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Bayer-Monsanto achète la paix judiciaire avec un chèque de 10 milliards de dollars

Cette dépense gargantuesque représente-t-elle un aveu de culpabilité ? Le géant allemand a beau accepter de payer le prix fort, il ne reconnaît nullement la dangerosité du glyphosate, ni sa responsabilité dans les maladies des plaignants. Au contraire, Bayer continuera de porter ses trois condamnations en appel (les affaires Johnson, Hardeman et Pilliod) et ne compte rien lâcher sur aucun pesticide.

Bayer veut mettre fin à la cascade d’affaires judiciaires qui l’empoisonne depuis deux ans. Jeudi 24 juin, dans la soirée, le groupe allemand de l’agrochimie et de la pharmacie a annoncé qu’il verserait entre 10,1 et 10,9 milliards de dollars (environ 10 milliards d’euros) aux quelque 125 000 Américains ayant engagé une procédure de justice contre le glyphosate, un herbicide principalement commercialisé sous la marque « Roundup ».

Des dizaines de milliers de procès

Depuis le rachat, par Bayer, de la firme américaine Monsanto, en 2018, pour la modique somme de 63 milliards de dollars (56 milliards d’euros), la nouvelle hydre du secteur de la chimie a connu une véritable descente aux enfers.

Quelques semaines seulement après cette opération spectaculaire, un premier verdict, historique, met le feu aux poudre : en août 2018, un jury californien condamne Monsanto à verser 289 millions de dollars de dommages et intérêts à Dewayne Johnson, un jardinier attribuant son lymphome non hodgkinien (un cancer du système immunitaire) à l’utilisation prolongée du Roundup, le produit phare de l’entreprise américaine et surtout l’herbicide le plus vendu au monde.

En mars 2019, Bayer est à nouveau condamné par un jury populaire de San Francisco à payer plus de 80 millions de dollars à Edwin Hardeman, 70 ans, également victime d’un cancer causé par le Roundup. Le jury reconnaît que le désherbant est cancérigène et reproche à Monsanto de ne pas informer suffisamment ses clients des risques qu’ils encourent en l’employant.

Alors qu’en mai de la même année, Monsanto subit une troisième condamnation d’un montant de 2 milliards de dollars (un record largement réduit par la suite) dans l’affaire des époux Pilliod, les tribunaux américains sont assiégés par une vague de plaintes sans précédent, des milliers par mois, à l’encontre du glyphosate et du Roundup.

En février 2020, des analystes américains et européens recensaient 50 000 procès contre Monsanto ; quatre mois plus tard, on en dénombre 125 000. Une telle croissance exponentielle peut s’expliquer par le fait qu’aux États-Unis, les avocats ont le droit de recruter en masse les plaignants, via le démarchage publicitaire.

Parallèlement, d’autres produits phytosanitaires de Monsanto font l’objet de procédures judiciaires. En février 2020, 140 dossiers étaient ouverts contre le « dicamba », un puissant pesticide dont la pulvérisation excessive sur les champs de soja est accusée de détruire les cultures environnantes. Bill Bader, un agriculteur du Missouri, a déjà obtenu gain de cause. Plus d’un million d’hectares dans une vingtaine d’États américains auraient été ruinés par l’emploi irresponsable de ce désherbant. 

L’effondrement de l’image publique de Bayer

C’est ainsi que le rachat tant applaudi de Monsanto a viré au cauchemar. En l’espace de deux ans, à mesure que les affaires se multipliaient, le cours de l’action de Bayer s’est écroulé. La capitalisation de l’entreprise à la bourse s’est vue divisée par deux, ne s’élevant plus, ces derniers mois, qu’à 52 milliards d’euros, soit quelques milliards de moins que la somme dépensée pour acquérir le géant américain.

Mais pire que tout, ces milliers d’affaires n’ont cessé de ternir l’image de Bayer. Décriée, perçue comme le symbole des dysfonctionnements de notre système, voire comme une entreprise criminelle, la filiale Monsanto empoisonne à son tour le groupe allemand, dont le président, Werner Wenning, a même été contraint de démissionner.

L’opération financière annoncée le 24 juin a donc l’ambition de frapper un grand coup, pour mettre un terme à cette descente aux enfers. Poussé par ses actionnaires, Bayer a négocié un accord, qui devrait clore d’ici peu « environ 75 % des litiges », comme l’indique la firme dans un communiqué, c’est-à-dire environ de 95 000 plaintes.

Sur les 10 à 11 milliards de dollars de l’accord, 8,8 à 9,6 seront distribués aux plaignants, en échange de l’abandon pur et simple des procédures judiciaires engagées. Le reste, 1,25 milliard de dollars, est destiné à racheter les plaintes futures. Enfin, pour les 25 % de plaintes non encore réglées à l’amiable, un second accord devrait être annoncé dans les prochains mois.

Cette dépense gargantuesque représente-t-elle un aveu de culpabilité ? Le géant allemand a beau accepter de payer le prix fort, il ne reconnaît nullement la dangerosité du glyphosate, ni sa responsabilité dans les maladies des plaignants. Au contraire, Bayer continuera de porter ses trois condamnations en appel (les affaires Johnson, Hardeman et Pilliod) et ne compte rien lâcher sur aucun pesticide.

En signe de « bonne volonté », il a même prévu de créer un « conseil d’experts indépendant », qui sera chargé de rechercher les liens potentiels entre le glyphosate et le fameux lymphome non hodgkinien, en toute transparence, bien entendu.

Mais quand on pense que la firme américaine de l’agrochimie, comme l’ont révélé les « Monsanto Papers » en 2017, est plus que rompue aux pratiques de manipulation de l’opinion et de diffusion de fausses études scientifiques, on est en droit de douter de la neutralité de ce conseil d’experts, même s’il n’existe pas encore.

Le lobbying des entreprises de la chimie figure parmi les plus agressifs au monde. Maintenant qu’elle a fait taire des dizaines de milliers de personnes, l’entreprise Bayer risque probablement d’inonder le monde scientifique d’études biaisées, et de financements placés aux bons endroits, à dessein de faire taire toute voix discordante.

À noter : le 30 juin 2020, le gouvernement français a encore une fois reculé de plus d’un an la date d’interdiction du glyphosate, désormais prévue pour 2022, à la fin du quinquennat. 

Augustin Langlade

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