En France, la crise du logement encourage certains propriétaires peu scrupuleux à en profiter pour gonfler les prix. Encadrement des loyers, recours illégal au « bail Code civil » ou « bail mobilité », des associations se spécialisent dans l’aide aux locataires pour faire respecter leurs droits, et récupérer de l’argent trop-versé.
Encadrement des loyers
C’est en discutant avec des amis qu’Antoine Boussard, fondateur de l’association BAIL (Brigade Associative Inter Locataires), a constaté les nombreuses irrégularités que subissent parfois les locataires. La Ville de Lyon, où l’association est située, fait partie de celles qui ont mis en place un encadrement des loyers.
C’est l’article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, dite « loi Elan », qui prévoit : l’encadrement des loyers, à titre expérimental pour huit ans (2018-2026) ; uniquement dans les villes qui en font la demande ; et à condition que les tensions du marché immobilier y soient attestées.
Ce plafond est calculé en fonction d’un loyer de référence médian observé dans la zone concernée. Le montant du loyer ne peut alors pas dépasser les 20% du loyer de référence, ni lui être inférieur à plus de 30%. En début d’année 2025, l’encadrement des loyers s’applique dans 69 villes. S’il ne respecte pas cette mesure, le bailleur s’expose à une amende qui peut atteindre 5.000 € pour une personne physique et 15 000 euros pour une personne morale.
L’encadrement des loyers a été instauré sur Lyon et Villeurbanne, Plaine Commune (Seine-Saint-Denis), Paris, Lille, l’agglomération Est Ensemble (Bagnolet, Bobigny, Bondy, Le Pré-Saint-Gervais, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin, Romainville), Montpellier, Bordeaux, la Communauté d’Agglomération du Pays Basque et Grenoble-Alpes Métropole. Marseille, Annemasse, Grand-Orly Seine Bièvre et Cergy le mettront en place entre 2025 et 2026.
« On constate que, sur tous les territoires, l’encadrement n’est pas très bien respecté. En moyenne, 1 annonce immobilière sur 2 ou 3 ne le respecte pas. Politiquement, les unions des propriétaires et les bailleurs sont contre l’encadrement des loyers. Cela se traduit dans leur gestion locative » précise Antoine Boussard pour La Relève et La Peste
Sur les territoires appliquant l’encadrement des loyers, 30 % des biens seraient ainsi en infraction, avec un loyer qui dépasse de 198 euros en moyenne le plafond. Or, ce dispositif reste peu connu des locataires qui n’ont que 3 mois, suivant la signature du bail, pour contester le montant de leur loyer dans le cas où un « complément de loyer » a été fixé dans le bail. Cet outil légal permet aux propriétaires de hausser leurs prix selon les particularités du bien.
« En fonction des caractéristiques du logement, comme une terrasse supplémentaire, le complément de loyer peut être instauré. Sauf que c’est un peu un fourre-tout, donc les agences mettent tout ce qu’elles veulent. Certains compléments de loyer montent à 600€ ! Un étudiant qui arrive à Lyon à 18 ans n’a pas les épaules pour faire face à cette situation » raconte Antoine Boussard pour La Relève et La Peste
Les locataires face aux propriétaires
A l’inverse de Paris qui a mis en place une page internet dédiée au sujet, les métropoles n’ont pas toutes de personnel en interne ayant des compétences techniques sur la lecture de bail. C’est pourquoi Antoine Boussard a créé l’association éponyme. Depuis son lancement en juin 2023, l’association a réussi à faire rembourser plus de 130 000 euros à 80 locataires.
Ebu Simseker, 28 ans et enseignant de profession était locataire à Lyon 7ème d’un T1 meublé d’environ 15m2. Ebu payait 595€/mois au lieu de 332,73€/mois selon le loyer de référence majoré pour son type de logement dans son secteur. Au total, il a récupéré 6294€ de trop-versé.
