Ce samedi 1er mai, plus de 300 personnes se sont donné rendez-vous au village de Penzé, dans le nord du Finistère, pour protester contre la pollution des cours d’eau bretons. Riverains et défenseurs de l’environnement dénoncent la responsabilité des élevages et de l’industrie agricole dans ces drames successifs qui frappent leurs rivières.
L’augmentation des pollutions
L’épisode de pollution le plus récent a eu lieu à Taulé, une commune de 3 000 habitants non loin de Morlaix. Le 2 avril dernier, des pêcheurs découvrent avec stupeur que 100 à 150 mètres cubes de lisier, un mélange liquide d’excréments animaux, ont été déversés dans un affluent de la Penzé, au niveau du lieu-dit du Moulin du Roy.
En moins d’une journée, plus de trois kilomètres de rivière sont ravagés par cette « eau noire » surchargée d’azote, de phosphore et de potassium, des composés chimiques fertiles à faible dose, mais qui, quand ils sont trop concentrés, provoquent des phénomènes d’eutrophisation : l’eau est privée d’oxygène, la vie aquatique est asphyxiée.
« Sur cette portion, tous les poissons sont morts, des milliers de poissons, toutes espèces confondues », déclare à France Info Thomas Villette, technicien de l’Association agréée pour la pêche et la protection du milieu aquatique (AAPPMA) de Morlaix.
Truites, vairons, loches, lamproies, saumons : le lendemain, samedi 3 avril, quatre pêcheurs recueillent dans le cours d’eau, en moins de quarante-cinq minutes, plusieurs centaines de poissons morts.
Le Jaudy en 2017, le Jet, la Flèche et le ruisseau de la pointe du Millier en 2018, le Quillimadec, le Stang, la Mignonne et la rivière de Keropartz en 2019, le Naïc et l’Ellé en 2020…
En Bretagne, les signalements de pollution se suivent et se ressemblent. Chaque fois, il s’agit d’un déversement ou d’une fuite « accidentelle » de lisier, en provenance d’un élevage de bétail ou d’une usine de traitement des matières fécales animales.
Fin février 2021, un mois à peine avant la Penzé, 300 000 litres de lisier se sont échappés d’un élevage de porcs au Trévoux, dans le pays de Quimperlé (Finistère sud). Le Bélon, un petit fleuve côtier rejoignant la mer, a été ravagé sur sept kilomètres, alors que le cours d’eau était classé « en bon état écologique » et entretenu « avec soin par les pêcheurs du secteur », écrit l’association Eau & Rivières de Bretagne.
Selon une enquête de France Info, plusieurs sources montrent que les épisodes de pollution n’ont cessé d’augmenter, en Bretagne, ces quinze dernières années. En juin 2019, une lettre d’information agricole évoquait par exemple 23 cas de fuite accidentelle de lisier de porcs ou de bovins en 18 mois.
Plus récurrente que jamais, cette situation semble également incontrôlable, puisque tous les accidents ne sont pas inventoriés et ne peuvent faire l’objet d’une instruction.
Une pollution à long terme
Lorsque de grandes quantités de lisier polluent une rivière, il faut à celle-ci « au moins dix ans pour retrouver [son] écosystème », témoigne Philippe Bras, président de l’AAPPMA de Morlaix. Après le premier passage mortel des excréments liquides, « une partie de la chaîne trophique se reconstitue, mais elle s’affaiblit », ajoute Renaud Layadi, membre de la Commission locale de l’eau Flèche Bas-Léon.
Manquant de protéines, les espèces les moins résistantes disparaissent, la taille moyenne des autres réduit.
« C’est donc l’ensemble du stock, déjà altéré par les effets directs de la pollution, qui subit les années suivantes un tassement de sa capacité de renouvellement. »
La pollution de la Penzé, en avril, est aussi liée à l’industrie agricole locale : dans l’un « des plus gros élevages porcins du département » appartenant à la société anonyme Kerjean, « une opération de débouchage de canalisation mal maîtrisée » aurait entraîné un débordement des fosses de traitement, sans que personne sur le site ne s’en aperçoive ni qu’aucun « dispositif de rétention fonctionnel » n’empêche le lisier de s’écouler jusqu’au cours d’eau, note Eau & Rivières de Bretagne.
À l’appel d’un collectif de riverains baptisé « Penzé Polluée », un grand rassemblement s’est ainsi tenu le 1er mai dans le village du même nom. Relayé par les associations locales de pêcheurs, des organisations environnementales et des partis politiques comme l’Union démocratique bretonne, l’événement avait pour but d’alerter l’opinion publique, de « libérer la parole » et d’appeler les pouvoirs publics à mettre davantage de moyens dans la lutte contre la pollution.
L’impunité des pollueurs
La Bretagne est l’une des régions agricoles les plus importantes de France. Selon l’Insee, la région produit à elle seule 58 % des porcs français. Cette production considérable de bétail et de volailles destinés à la viande est réalisée dans 25 500 exploitations.
Élevage, abattage, transformation, préparation, fabrication, commerce de gros, toute la filière agroalimentaire y est présente, traitant des millions de tête par an.
Dans un élevage naisseur-engraisseur de taille moyenne, un porc charcutier produit 480 litres de lisier au cours de son existence, une truie 6,2 mètres cubes, ce qui implique d’inscrire la plupart de ces exploitations parmi les Installations classées pour l’environnement (ICPE), censées être suivies par les pouvoirs publics et respecter un certain nombre de normes.
Selon Aria, la base de données du Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi), 50 % des fuites de lisier enregistrées depuis 2008 auraient pour cause une erreur humaine, 44 % un défaut des équipements ou des installations et 11 % seulement des intempéries.
Cela veut dire que l’écrasante majorité des accidents pourraient être évités, si l’État ne faisait pas preuve d’un laxisme affligeant vis-à-vis des pollueurs.
À Elliant, l’exploitation porcine ayant occasionné la pollution catastrophique de la Jet, en 2018, durant laquelle 50 tonnes de poissons ont été décimées dans une pisciculture voisine, a été récemment relaxé par le tribunal de Quimper, alors que l’éleveur s’en était déjà tiré avec une amende minimale de 1 500 euros pour un accident environnemental similaire en 2012.
À cette relaxe sans justification apparente s’ajoute le poids considérable, en Bretagne, du lobby de la viande, responsable d’un empoisonnement tout aussi important : celui de la vie locale et de la liberté d’informer.