle.
Une grande partie de la population était pourtant vigilante à ce type d’implantation. En 2019, un projet similaire devait voir le jour à Mondeville, une ville voisine. Mais l’opposition de la population et de tous les élus de la communauté urbaine Caen-la-Mer avait eu raison des desseins du géant du commerce en ligne. Cette fois-ci, le projet est pleinement assumé par Coralie Arruego, la maire de Moult-Chicheboville.
« La presse a découvert le pot-aux-roses début février, mais la mairie a dit qu’elle ne voulait pas débattre sur le sujet avant le 11 mars, tant que les recours seraient encore possibles. C’est une conception de la démocratie assez curieuse, même des élus municipaux n’étaient pas au courant ! Connus pour notre précédente victoire, nous avons été contacté par des habitants de la commune qui s’opposent au projet. » raconte David Frantz, membre du Collectif Stop Amazon 14 et d’Attac 14, pour La Relève et La Peste
Les habitants ont donc dû s’organiser rapidement. En une dizaine de jours, une pétition électronique a été lancée et le collectif Stop Amazon 14, composé des associations Attac14, Alternatiba, Unis pour le climat, XR et de citoyens, s’est constitué pour déposer un recours gracieux en mairie de Moult afin de réclamer le retrait du permis de construire. Le recours n’est pas suspensif pour les travaux.
Au bout des deux mois annoncés, la maire Coralie Arruego a justifié sa décision par le fait qu’elle ne pouvait pas s’opposer à un dossier respectant toute les demandes administratives et que la SCI Nora, en charge du projet, n’avait « jamais caché qu’elle travaillait pour Amazon ». Elle a également pointé du doigt les consommateurs qui contribuent à alimenter cette activité.
« Un maire peut refuser un permis s’il considère que le dossier n’est pas complet ou légal. Or, ce permis n’est pas légal, comme souvent avec Amazon. Lorsque les entrepôts Amazon dépassent les 50 000m3, ils doivent obtenir une autorisation au titre des installations classées pour la protection de l’environnement dite ICPE, notamment en cas d’incendie. Ce qu’on observe, c’est qu’Amazon se passe régulièrement de cette autorisation et c’était le cas pour celui-ci. On a estimé à 63 000m3 la taille de cet entrepôt alors que c’est l’un des plus petits ! C’est pour ça qu’ils l’appellent une agence du dernier kilomètre. » explique Chloé Gerbier, juriste chez Notre Affaire à Tous, l’association qui accompagne les citoyens dans leur démarche, pour La Relève et La Peste
Les riverains situés juste à côté du site sont particulièrement inquiets des conséquences au quotidien de l’activité de l’entrepôt et son trafic quasi-incessant de camions.
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La promesse de création d’emplois
A l’image de la maire Coralie Arruego, certains habitants sont tout de même en faveur de la présence du géant du e-commerce grâce à sa promesse de créer 50 emplois directs et 250 emplois indirects.
« Beaucoup de gens pensent encore que cela va amener des emplois, mais ils sont victimes de désinformation. Pour chaque emploi créé par Amazon, c’est au minimum deux emplois détruits dans le commerce local ! Quand on leur dit ça, ça les fait réfléchir. Je suis adhérent d’Attac, je connais bien les impacts de cette activité car cela fait partie de nos combats : contre l’évasion fiscale, contre les mauvaises conditions de travail, contre les entreprises qui contribuent au réchauffement climatique. Pourquoi personne ne prend en compte la participation d’Amazon au réchauffement climatique ? On nous rétorque toujours les emplois. Amazon fait venir la plupart de ces produits de Chine, que les artisans locaux pensent qu’Amazon va distribuer leurs produits, c’est se fourvoyer sur le fonctionnement de l’entreprise. Leur stratégie n’est pas du tout de privilégier les produits locaux parce qu’ils sont à côté. » dénonce David Frantz, membre du Collectif Stop Amazon 14 et d’Attac 14, pour La Relève et La Peste
En France, l’expansion du e-commerce en France a déjà détruit 81 000 emplois entre 2007 et 2018 et pourrait en détruire 68 000 de plus d’ici 2028.
De plus, les grandes entreprises du e-commerce, Amazon en tête, sont accusées de profiter de fraudes massives à la TVA dont la perte globale pour l’Etat français s’élèverait entre 4 et 5 milliards d’euros en 2019.
Pourtant, cet entrepôt ne serait pas le seul à voir le jour de façon similaire. Dans l’Ouest de la France, le géant américain maintient toujours le flou sur ses intentions exactes sur l’endroit où implanter une plateforme logistique géante de 185 000 m2.
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Le gouvernement français en faveur de l’e-commerce
De son côté, le gouvernement français demeure plus sensible aux arguments économiques des promoteurs de ces projets qu’aux retombées sociétales et environnementales néfastes de leurs activités.
Dernière polémique en date : Bercy s’est opposé à la publication d’un rapport d’évaluation des impacts du e-commerce, commandité par le Gouvernement à France Stratégie, alors que l’évaluation de la loi « climat et résilience » débutait à l’Assemblée Nationale ! Cette manœuvre avait été dénoncée dans une lettre datée du 8 mars par Matthieu Orphelin, député de Maine-et-Loire.
« Rien que l’ordre de mission de ce rapport n’allait pas. On leur a demandé de trouver un moyen pour que le développement du commerce en ligne soit « durable ». Et même avec ça, les conclusions du rapport expliquent que les formes les moins durables et les plus agressives du commerce en ligne pourraient continuer à se développer dans le pays, au détriment des emplois locaux et de la lutte contre la crise climatique. Puis il faut quand même avoir en tête que le e-commerce se développe en parallèle de tous les centres commerciaux. » explique Chloé Gerbier, juriste chez Notre Affaire à Tous, pour La Relève et La Peste
Ainsi, de nombreux députés ont tenté de ré-inclure par des amendements les entrepôts de e-commerce du moratoire sur les zones commerciales dans le projet de loi Climat, conformément au souhait des 150 membres de la Convention Citoyenne pour le Climat qui l’avaient proposé.
Si l’article 52 du projet de loi climat et résilience propose pour l’instant de ne délivrer des autorisations des centres commerciaux que pour une implantation ou une extension de projet qui n’engendrerait pas une artificialisation, des dérogations sont en fait prévues pour les projets inférieurs à 10 000 m² de surface.
« Cette dérogation n’est pas du tout contraignante, les promoteurs n’auront qu’à découper leur projet en différentes zones pour qu’il reste sous la barre des 10 000 m2. » anticipe Chloé Gerbier, juriste chez Notre Affaire à Tous, pour La Relève et La Peste
Face à tous ces enjeux, la détermination des populations engagées contre des projets d’extension en est d’autant plus renforcée, à l’image du collectif Stop Amazon 14. La mairie dispose de deux mois pour décider, ou non, de retirer le permis de construire au géant du e-commerce.
« Si elle refuse, nous sommes décidés à déposer un recours contentieux devant le tribunal administratif de Caen. Nous avons lancé un appel à dons pour celles et ceux qui souhaitent soutenir financièrement notre démarche juridique » conclut David. Pour les membres du collectif, le combat ne fait que commencer.