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« Beaucoup de personnes croient que les jeunes des quartiers n’ont rien à faire de l’écologie »

"Il y a encore une forme d'opposition entre banlieue et climat, entre politique et jeunes issus de l'immigration, entre tous ces termes qui en apparence s'opposent. Nous, on vient essayer de casser ces oppositions. Si cela vous paraît naturel d'associer climat et quartiers riches, alors pourquoi est-ce que ce serait différent pour nous ? C'est ce renversement qu'on essaie d'opérer, parce qu'il y a un malentendu à la base due à un mépris de classe."

Depuis sa création en 2022, et quels que soient les aléas des agendas politique ou médiatique, l'association Banlieues Climat travaille sans relâche pour plus de justice sociale et climatique. Une association cofondée par Féris Barkat, un jeune Strasbourgeois de 22 ans décidé à faire de l'écologie un vecteur d'émancipation pour les jeunes des quartiers populaires. Rencontre.

Ces dernières semaines, les Jeux olympiques de Paris 2024 ont largement occupé le devant de la scène. De quoi reléguer au second plan les vagues de chaleur qui ont récemment frappé une partie de la France. De quoi faire oublier, aussi, les dernières législatives, qui ont placé le Nouveau front populaire en tête, mais qui n’ont toujours pas abouti à la nomination d’un ou d’une première Ministre. Des sujets pour partie passés à la trappe que l’association Banlieues Climat n’a, elle, pas oubliés, au contraire.

La Relève & La Peste : Vous cofondez Banlieues Climat en 2022. A ce moment-là, quel est l’objectif ? A quel manque est-ce que ça répond ?

Féris Barkat : On est quatre cofondateurs à l’origine de Banlieues Climat. Je ne peux pas parler en notre nom à tous, mais ce qui est sûr, c’est que de mon côté, je me sentais très seul sur les questions de justice sociale. Mon père a toujours bossé à l’usine, où je l’ai vu se fracasser la santé et recevoir du mépris tous les matins, sans pouvoir rien faire. J’ai grandi avec cette histoire-là, qui m’a forgée, d’autant que je viens d’une famille originaire d’Algérie, avec forcément une trajectoire particulière.

Puis ma mère est tombée gravement malade d’un cancer en 2021. C’est compliqué d’établir un rapport de cause à effet direct entre sa maladie et l’environnement, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle a grandi dans un quartier à Strasbourg où la qualité de l’air est catastrophique. Ça, je l’ai toujours eu en tête.

A partir de là, j’ai commencé à m’intéresser à la question de la justice climatique, à travers la question de la pollution de l’air dans les quartiers populaires, notamment à Strasbourg où j’ai grandi. C’est comme ça que j’ai commencé à réfléchir au fait que dans les quartiers, on n’est pas formé aux questions d’écologie, alors même qu’on est les plus impactés !

Surtout, je me suis dit que l’écologie, pouvait être un sujet mobilisateur pour les jeunes des quartiers populaires puisqu’il est totalement imbriqué dans nos réalités… C’est comme ça qu’est venue l’idée de faire des formations à destination des jeunes des quartiers pour les sensibiliser aux questions écologiques et sociales.

Féris Barkat

LR&LP : Concrètement, quel est le contenu de ces formations ?

F. B. : Ces formations, aujourd’hui certifiées par le ministère de l’Enseignement supérieur, s’adressent à des jeunes de 16 à 25 ans. Leur objectif : démocratiser les connaissances sur l’environnement en donnant à voir les inégalités climatiques et environnementales, et leur impact pour les jeunes de quartiers. On n’est pas du tout dans une posture moralisatrice, au contraire, notre approche aborde les inégalités de façon systémique.

On prend plusieurs exemples concrets comme la pollution de l’air qui varie selon les endroits où l’accès différencié à une alimentation de qualité.

Dans les quartiers populaires par exemple, il y a beaucoup de problèmes d’obésité, ce qui est moins le cas dans les quartiers plus aisés. Comment est-ce que ça se fait ? C’est ce qu’on cherche à questionner pour qu’à la fin de la formation, les jeunes prennent conscience des oppressions qu’ils subissent.

C’est la même chose quand on aborde les questions climatiques. Lorsqu’on parle de réchauffement climatique, on regarde les différences entre les pays du nord et ceux du sud, et la façon dont le modèle promu par les pays développés peut aboutir à des catastrophes écologiques dans nos pays d’origine.

C’est aussi le cas quand on aborde la transition énergétique : il faut trouver des minerais pour la transition, certes, mais dans quels pays est-ce qu’ils se trouvent ? Et quel est l’impact de leur extraction ? On soulève ces questions pour donner aux jeunes les outils pour argumenter, alors même que beaucoup de personnes continuent encore à croire et à affirmer que les jeunes des quartiers n’en ont rien à foutre de l’écologie…

Crédit : Dorian Rollin

LR&LP : A travers vos formations, d’où les jeunes ressortent très motivés pour échanger et agir sur les questions climatiques, vous tordez justement le cou à cette idée selon laquelle les jeunes des quartiers populaires n’en auraient « rien à foutre » de l’écologie.