« Je savais que mon loyer était trop cher et je l’avais signalé à l’agence, mais rien n’avançait. Antoine m’a soutenu psychologiquement avec une disponibilité constante, et je n’oublierai jamais son professionnalisme et sa gentillesse. Grâce à ses actions fermes, il a décanté la situation, et le propriétaire, qui ignorait la mauvaise foi de l’agence, m’a finalement présenté ses excuses »
Une étudiante de 26 ans en psychologie louait une chambre de 12m2, en colocation dans un appartement de 36m2, pour 540€/mois. Ce loyer exorbitant la mettait dans une situation financière difficile, elle a donc décidé de porter son cas jusqu’en commission de conciliation, soutenue par l’association BAIL.
« Grâce à son expertise, nous avons récupéré 3000€ de trop-versé par rapport à l’encadrement des loyers. Cette expérience éprouvante a finalement été concluante, et je suis reconnaissante pour ce soutien humain et juridique. Si je devais dire une chose aux locataires qui hésitent à commencer les démarches : battez-vous pour vos droits, on est souvent mieux accompagnés qu’on ne le pense ! » témoigne-t-elle
En moyenne, les locataires peuvent ainsi récupérer 2 mois de loyers sur l’année et diminuer leur loyer mensuel à long terme.
Mais le non-respect de l’encadrement des loyers n’est pas le seul défi auquel font face les locataires, certains propriétaires privilégient également des baux code civil ou des baux mobilité, permettant de mettre les locataires dehors l’été au profit des touristes. Or, ces baux sont complètement illégaux pour les résidences à l’année.
« Au Pays basque, le contexte est extrêmement tendu. Les gens n’arrivent plus à se loger, les prix de vente et les loyers s’envolent. Résultat, les habitants historiques sont obligés de partir toujours plus loin des territoires. Un certain nombre de dispositifs sont nécessaires pour juguler la crise : l’encadrement des loyers en est un mais il faudrait aussi réguler les résidences secondaires » explique Malika Peyrault, de l’association basque ALDA, pour La Relève et La Peste
Vers un plaidoyer politique
Association de défense des droits des habitants des quartiers populaires, Alda a réussi à faire instaurer au Pays basque une mesure de compensation. Depuis le 1er mars 2023, les propriétaires qui veulent mettre en place une location saisonnière permanente doivent obligatoirement proposer un autre bien à la location à l’année dans la même commune. Cela a permis de remettre des milliers de logements dans le parc locatif annuel.
L’encadrement des loyers a été instauré en novembre 2024. La Fédération Nationale de l’Immobilier (FNAIM) a tenté de s’y opposer en justice, sans succès.
« Le pays basque va être un territoire intéressant car c’est le seul détenu par la majorité présidentielle. Cela montre bien que ce n’est pas une mesure de « gauchiste », mais bien une mesure d’intérêt général par rapport à la crise du logement national » décrypte Malika Peyrault, de l’association basque ALDA, pour La Relève et La Peste
De nombreux propriétaires ou fédérations de bailleurs accusent l’encadrement des loyers d’être responsable de l’effondrement du nombre de biens à la location. Or, une analyse publiée par PriceHubble en octobre 2024 démontre le contraire.
« On constate que la hausse des loyers a été plus contenue dans les villes où un encadrement des loyers est en place. Quant aux baisses de volumes de bien immobiliers disponibles à la location, elles sont comparables entre les villes avec ou sans encadrement » précise le rapport.
Pour PriceHubble, la diminution du nombre de biens à la location s’expliquerait en partie par la hausse « des taux d’intérêt et de l’impact en cascade de la contraction du marché de la transaction ». La flambée immobilière empêche de nombreux ménages de devenir primo-accédants, ce qui monopolise des locations à destination de résidence principale plus longtemps.
Alors que l’expérimentation sur l’encadrement des loyers doit prendre fin en 2026, Alda et l’association BAIL militent avec plusieurs acteurs majeurs du logement pour que le dispositif continue, soit renforcé et étendu à toutes les villes de France.