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Avion repeint en vert : le procès est annulé pour détention illégale des activistes

« Cette décision est aussi une victoire sur le fond : sur la violation des droits fondamentaux des activistes en l’occurrence. On observe depuis quelques années une répression croissante et disproportionnée par le ministère public et les forces de l’ordre lors des actions militantes. Et face à cette répression, notre stratégie est de dire qu’on sera là où le Parquet nous attend : sur la défense des droits humains. »

En mars 2021, les activistes de Greenpeace avaient fait les gros titres en pénétrant sur le tarmac de Roissy et peignant un avion en vert pour dénoncer l’impact néfaste du secteur aérien dans la crise climatique. Ce jeudi 4 novembre, leur procès a été annulé : le juge a considéré que « la rétention des activistes » et « la violation de leurs droits » rend la procédure illégale. Un progrès notable face à la criminalisation et répression judiciaire de plus en plus forte que subissent les militants en France.

Des conditions de détention déplorables

Stupeur et soulagement pour les activistes de mars 2021 et leurs avocats ce jeudi 4 novembre au tribunal correctionnel de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Au bout d’une heure trente à peine de débats, le juge a décidé d’annuler la procédure en cours, ayant été convaincu par les plaidoiries des deux avocats de la défense, Marie Dosé et Alexandre Faro, qui avaient dénoncé l’illégalité de « la rétention des activistes » et « la violation de leurs droits ».

Le 5 mars dernier, les neufs militants de Greenpeace avaient repeint un Boeing 777-200 de la compagnie Air France en vert sur le tarmac de l’aéroport de Roissy pour dénoncer le greenwashing du gouvernement sur la question du transport aérien et le manque d’ambition du projet de loi Climat sur ce sujet.

Suite à cette action, ils et elles avaient été retenus arbitrairement dans les geôles du tribunal de Bobigny pendant plus de 20 heures et toute une nuit, après la levée d’une garde à vue de plus de 24 heures, et ce dans des conditions sanitaires déplorables.

« Les conditions de détention au Dépôt sont inadmissibles et le fait que le magistrat l’ait reconnu est un message fort pour nous. C’était immonde, sordide, certaines personnes ont marqué leurs noms avec des excréments sur le plafond, il y avait du sang sur les murs, pas d’eau, pas de papier, les WC pas lavés entre les personnes alors qu’on était dans le dur de la période covid ! Quand on a été au parloir, notre voisin avait la tuberculose ! Dans la cellule, un tout petit espace de 90cm sur 2m pour circuler, avec des carreaux de verre qui laissent passer une lumière permanente, insupportable. Les précédents détenus avaient accroché leurs masques covid pour l’atténuer. C’est un non-respect de la condition humaine qui est grave. Les gens qui passent dans ces geôles n’ont habituellement pas la possibilité de l’évoquer : ce sont les bas-fonds de la justice qui ne sont pas visibles, ni connus. Un traitement qu’aucun humain ne devrait avoir à subir. On avait la chance de se savoir soutenus et attendus, on savait qu’on allait en sortir. Nos avocats étaient d’autant plus motivés à dénoncer ces violations des droits humains, et jouer le rôle de sentinelle, car eux le vivent régulièrement. Nous sommes donc très satisfaits de cette décision. » renchérit Étienne, ingénieur dans les Hautes-Pyrénées, pour La Relève et La Peste

En tout, les activistes climat ont été privés de liberté pendant plus de 50 heures, sans avoir jamais rencontré un magistrat du siège. De plus, cinq d’entre eux auraient dû être immédiatement libérés au bout du délai de 20 heures après la levée de leur garde à vue, ce qui ne fut pas le cas.

Groupe de soutien avant le procès – Crédit : Greenpeace France

La criminalisation des militants

Les avocats Marie Dosé et Alexandre Faro ont soulevé ces nullités afin de faire annuler la procédure pour vice de forme pendant l’audience, une plaidoierie couronnée de succès qui représente un progrès notable face à la criminalisation et répression judiciaire de plus en plus forte que subissent les militants en France.

« Cette décision est aussi une victoire sur le fond : sur la violation des droits fondamentaux des activistes en l’occurrence. On observe depuis quelques années une répression croissante et disproportionnée par le ministère public et les forces de l’ordre lors des actions militantes. Et face à cette répression, notre stratégie est de dire qu’on sera là où le Parquet nous attend : sur la défense des droits humains. C’est une première d’avoir des activistes qui passent une nuit en dépôt dans un tribunal. Ce sont des mesures de contrainte extrêmement fortes qui doivent être justifiées sur le fait que la personne détenue ne peut être laissée en liberté, or il n’y avait aucun motif légitime qui justifiait cette détention de 20h supplémentaires. On dénonce de plus en plus souvent des garde-à-vue abusives, notamment lorsque des militants font des actions avec des risques contraventionnels comme de l’affichage sauvage qui n’est donc pas délictuel et ne permet pas d’imposer une garde-à-vue. Lorsque nous contestons ces abus auprès du Parquet, cela aboutit heureusement le plus fréquemment à la remise en liberté des militants et l’arrêt des poursuites. » explique Clara Gonzales, juriste chez Greenpeace France, pour La Relève et La Peste

Ainsi, le 4 octobre 2021, un activiste de Greenpeace était poursuivi pour de l’affichage et des tags sur une permanence de députés. Normalement uniquement soumis à une contravention, le Parquet a transformé son action en délit et il a dû se présenter devant le tribunal correctionnel pour deux tags. Le magistrat l’a relâché au motif que ce jugement porterait une atteinte disproportionnée à sa liberté d’expression.

Tout est fait pour décourager les militants de passer à l’action.