F. B. : Bien sûr. Le problème, c’est que quand je vais sur un plateau télé, les gens se demandent : mais attends, ces jeunes savent lire ? Et 8 heures de formation, ils comprennent ? Ils sont surpris et à partir du moment où cette surprise-là existe encore, notre travail n’est pas fini.

Il y a encore une forme d’opposition entre banlieue et climat, entre politique et jeunes issus de l’immigration, entre tous ces termes qui en apparence s’opposent. Nous, on vient essayer de casser ces oppositions. Si cela vous paraît naturel d’associer climat et quartiers riches, alors pourquoi est-ce que ce serait différent pour nous ? C’est ce renversement qu’on essaie d’opérer, parce qu’il y a un malentendu à la base due à un mépris de classe.

LR&LP : Ce mépris peut prendre différentes formes. Pendant les périodes caniculaires, par exemple, les jeunes des quartiers populaires sont souvent pointés du doigt pour ouvrir des bouches à incendie, ce qui vient invisibiliser les inégalités qu’il peut y avoir entre différents territoires pendant les périodes de fortes chaleurs.

F. B. : Tout à fait. D’ailleurs à Banlieues Climat, on prend beaucoup l’exemple de la canicule de 2003 pour montrer la surexposition de certains territoires comme la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne pendant les épisodes de chaleur. Pour réussir à faire comprendre aux gens que les épisodes caniculaires dans les quartiers, dans des territoires ultrabétonisés, c’est la merde, il faut leur donner des exemples concrets.

Dans mon quartier à Strasbourg, il y a un grand espace vert avec de l’ombre où les jeunes peuvent aller se poser quand il fait trop chaud. Mais dans la plupart des quartiers populaires à Strasbourg, il y a un manque dramatique d’espaces verts. Prendre l’axe strictement climat, en se demandant comment il peut y avoir une différence de plusieurs degrés entre les quartiers populaires de Strasbourg et le centre, qui est vert et embourgeoisé, c’est là où ça devient intéressant ! A partir de là, on peut monter un plaidoyer en étant extrêmement précis, et en montrant en même temps que c’est une dinguerie ce qu’il se passe et qu’il faut faire quelque chose.

Projection sur l’Assemblée Nationale de figure de françaises et français issus de l’immigration, organisée par Féris Barkat © Basile Barjon

LR&LP : Faire quelque chose, c’est justement ce que vous avez fait pendant les législatives, où vous avez fait un pas de côté par rapport aux questions purement climatiques pour mobiliser les jeunes des quartiers contre le Rassemblement national (RN). Racontez-nous.

B. : Cette période a été un vrai tournant parce qu’elle nous a montré qu’on était en capacité de mobiliser sur d’autres questions qu’uniquement le climat, ce qui n’était pas gagné d’avance. Il y a eu plusieurs moments forts.

Quand Bardella a fait son discours sur les binationaux par exemple [fin juin, le président du RN a annoncé vouloir interdire certains emplois dits « stratégiques » aux binationaux, NDLR], on a répliqué en projetant une fresque sur l’Assemblée nationale avec Aya Nakamura, des Chibanis, des tirailleurs algériens… On ne savait pas si cette projection changerait quelque chose pour les élections, mais pour le symbole, c’était très important.

Pendant la campagne, on a aussi fait un gros travail pour faire entendre des voix qu’on n’a pas l’habitude d’entendre, comme avec la vidéo qu’on a faite à Strasbourg avec Booska-P, où on entend des jeunes de quartiers s’exprimer sur la politique. J’ai d’ailleurs faite cette vidéo à titre personnel.

Pour moi, c’était indispensable de faire entendre toutes ces voix qui ne sont jamais entendues, même si ces voix sont traumatisantes parfois, comme quand certains jeunes de quartier expliquent qu’ils préfèrent le RN, parce qu’au moins c’est un parti ouvertement raciste, alors qu’en face, c’est un racisme déguisé…

Il y a eu beaucoup d’échange, de dialogue. C’est un tournant fort et ce qui est sûr, c’est qu’on va continuer à faire exister dans l’espace public des gens qu’on n’entend jamais, parce que c’est comme cela qu’on crée un nouveau narratif qui contre celui du RN.

Crédit : Samir Bouadla

LR&LP : Alors que la situation politique reste très incertaine, comment envisagez-vous la suite ?

F.B. : On ne veut pas agir uniquement en réaction aux événements politiques, mais en continu. En ce moment, on travaille sur un projet avec des mamans issues de l’immigration à Strasbourg, avec une exposition à la clé. Pendant les élections, elles ont fait un travail incroyable pour que les jeunes aillent voter et on voudrait pouvoir les visibiliser.

Avec Banlieues climat, on voudrait aussi essayer de lier la banlieue à la ruralité, en rassemblant tous les lieux bannis, c’est-à-dire tous ceux qui sont loin du droit commun, autour de projets communs. Par exemple, il y aurait un projet magnifique à faire sur les questions d’alimentation et d’agriculture qui touchent les banlieues comme les zones rurales, alors que la ruralité peut voter à l’extrême droite…

Et puis on va aussi créer notre première école d’écologie populaire à à Saint-Ouen en octobre et on continue nos formations. On lâche rien.

Cecile Massin

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