Sur le continent américain, le Brésil est l’un des pays les plus durement touchés par le coronavirus. 3300 décès et 49 492 cas confirmés, malgré des chiffres difficiles à obtenir car sous-évalués. Le président Bolsonaro, qui prenait des bains de foules début avril, a confirmé que la priorité demeurait l’économie et non la santé, et que « Le Brésil ne peut pas s’arrêter ». La décision du confinement est laissée aux autorités locales, chaque gouverneur pouvant décider.
Il semble que le Brésil soit voué à être le triste avertissement des conséquences d’une politique de l’économie-à-tout-prix : les incendies de l’Amazonie l’an passé, l’effondrement du système de santé cette année. Partout, les scènes d’enterrements à la va-vite se multiplient : pelles, pioches, tractopelles, chacun prend ce qu’il peut pour enterrer les morts. Le pic de l’épidémie est prévu en mai, et certains avancent déjà le chiffre de 15 000 morts.
Les premières victimes sont les populations défavorisées. Habitants de banlieues, des favelas, mais aussi les autochtones qui vivent en Amazonie. L’État d’Amazona compte 290 lits pour 4 millions d’habitants. En un an, plus de 500 médecins ont cessé de travailler car ils n’étaient plus payés. Le matériel et les structures manquent cruellement. Les cimetières enregistrent plus de 80 enterrements par jour.
De par leur isolement, les populations autochtones sont plus vulnérables aux épidémies. Gardons à l’esprit que ce qui a décimé la plupart des autochtones du nord et du sud à l’arrivée des Espagnols ou des Anglais, ce sont les maladies amenées par les colons – grippe, variole, rougeole ou encore coqueluche. Avec la nouvelle religion, les missionnaires amenaient surtout les maladies.
Ce scenario qui date de quatre siècles ne s’est jamais tout à fait arrêté : aujourd’hui encore, des missionnaires évangéliques tentent d’entrer en contact avec des autochtones. En effet c’est ici, en Amazonie, que se trouve la plus grande concentration de derniers peuples qu’on appelle « non contactés ». Il en existerait une centaine dans le monde, uniquement en Amazonie, Inde et sur l’île de Nouvelle-Guinée.
Ces peuples concentrent nos fantasmes sur les peuples primitifs vivant en harmonie avec la nature et ne connaissant pas le mal. La réalité est sans doute plus complexe. Parmi les peuples autochtones d’Amérique du nord par exemple, certains étaient guerriers et d’autres non, certains agriculteurs et d’autres chasseurs cueilleurs, certains patriarcaux et d’autres non. D’autres formes de hiérarchie existaient.
Malgré leur diversité, tous vivaient dans leur environnement sans le menacer. Ceux que nous appelons « non contactés » aujourd’hui ont probablement connu l’Homme Blanc à son arrivée, mais se sont retirés plus loin dans la forêt. Ils ne vivent pas comme leurs ancêtres, utilisant pour certains des armes à feu, des objets en métal trouvés, et on ne peut qu’imaginer que leurs croyances ont évoluées à travers les siècles, tout comme les nôtres.
Pour les évangélistes, ces croyances restent « hérétiques ». Des missions n’hésitent pas à acquérir des hélicoptères pour mener à bien leurs conversions. Dans une décision qui fera jurisprudence, un juge a interdit à des évangélistes mis en accusation par l’organisation autochtone Univaja, d’entrer en contact avec ces populations, autorisant le recours à l’armée et à la police si nécessaire.
« Nous dénonçons depuis longtemps ces organisations religieuses qui enfreignent la loi brésilienne et méprisent nos relations internes, nos modes de vie et nos façons de concevoir le monde. Ces groupes nous exposent désormais physiquement à un virus létal qui ravage l’humanité. Nous avons survécu aux précédents fléaux génocidaires. Nous continuerons de dénoncer l’intrusion inopportune des missionnaires, qui font du tort à nos populations et à nos terres. » a déclaré UNIVAJA suite à la décision
Dans certaines régions, c’est déjà fait. Les évangélistes ne sont pas les seules menaces qui pèsent sur les peuples autochtones. Les chercheurs d’or et les trafiquants de bois se rapprochent des territoires de ces peuples. Certains se font tout simplement assassiner, comme Zezico Guajajara, l’un des chefs d’une tribu Araribóia, tué par balle alors qu’il roulait sur son scooter pour rentrer chez lui, et qui avait déjà été menacé par des trafiquants. C’est le cinquième chef indigène assassiné dans les cinq derniers mois.
De part et d’autre, il s’agit toujours de survie : les trafiquants sont issus de communautés pauvres et délaissées, et c’est là leur seule source de revenus. Le chômage et la précarité que va engendrer la crise sanitaire motivera encore plus de jeunes gens à prendre ce chemin, et donc à lutter contre tout ce qui s’opposerait à la déforestation.
Ainsi même s’ils n’étaient pas physiquement contaminés, les autochtones seront gravement touchés par la crise sanitaire et sa gestion calamiteuse par le gouvernement brésilien.
Crédit photo couverture : Agência de Notícias do Acre: Gleilson Miranda / Governo do Acre