Face à cette criminalisation grandissante des activistes écologistes, et à la montée en puissance de la répression, Greenpeace se mobilise aussi institutionnellement pour dénoncer ce type de manœuvre, comme la création de la cellule Déméter, et participe à des auditions avec des députés pour freiner la création de nouveaux délits comme les délits d’entrave, que l’Assemblée Nationale a évoqué et qui a abouti à la création du délit d’intrusion dans les aéroports cette année.

Glissé en catimini dans un projet de loi fourre-tout ayant pour but initial d’adapter le droit français au droit européen, l’article 10 mentionne que toute personne s’introduisant illégalement sur une piste d’aéroport pourra être punie de « six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende ».

La peine va jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende si l’infraction est commise en réunion ou « lorsqu’elle est précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration ».

« Ce délit est calqué sur celui de l’intrusion dans les centrales nucléaires de 2015, que l’on avait nommé ‘loi antiGreenpeace’. Le pouvoir public renforce l’arsenal législatif au lieu de renforcer la sécurité des centrales nucléaires. Ce délit fonctionne très bien puisqu’il est désormais utilisé pour nous condamner à chaque action similaire dans les centrales. Au lieu de s’engager dans la lutte contre le climat, on continue à réprimer des manifestations non violentes qui ne dérangent pas le trafic et ne font du tort à personne contrairement à l’augmentation des émissions du secteur aérien. Elles ne parviennent pas pour autant à décourager les activistes : on n’étouffe pas la désobéissance civile en créant de nouvelles lois liberticides. La liberté d’expression doit toujours l’emporter sur ces mesures-là. » défend Clara Gonzales, juriste chez Greenpeace France, pour La Relève et La Peste

Les activistes ne sont pas pour autant définitivement à l’abri. En effet, la plainte déposée par les deux parties civiles, Air France et Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), court toujours. Leurs deux motifs de poursuite : « dégrader volontairement » un avion et « troubler le fonctionnement d’installations aéroportuaires afin de dégrader un aéronef ».

Etant donné que le juge, Charles Moscara, a considéré que la procédure est illégale et qu’il n’a par conséquent pas été saisi en bonne et due forme, c’est à présent au ministère public de relancer la procédure. Les prévenus pourraient donc être reconvoqués devant le tribunal pour répondre, sur le fond, de leurs actions.

Heureusement pour les neufs activistes, le nouveau délit d’intrusion dans les aéroports n’est pas rétroactif, ils ne risquent donc pas d’être jugés à travers la loi pénale, bien qu’il y ait de fortes chances que le procès sur le fond ait lieu.

Lire aussi : « Sans avion vert avant 15 ans, il faut diminuer le trafic dès maintenant ! »

Le rôle du secteur aérien sur le climat

Air France réclame un euro de dommages et intérêts pour le préjudice d’image, ayant déjà été indemnisée des préjudices matériels de l’action des militants, qui s’élevaient à environ 60 000 euros, par les assurances. Mais l’entreprise souhaite pouvoir s’expliquer dans un débat sur le fond lors d’une prochaine audience. Pas de quoi inquiéter les neuf militants, qui s’étaient préparés à débattre.

« Nous sommes prêts : on attendait le procès sur le fond car c’est aussi la suite de notre action, une nouvelle opportunité de parler de ces problématiques. Je trouve ça désolant d’être obligé de passer devant un juge pour en parler mais c’est une occasion supplémentaire de réveiller les consciences. Ce n’est évidemment pas le cadre le plus simple, mais c’est important de le faire : on a un message à transmettre. Ce qui me fait très peur, c’est les projections de croissance du secteur aérien et c’est un peu cela qu’on souhaitait dénoncer par cette action. On masque ces projections et cette croissance par des arguments technologiques, qui sont censés verdir la filière mais qui ne sont pas matures. On n’est pas contre l’aéronautique mais contre son développement effréné. On veut que les financements et les aides soient d’abord orientés vers les transports plus doux, comme le train, surtout sur les trajets courts. On a vu la puissance des lobbies à l’œuvre pour critiquer notre action, et cela doit aussi être dénoncé. » explique Étienne, ingénieur dans les Hautes-Pyrénées, pour La Relève et La Peste

Comme ses militants, Greenpeace reste plus que jamais déterminé à continuer ses actions pour dénoncer l’impact du secteur aérien dans la crise climatique, et obtenir une régulation et une diminution du trafic aérien, comme réponse essentielle à l’urgence climatique.

« En pleine COP26, il est essentiel de ne pas oublier pourquoi nous étions passés à l’action à Roissy en mars dernier. Pendant qu’Emmanuel Macron s’auto-congratule à Glasgow, en France, la réalité, c’est que le gouvernement fait preuve d’une grande irresponsabilité climatique. Dans le cadre de la loi Climat, il a refusé de réguler le trafic aérien, déjà responsable de plus de 7% de l’empreinte carbone de la France. L’exécutif préfère tout miser sur l’avion “vert” et des solutions technologiques qui n’en sont encore qu’à leurs prémices, et qui ne pourront pas à elles seules permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur à hauteur de ce qu’exige le respect de l’Accord de Paris. Nous continuerons à nous mobiliser pour dénoncer cette attitude climaticide », réagit Sarah Fayolle, chargée de campagne transport chez Greenpeace France

Les activistes pour le climat se tiennent prêts à de nouvelles actions pour porter leur message, et ce quelle que soit la montée en puissance de la répression.

Crédit photo couv : Denis Meyer / Greenpeace – Pour dénoncer le greenwashing du gouvernement, les activistes de Greenpeace France repeignent un avion en vert à Roissy le 05/03/2021

Laurie Debove

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