Fragilisées par de profondes inégalités, les femmes ont pourtant un rôle crucial sur la façon de nourrir le monde, en créant des systèmes agricoles durables. A la fois productrices, entrepreneuses, dirigeantes et consommatrices, il est aujourd’hui essentiel de favoriser l’autonomisation des femmes partout dans le monde.
Un accès inégal aux ressources et à la terre
Selon la FAO, les femmes représentent environ la moitié de la main-d’œuvre agricole et produisent 60 à 80 % des aliments de consommation familiale dans la plupart des pays en développement. Malgré leur rôle crucial, il existe un fossé considérable entre les femmes et les hommes dans les domaines de l’alimentation et l’agriculture.
Les femmes doivent ainsi affronter l’exode rural, la diminution de la biodiversité cultivée, la perte d’autonomie des paysan·ne·s, la détérioration de leur statut, mais surtout la problématique du genre et des inégalités femmes-hommes dans le domaine agricole et la non-reconnaissance du travail des paysannes.
L’enjeu majeur pour les femmes est leur difficulté d’accéder à la terre, à tel point qu’elles représentent aujourd’hui toujours moins de 15 % des propriétaires de terres agricoles dans le monde. De la même façon, elles ont un accès limité aux différents types de services de soutien à l’agriculture, comme les crédits, les formations ou des outils adaptés à leurs besoins.
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« La problématique est la même partout dans le monde. En France, le prix moyen d’une ferme a tellement augmenté qu’il est devenu extrêmement difficile pour les hommes, et encore plus pour les femmes, d’accéder à la propriété agricole sans être issu d’une famille d’agriculteurs. Il y a un vrai problème d’accaparement des terres par des financiers qui voient ça comme un investissement refuge, et dont découle la course à l’agrandissement des fermes. Elles deviennent alors un support de réalisation de services et les propriétaires terriens ne sont plus que des investisseurs hors-sol » explique Perrine Hervé-Gruyer, co-fondatrice de la ferme du Bec Hellouin et spécialiste de la permaculture, pour La Relève et La Peste
En France, le statut de conjointe en agriculture n’existe que depuis la fin des années 1990. Avant cela, les femmes n’étaient déclarées à rien et ne cotisaient en rien. Cette négation administrative du rôle de la femme qui tient la ferme et la famille se retranscrivait même socialement.
Toutes les agricultrices souffrent d’un manque de reconnaissance, et certaines filles luttent même pour reprendre le domaine familial. C’est le cas de Coralie, 18 ans, qui veut « prouver qu’une fille peut être agricultrice » à son père, dépité de ne pas avoir eu de garçon. Une histoire de vie racontée dans le podcast ARTE « La jeune fille et la ferme » d’Yves Deloison.
Heureusement, en France, les choses bougent un peu. Depuis début 2022, le statut de conjoint collaborateur ne peut plus excéder 5 ans, période au bout de laquelle la collaboratrice deviendra alors salariée ou cheffe d’exploitation (parfois en tant que co-associée). Depuis une dizaine d’années, environ 25% des chefs d’entreprises agricoles sont des femmes alors qu’elles n’étaient que 8% en 1970.
Les femmes, agents de changement et de résilience
Les enjeux sont immenses.
Selon la FAO, « si les femmes avaient le même accès que les hommes aux ressources productives, elles pourraient augmenter de 20 à 30% les rendements de leur exploitation. Des gains de production de cette ampleur pourraient réduire de 12 à 17%, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde ».
Une théorie mise en pratique par l’association SOL en Inde, où 274 femmes ont été formées pour devenir des gardiennes de variétés anciennes de semences, mieux adaptées au territoire et résilientes au changement climatique.
Après trois ans, 80 % des paysannes ont augmenté leur production de 5 à 20 % et leurs revenus de base, issus des cultures vivrières, de 25 %. La reproduction de semences leur a également permis de diversifier la production en légumes de leur hameau, passant de 3 ou 4 variétés en moyenne par famille à plus de 27.
« Cette montée en compétences a eu de réels impacts sur la façon dont elles sont perçues dans leurs communautés. En plus d’avoir créé des groupes d’entraide leur permettant d’octroyer des micro-crédits, certaines d’entre elles occupent depuis des positions similaires à celle de « maire » dans leur village » explique Clotilde Bato, directrice générale de l’association SOL, pour La Relève et La Peste
Et les progrès portés par les femmes sont tout aussi bénéfiques aux hommes, qui sont eux aussi ravis de voir leur charge de travail s’alléger grâce à des outils plus adaptés ou simplement de nouvelles organisations de travail. Loin de créer une scission dans les sociétés, les groupes de non-mixité entre femmes permettent de porter des sujets qui améliorent la vie de l’ensemble de leur communauté.
« Les femmes ont gardé cette habitude du « care », le soin et l’attention qu’on va apporter au sol et aux plantes. On est généralement plus attentives à la santé des sols et la qualité nutritionnelle de ce que l’on produit, on est moins axées sur la quantité. Je pense qu’on est vraiment bien placées pour mettre en place un écosystème durable car on a cette approche holistique et globale, en résonance avec le lien maternel » raconte Perrine Hervé-Gruyer, co-fondatrice de la ferme du Bec Hellouin et spécialiste de la permaculture, pour La Relève et La Peste
In fine, la question du genre au sein de l’agriculture met en exergue les façons de prendre soin de la Terre et des peuples pour résister à cette culture patriarcale de la domination et de l’exploitation qui nous enferme dans des logiques individualistes et concurrentielles.
C’est tout le combat de l’organisation paysanne internationale La Via Campesina, pour qui « la logique d’accumulation capitaliste dans les campagnes est soutenue grâce à l’ensemble d’oppressions de l’agrobusiness et de l’extractivisme, à travers la dépossession, les expulsions et les accaparements des terres. Elle exacerbe la discrimination et la violence dans les campagnes. Nous avons le défi de positionner plus fortement la remise en cause globale du modèle actuel et la vision urgente d’une nouvelle société : avec de nouvelles relations, avec d’autres formes de division du travail, garantissant la vie et créant de nouvelles valeurs basées sur l’autonomie et la réciprocité. »
Les nouvelles gouvernances des fermes en collectif sont l’une des pistes les plus privilégiées pour redonner toute leur place aux femmes. En France, il reste du chemin à parcourir pour lutter contre les inégalités de genre, le projet de Loi d’Orientation Agricole, sur le renouvellement des générations paysannes, ne mentionne pas les femmes une seule fois alors qu’elles représentent 40% des installations en 2020 dans le pays.
Perrine, elle, en est convaincue « Opérer la transition écologique va de pair avec plus de femmes au pouvoir dans les fermes »
Cet article a été rédigé suite aux rencontres de la 1ère édition du Salon des Agricultrices, événement organisé en partenariat avec La Relève et La Peste
Crédit photo couv : Bija Devi, cheffe des cultures à Navdanya, la ferme en agroécologie de Vandana Shiva – Laurie Debove